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ENTRETIEN AVEC Bouchta Farqzaid, universitaire et critique marocain
Un des responsables du Festival International Cinéma Africain de Khouribga (FICAK)
critique
rédigé par Fatoumata Sagnane
publié le 19/09/2023
Bouchta FARQZAID, universitaire et critique marocain
Bouchta FARQZAID, universitaire et critique marocain
Fatoumata SAGNANE, Rédactrice (Conakry) à AFRICINÉ MAGAZINE
Fatoumata SAGNANE, Rédactrice (Conakry) à AFRICINÉ MAGAZINE
FICAK 2023
FICAK 2023
L'IMAGE CHEZ ROLAND BARTHES - 212 pages, mars 2010
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"Études littéraires et cinématographiques". Août 2023 - Essai, 92 pages - ISBN 9782414615889 - prix : 11 € & 4,99 € (Numérique)
"Études littéraires et cinématographiques". Août 2023 - Essai, 92 pages - ISBN 9782414615889 - prix : 11 € & 4,99 € (Numérique)
FRAGMENTS DE VIE DE RIEN. Les luttes d'un jeune Marocain - 2017 - Broché - 112 pages - ISBN 978-2-343-11544-3
FRAGMENTS DE VIE DE RIEN. Les luttes d'un jeune Marocain - 2017 - Broché - 112 pages - ISBN 978-2-343-11544-3

Après la 23ème édition du Festival International Cinéma Africain de Khouribga (FICAK) tenue du 06 au 14 mai 2023 au Maroc, nous voici sur les traces d'une éminente personnalité du cinéma marocain dont un témoin important de la genèse même de ce festival.
M. Bouchta FARQZAID est présentement professeur universitaire de littérature, du cinéma à la faculté des lettres et sciences humaines à l'université Sultan Moulay Sliman de Beni Mellal. Il est également critique de cinéma, membre du ciné-club de Khouribga (le plus ancien des ciné-clubs au Maroc : il date des années 30). M. Farqzaid est aussi membre du bureau administratif du FICAK et de l'Association Marocaine des Critiques de Cinéma (AMCC).
Il vient tout juste de publier aux Editions Edilivre son nouvel essai : "Études littéraires et cinématographiques", fin août 2023.

Africiné : Depuis quand êtes-vous membre du ciné-club de Khouribga?

Bouchta Farqzaid : Comme je suis autodidacte, je n'avais pas la chance de fréquenter l'école publique. À cette époque, je me rendais donc au ciné-club de Khouribga vers les années 80.
À la même année, j'assistais officiellement à la deuxième édition du festival africain de Khouribga qui s'appelait "Rencontre du Cinéma Africain". En 1983, je suivais des films et prenais part aux débats après les projections. Cela m'a permis de me familiariser avec le langage cinématographique. Ensuite, je me suis mis à écrire quelques articles que je pourrai qualifier d'impressionnistes (entre le jugement et l'information).

Africiné : Vous étiez autodidacte à l'époque. C'était par manque de moyens ?

Bouchta Farqzaid : Absolument ! Ma famille menait une vie très difficile sur le plan économique. Nous habitions des bidonvilles. Entre maladies, misères et tant de difficultés, j'étais obligé de faire comme Sembène. C'est à-dire, faire tous les petits métiers du monde. En m'inspirant de lui, j'ai eu l'idée de ce que je pouvais faire de ma vie.
Après avoir passé mon examen du baccalauréat comme candidat libre, j'ai obtenu mon diplôme en 1983 pour intégrer la faculté des lettres et sciences humaines. Parce qu'en ce temps, il n'existait pas d'école de cinéma. À la faculté, j'ai intégré la section littérature française. Et quand j'ai eu ma licence en 1988, obtenu un DES ici au Maroc, je me suis inscrit à la Sorbonne nouvelle [Paris]. C'est là où j'ai préparé une thèse de doctorat sur l'image. Une manière pour moi de rendre hommage à tous ceux qui m'ont influencé, inspiré, dans mon parcours quand je travaillais sur la notion de l'Image chez Roland Barthes, un grand critique français.

Africiné : Comment avez-vous appris à lire et à écrire, en étant qu'autodidacte ?

Bouchta Farqzaid : J'ai publié plusieurs livres en France sur le cinéma, sur l'image, dont un petit récit sur ma vie. Dans ce petit livre [Fragments de vie de rien. Les luttes d'un jeune Marocain, 2017, Paris, Éditions L'Harmattan, NDLR], je parle de la manière avec laquelle j'ai appris à connaitre la langue de l'autre. Comme j'étais un alphabète, ignorant je menais très difficile. Pour fuir cette réalité, je me rendais au cinéma pour suivre quelques projections de films. Puis je retenais des mots que je confiais dans un petit cahier. Quand je regardais un film, je prêtais attention au sous titrage, à la façon dont les mots étaient écrits ou prononcés. Arrivé à la maison, je me les rappelais et transcrivais ces mots du film en arabe dialectal.

Africiné : Comment êtes-vous venu à la critique ?

Bouchta Farqzaid : J'avais une passion énorme pour le cinéma. Je regardais tout ce que je pouvais trouver comme films marocains, français, italiens, américains. Quand j'ai adhéré le ciné-club de Khouribga, je me suis mis à écrire quelques articles d'ordre informatif sur l'histoire d'un film, sur les personnages etc…. J'avais passé un certain nombre d'années dans cette activité en fréquentant aussi certains festivals, quand un jour, un membre de l'association marocaine des critiques du cinéma m'invite à rejoindre leur groupe.
Pour la première fois, j'ai fait publier dans la revue de l'association intitulée à cette époque "Ciné.ma" un très bon article de critique d'expression théorique sur le film tunisien Le prince, de Mohamed Zran [2004, avec Abdelmoueam Chouayet, Sonia Mankai, Mustapha Adouani, Prix du meilleur montage - pour Andrée Davanture - au FESPACO 2005, ce film Le Prince | الامير est disponible en streaming sur Artify, NDLR].

C'est à partir de ce moment que je me suis mis à écrire de façon professionnelle les articles bien ficelés, fondés sur des théories parce que je me suis intéressé lors de mes études à la sémiologie de l'image. J'avais écrit de nombreux articles de critique cinématographique sur le cinéma marocain et africain que j'ai réunis en 2010 sous forme d'ouvrage intitulé "Essais critiques".

Africiné : Quelles sont les thématiques que vous abordez souvent dans vos articles de critiques ?

Bouchta Farqzaid : Je parle des films qui m'interpellent, qui me parlent et que j'aime. Je m'intéresse beaucoup plus à la forme donc à l'expression filmique qui est inséparable de la thématique. Parce que le thème pour moi n'est qu'un prétexte. Quand je traite une thématique, je l'aborde toujours d'un point de vue expressif. C'est-à-dire comment elle est mise en forme par le langage cinématographique, par exemple quel est l'impact esthétique sur le lecteur. Écrire sur l'identité africaine m'intéresse beaucoup. C'est pourquoi j'ai même écrit un livre sur le cinéma africain en 2019, notamment sur l'amour, sur les traditions africaines. Pour dire que je ne pars pas d'un thème préétabli ; c'est le film qui m'impose un certain nombre de visions.

Africiné : Quand est-ce que la critique a eu de la force au Maroc ?

Bouchta Farqzaid : La critique au Maroc est passée par des étapes. La première étape est la phase médiatique qui était réservée uniquement aux journalistes de la presse écrite qui parlaient des films pour informer les populations sur leur existence.
La deuxième phase (la plus importante) était celle orale qui s'est développée au sein des ciné-clubs. Après une projection, s'enchainait un débat, une manière de discourir, de porter une réflexion sur le film d'où une critique orale.
La troisième étape est celle initiée par la Fédération Nationale des ciné-clubs au Maroc.
On a publié dix numéros. C'était dans la toute première revue appelée "Études cinématographiques". La rencontre des critiques africains et marocains à Khouribga, était l'occasion pour eux d'écrire des articles sur le cinéma.
Mais la phase la plus importante était celle de l'émergence de l'Association marocaine des critiques de cinéma. Parce qu'autour de cette association, s'est groupé un certain nombre de critiques chevronnés. Vu que la plupart des critiques marocains sont des professeurs d'université, donc des académiciens, un mérite qui concède une qualité appréciable au Maroc. Autrement, cette association a permis aux critiques marocains de développer un discours beaucoup plus systématique sur le cinéma de façon générale.

Africiné : Comment la critique est perçue à ce jour dans votre pays ?

Bouchta Farqzaid : De manière sincère, rares sont des cinéastes qui acceptent la critique au Maroc. Quand on parle de critique, c'est une évaluation qui peut être positive ou négative vis-à-vis d'un film. Souvent au Maroc, quand il y a une critique dans le sens négatif, la réaction du cinéaste est souvent méchante, et cela empoisonne les relations entre le critique et le cinéaste. Dans l'imaginaire marocain, la critique est négative à tout point de vue, c'est "Nakhdi". Et pourtant, une critique est sensée être négative ou positive, pourvue qu'elle soit dans l'objectivité d'apporter au film.

Africiné : Pouvez-vous confirmer que c'est la première fois que le jury de la critique fasse partie de FICAK ?

Bouchta Farqzaid : Officiellement, c'est la toute première fois que le jury de la critique a été introduite au sein du festival international du cinéma africain de Khouribga.

Africiné : Pourquoi c'est seulement après tant d'années ?

Bouchta Farqzaid : Cela s'explique par la réticence de feu Nour-eddine Saïl et du comité d'organisation du FICAK. Nour-Eddine n'appréciait pas l'Association des critiques marocains. Ses raisons étaient personnelles.

Africiné : L'évolution de la critique peut-elle être effective au Maroc quand elle est qualifiée de "naqd" ?

Bouchta Farqzaid : L'œuvre cinématographique ne peut pas exister sans un discours critique ; sinon elle est condamnée à mourir.

SAGNANE Fatoumata
Journaliste Critique du cinéma
RP de Guinée Conakry

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