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Moi, Capitaine
Migrer du Sénégal pour se révéler
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 10/01/2024
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Scène du film MOI, CAPITAINE
Scène du film MOI, CAPITAINE
Scène du film MOI, CAPITAINE
Scène du film MOI, CAPITAINE
Le réalisateur italien, entouré de son équipe
Le réalisateur italien, entouré de son équipe

LM Fiction de Matteo Garrone, Italie / Belgique, 2023
Sortie France : 3 janvier 2024

Il y a un moment que les questions de migrations agitent les cinéastes, du côté de l'Europe comme en Afrique. On a mesuré le sujet avec Mostefa Djadjam d'origine algérienne, dans Frontières, 2002, le Sénégalais Moussa Touré et La Pirogue, 2012, ou Mati Diop pour Atlantiques, 2019. Là, c'est l'Italien Matteo Garrone qui nous embaque dans l'aventure de migrants sénégalais avec Moi, Capitaine. Un film plébiscité à la Mostra de Venise 2023 où il a décroché le Lion d'Argent du meilleur réalisateur et le Prix du meilleur espoir pour son acteur principal, Seydou Sarr, avant d'être sélectionné pour représenter l'Italie dans la course à l'Oscar du meilleur film international.
Ces distinctions entérinent la reconnaissance du cinéaste italien, récompensé par le Prix du Jury à Cannes 2008 pour l'impressionnant Gomorra, inspiré par le livre de Roberto Saviano qui dénonce la Camorra, et titulaire du même prix à Cannes 2012 pour Reality sur le sort d'un participant à une émission de téléréalité. L'auteur de Dogman, 2018, de Pinocchio, 2019, s'est déjà penché sur le drame des migrants dès son premier long-métrage, Terra di mezzo, en 1996. Il y revient en suivant le destin de deux Sénégalais en route vers l'Europe dans Moi, Capitaine, une coproduction ambitieuse entre l'Italie et la Belgique.



Seydou et Moussa sont cousins et profondément amis. Ils vivent au milieu des femmes et des filles du quartier où fusent les chants et les danses. Mais leur rêve est de devenir rappeurs en Europe et de connaître la consécration chez les Blancs. Ils économisent en cachette, s'achètent de faux papiers et embarquent en clandestins pour la grande migration. Ils gagnent le Mali, le Niger, traversent le Sahara puis la Lybie avant de prendre le large sur la Méditerranée pour atteindre l'Italie.
Le trajet est parsemé d'embûches et de cruauté. Ils assistent à l'abandon d'un homme tombé de leur jeep bondée en plein désert, voient des migrants succomber en chemin. Moussa pousse Seydou à continuer mais lors d'un barrage, ils sont séparés. Seydou se retrouve dans un camp de torture en Lybie dont il arrive à sortir grâce à la solidarité d'un aîné. Mais sur la côte, Seydou ne veut pas partir sans Moussa qu'il recherche. Ce dernier, blessé, meurtri, veut rentrer mais Seydou prend la barre et la conduite d'un bateau clandestin vers l'Italie pour une traversée périlleuse.

Matteo Garrone prend son sujet à bras le corps en ne traitant pas la migration comme une entité mais en isolant des personnages pour mieux toucher les spectateurs. Le récit s'attache surtout à Seydou en relatant l'itinéraire d'un homme qui s'affirme en prenant son destin en main. Basé sur des témoignages et enquêtes de terrain, le film combine une attention documentaire avec un style épique, cultivé dans les films d'aventures. Et c'est de la migration choisie que traite Moi, Capitaine, en s'appuyant sur les rêves des deux cousins : devenir rappeurs reconnus en Europe. Des séquences oniriques, notamment dans le désert, ponctuent leurs péripéties en brisant l'aspect réaliste du parcours.
Le scénario bien réfléchi, écrit par Matteo Garrone avec Massimo Gaudioso, Massimo Ceccherini et Andrea Tagliaferri, se découpe en quatre parties égales pour composer les deux longues heures du film. Le premier quart capte la vitalité sénégalaise puis il y a la traversée du désert, le séjour dans le camps de tortures puis la navigation vers l'Italie. Comme dans un conte, les deux héros doivent affronter des épreuves, la faim, la soif, la séparation, la torture, les blessures avant de chercher à atteindre l'Europe, vécue comme une Terre promise.

Matteo Garrone s'appuie sur les images cadrées par Paolo Carnera pour magnifier les couleurs élégantes des Sénégalaises, les somptueux paysages du désert, l'architecture de la ville ou la puissance de la mer. Les plans rapprochés sur les deux héros, joués avec conviction par Seydou Sarr et Moustapha Sall, permettent d'accrocher à leurs émotions positives, battues en brèche par l'avidité des passeurs, la violence des hommes armés, la dureté de la survie. En valorisant la puissance des rêves, pour évoluer, Moi, Capitaine semble militer pour une humanité solidaire et sans frontières tout en mythifiant la grande Aventure de la migration aux sons de la musique métissée de Andrea Farri.
Conclu par un "Allah Akbar" tonitruant et surprenant alors que le sujet de la religion n'est pas abordé dans l'histoire, la fiction de Matteo Garrone s'expose comme un beau spectacle, une révélation humaine et un exploit attractif, peut-être trop prévisible. Le héros de Moi, Capitaine est ainsi capable de mener sa barque en surfant sur les contretemps, le doute. Mais tracer n'est pas forcement jouer, surtout en matière d'aventures vécues et de cinéma.

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France), pour Africiné Magazine

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