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MAMBAR PIERRETTE. Défier le sale temps au Cameroun
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 29/01/2024
Rosine MBAKAM, réalisatrice camerounaise
Rosine MBAKAM, réalisatrice camerounaise
Scène du film MAMBAR PIERRETTE
Scène du film MAMBAR PIERRETTE
Scène du film MAMBAR PIERRETTE
Scène du film MAMBAR PIERRETTE
Scène du film MAMBAR PIERRETTE
Scène du film MAMBAR PIERRETTE
Scène du film MAMBAR PIERRETTE
Scène du film MAMBAR PIERRETTE
Scène du film MAMBAR PIERRETTE
Scène du film MAMBAR PIERRETTE
Scène du film MAMBAR PIERRETTE
Scène du film MAMBAR PIERRETTE
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE

LM Fiction de Rosine Mbakam, Belgique / Cameroun, 2023
Sortie France : 31 janvier 2024 (Distribution : Singularis Films).

Les portraits de femmes, de mères courageuses, de travailleuses décidées, ne manquent pas d'illuminer les cinématographies africaines. Cette fois, c'est au Cameroun qu'une réalisatrice du pays puise la matière d'une histoire, imprégnée de réalisme. Rosine Mbakam en tire sa première fiction, dont le titre est le nom de son héroïne, Mambar Pierrette. Sa sélection à la Quinzaine des réalisateurs, au Festival de Cannes 2023, consacre l'action de la cinéaste camerounaise, née à Tonga, repérée pour ses documentaires, Les Deux Visages d'un femme bamiléké, 2016, Jolie Coiffure, 2018, Les Prières de Delphine, 2021.
Ces films qui soulèvent des destins entre le Cameroun et la Belgique attestent de l'ancrage de Rosine Mbakam dans ce pays où elle s'est installée depuis 2007 après une formation au Cameroun et des sujets pour la chaine privée STV. Depuis qu'elle s'est perfectionnée à l'INSAS de Bruxelles, elle s'affirme par ses documentaires soutenus par sa société, Tândor Productions, créée avec Geoffroy Cernaix. Appuyée par cette structure, elle signe Mambar Pierrette, situé à Douala.



Pierrette est une couturière qui tente de gagner sa vie en exerçant ses talents pour des clientes plus aisées, avides de négocier les prix. En l'absence de son mari qui l'a abandonnée, Pierrette s'occupe de ses enfants et de sa mère qu'elle nourrit. A l'approche de la rentrée scolaire, la couturière doit acheter des fournitures pour son fils, en répondant aux commandes de ses clientes qui discutent âprement ses tarifs.
Les pluies qui s'abattent sur le quartier s'infiltrent violemment dans la maison de Pierrette. Elle se fait délester de son sac avec sa recette par des voyous, ce qui l'oblige à puiser dans la cagnotte de son fils pour faire face. Quand sa machine à coudre tombe en panne, que son atelier est inondé par les pluies, Pierrette doit trouver le courage de braver le mauvais sort pour sortir la tête hors de l'eau.

Mambar Pierrette compose le portrait d'une femme décidée, ouvrière consciencieuse, qui assure et discute ses créations pour ses clientes en échangeant complaisamment avec elles. Cet environnement féminin est valorisé et suivi avec application par Rosine Mbakam qui rend hommage comme elle l'affirme à sa "mère, grand-mère, tantes, qui n'ont jamais été entendues ou vues". Son héroïne est inspirée par la figure et le sort de sa cousine couturière, Pierrette Aboheu, qui interprète le rôle principal.
Avec elle, et autour d'elle, Rosime Mbakam a construit un récit qui suit avec attention les gestes précis de Pierrette quand elle coud de belles robes, comme ses gestes laborieux pour éponger l'eau qui abîme sa maison, ses marchandises, en compromettant son labeur. Ce que confirme une cliente qui déclare : "Tu as l'air de porter tous le malheurs du Cameroun sur ta tête".

Il est vrai que dans l'atelier modeste ou la maison délabrée de Pierrette, les réflexions des femmes coquettes et commères, les traits des enfants malins, semblent le point nodal d'un récit évocateur de tranches de vie de la société camerounaise. Les hommes y sont hors-champ, hormis un clown désabusé qui sait amuser les enfants mais peine à affronter le quotidien comme il le confie à Pierrette.
La couturière par ses gestes répétés, dérisoires mais obstinés, semble livrer un combat épuisant contre l'effondrement économique et humain d'une ville camerounaise, inscrite dans la récession. C'est dans la captation patiente de ces gestes, que l'on sent la sensibilité documentaire de Rosine Mbakam, une expression poussée avec une certaine exigence envers des spectateurs habitués à des fictions plus animées.

La sobriété de la mise en scène est au service de l'humilité du propos. Avec discrétion, la réalisatrice semble s'effacer derrière le personnage campé par sa cousine, alliant la description naturaliste avec une évocation sociologique par petites touches. Les longs plans fixes, le rythme posé du film, participent à l'élaboration du tableau d'une société camerounaise où le dénuement force à transcender le quotidien. En jouant avec l'hybridité des genres, entre scènes documentaires et récit fictionnel, Mambar Pierrette propose de dévoiler des vérités comme pour permettre à son héroïne de les rejouer pour les exorciser.
Le film serait alors une mise en exergue d'un délitement que le cinéma pourrait défier en s'accomplissant. L'ombre du passé colonial, l'angoisse du présent, l'absence d'avenir se lisent sans doute dans le regard fixe d'un mannequin blanc, pendu à coté de l'atelier de Pierrette. Une présence qui "fait peur à tout le quartier, avec ses yeux qui ne se ferment jamais" comme le déclare quelqu'un. La cinéaste, elle, ne cille pas non plus en observant ses personnages, englués dans la vie camerounaise. "J'ai eu envie de faire du cinéma en regardant les gens", explique Rosine Mbakam. "Je voulais mettre ces gens au centre du cinéma". Voilà ce qui éclaire Mambar Pierrette.

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France), pour Africiné Magazine

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