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ORIGIN d'Ava Duvernay. La brûlure des inégalités
Le film de la réalisatrice africaine-américaine au RED SEA IFF 2023, après Venise
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 13/12/2023
Bassirou NIANG, Rédacteur (Dakar) à AFRICINÉ MAGAZINE
Bassirou NIANG, Rédacteur (Dakar) à AFRICINÉ MAGAZINE
Ava DUVERNAY, réalisatrice et productrice africaine-américaine.
Ava DUVERNAY, réalisatrice et productrice africaine-américaine.

Suivre les traces du racisme systémique, essayer de comprendre ses fondements, ses racines. On peut le penser ainsi. Ce documentaire de la réalisatrice Ava DuVernay agite des questions sur des réalités qui ont toujours fait mal. Il est inspiré du best-seller " Caste : The Origins of Our Discontents " de la journaliste afro-américaine Isabel Wilkerson, publié en 2020, récompensé du Pulitzer. Le film révèle les similitudes non soupçonnées entre la stratification sociale officieuse de la société américaine dans laquelle le groupe dominant s'accorde à ses privilèges et cherche à garder sa territorialité, et celles des sociétés indoues - polluée par la question des intouchables - et noires africaines comme au Nigeria et au Sénégal.

Même si d'aucuns lui reprochent son approche didactique, ce documentaire est comme un mur de lamentations contre les inégalités qui ont déchiré le monde moderne et contemporain. Allant de la ségrégation raciale en Amérique à la stratification sociale en Inde et en Afrique Noire, la réalisatrice Ava DuVernay époussette les archives, dialogue avec les "mémoires honteuses" - permettez l'expression - recueille les douleurs fondues, retrace en sourdine les chemins de résilience des communautés meurtries, par la voix d'Aunjanue Ellis Taylor - incarnant le personnage de la journaliste Isabel Wilkerson - dont la présence scénique est imposante.



La démarche est lyrique, aux confins de la sensibilité, imbriquée dans des sonorités qui semblent se pencher sur les blessures du passé et aussi celles du présent. La musique dans ce documentaire est comme une âme qui rôde autour des lieux d'antan pour ressurgir en acte de réveil. 
Wilkerson est par moments dans une parenthèse de fiction, dans laquelle ses sentiments d'amour, sa vie de famille, la complicité avec un mari aimant, passent dans la pellicule comme pour montrer qu'au fond, c'est elle qui a le profil de la personne capable de rallumer les braises du refus de l'oubli. Elle est cette ombre qui rôde autour des bibliothèques bourrées de lois et pensées que seules des consciences corrompues ont réchauffé d'archives les plus cyniques que le monde d'aujourd'hui rechignerait à (re)lire s'il n'en ricanait tout au plus.

ORIGIN, ce sont ces larmes de Wilkerson qui voit son monde basculer quand, au sortir de la salle de bain, elle découvre allongé, le corps inerte de son mari, un brillant mathématicien blanc, étalé sur le tapis. Sa mère est elle aussi, maladive sous le poids de l'âge, n'en a plus pour longtemps. Le tableau est bien gris, mais ne peut l'empêcher de parler des Origines devant une assemblée avertie. Les échanges avec sa cousine sur ces questions sont aussi assez captivantes. Les paroles de chacun et de chacune font revenir les images du Klu Klux Klan, du nazisme avec son corolaire de déportation des juifs, d'esclaves en captivité, de la ségrégation raciale par une reconstitution filmique. Le documentaire exploite aussi bien l'archive photographique que celle audiovisuelle pour soutenir la démarche de Wilkerson.

La pertinence aussi appelle au déplacement vers la source. Wilkerson ira en Inde, pays dans lequel les croyances aux castes ont la peau dure. En immersion, elle se rapproche de la fade réalité ancrée dans le subconscient des Hindous. L'image de ce petit garçon, assis à même le sol au fond de la classe, parce que non autorisé à suivre son cours assis sur les bancs, est troublante.

Ce documentaire peut être présenté comme le véritable "répondant audiovisuel" de " Caste : The Origins of Our Discontents ". Et que la postérité attend dans une posture d'accueil.

Bassirou NIANG

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