Film écrit et réalisé par le cinéaste sénégalais Sembène Ousmane, La Noire de... est sorti en 1966. Il est tiré de l'œuvre littéraire Voltaïque (recueil de nouvelles, paru en 1962 chez Présence africaine) du même auteur.
Une jeune Sénégalaise, Diouana, est invitée à venir en France comme gouvernante, après avoir travaillé comme baby-sitter pour la même famille à Dakar. Très vite elle comprend que sa patronne ne l'a fait venir que pour servir de bonne à tout faire. Elle ne bénéficie d'aucun répit et sans cesse critiquée, le contraire de ce qu'on lui avait promis à son départ du Sénégal. Diouana est de plus en plus déshumanisée et triste. Elle est vue comme une fainéante, par son employeuse française.
Cinquante ans après la sortie de ce film, Sembene Ousmane reste un visionnaire. Que n'avons-nous pas lu et entendu sur des filles et surtout des jeunes qui partent en Europe. Ils cherchent un avenir meilleur et se retrouvent soit mort, soit en divagation, soit maltraité sur des espaces sans que personne ne crie au scandale. Le pire : cette souffrance se transforme en norme.
Cette relation unilatérale s'étend sur le silence de Diouana. Il convient de remettre en cause les notions surfaites des gens maîtrisant les droits de l'homme à la convenance. Dans cette situation de dominants/dominés qui se perpétue et transcende les époques, il convient de repenser les relations humaines.
Traverser le pont du bateau permet à Diouana de passer aisément d'un monde à l'autre et d'arriver à une certaine ascension sociale. De la France tant chantée, elle sera confinée dans l'appartement exigu de ses employeurs, bien loin de l'humanité de Dakar.
Que de rêves brisés, pour ces jeunes africains qui quittent leur mère patrie pour aller se chercher en Occident, par tous les moyens. Ils rêvent non seulement d'exercer une activité professionnelle, mais aussi de subvenir aux besoins de leurs familles.
L'autre pont de Diourna, c'est la couleur de sa peau. Dans une scène, elle est même utilisée comme une attraction exotique lors d'un diner avec les amis de ses patrons.
Le choc thermique assorti du choc culturel, le désert, la navigation incertaine, les passeurs le refoulement sur des plages drastiques, les papiers et la solitude ! Oui la solitude. Pas de doute : Le silence est une forme de parole révoltante, suivi de multitudes conséquences.
Le festival de Ecrans Noirs rend hommage à Sembène Ousmane, lors de sa dernière édition. Cela nous permet de revisiter ce film, à Yaoundé, comme dans plusieurs villes du monde à l'unisson (car 2023 c'est le centenaire de sa naissance).
Elise Kameni
