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LA MÈRE DE TOUS LES MENSONGES. Créer les images manquantes au Maroc
LM Documentaire de Asmae EL MOUDIR (Maroc / Arabie Saoudite / Qatar / Egypte, 2023)
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 27/02/2024
Asmae EL MOUDIR, Réalisatrice et Productrice marocaine
Asmae EL MOUDIR, Réalisatrice et Productrice marocaine
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film, avec Asmae, la réalisatrice
Scène du film, avec Asmae, la réalisatrice
L'équipe du film LA MÈRE DE TOUS LES MENSONGES, à Cannes, en 2023
L'équipe du film LA MÈRE DE TOUS LES MENSONGES, à Cannes, en 2023
Hatem NECHI, Directeur Photo du film
Hatem NECHI, Directeur Photo du film
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE

LM Documentaire de Asmae EL MOUDIR, Maroc / Arabie Saoudite / Qatar / Egypte, 2023
Sortie France : 28 février 2024
Distribution (France) : Arizona Distribution

Il y a des cinéastes qui aiment exposer leur histoire personnelle pour mieux faire découvrir celle de leurs pays. Asmae El Moudir poursuit cette voie avec La Mère de tous les mensonges, un documentaire énoncé à la première personne, et la collaboration de ses proches, famille et voisins. Avec ce long-métrage, retenu au Festival de Cannes 2023 dans la section Un certain regard, la réalisatrice marocaine s'affirme dans une production confortée par l'Arabie Saoudite, le Qatar et l'Egypte.
Formée au cinéma à la Femis de Paris, à l'Institut supérieur de l'information et de la communication de Rabat, mais aussi à Tétouan, Asmae El Moudir s'est rôdée en tournant des sujets pour SNRT, Al Jazeera Documentary, BBC ou Al Araby TV. Après des courts comme Rough Cut, 2015, The Postcard, 2020, un moyen métrage, elle se lance dans une coproduction plus personnelle avec La Mère de tous les mensonges.



L'interrogation qui lance le film s'appuie sur une photo de la cinéaste à 12 ans, qui est la seule image de son enfance. Doutant que ce soit elle, elle pense que sa mère lui a menti pour la rassurer, prétextant que la grand-mère refuse toute représentation humaine dans la maison à cause des interdits religieux. Marquée par l'absence de photos familiales, Asmae El Moudir revient dans le quartier de Casablanca où elle a grandi, après quelques années passées à l'étranger.
A la faveur du déménagement de ses parents, elle reprend ses investigations sur la photo et s'aperçoit que l'on inaugure un cimetière proche, dédié aux victimes des Emeutes du pain en 1981. C'est alors qu'elle établit un lien entre ces événements occultés et le silence qui accompagne l'absence d'images. Elle entreprend le film pour questionner le présent et éclairer le passé, à l'aide de maquettes, de figurines animées mais aussi d'entretiens en prises de vues réelles, combinées pour réaliser La Mère de tous les mensonges.

"La question des images m'a semblé être une manière pertinente de parler de mon pays", explique Asmae El Moudir. "Une seule photo du jour des Emeutes du pain a survécu à toutes ces années : une photo en noir et blanc de personnes mortes dans la rue. Toutes les autres ont été détruites. Il n'y a pas d'archives nationales." En réveillant les souvenirs de cette période, la réalisatrice fait ressurgir le soulèvement populaire de Casablanca, le 20 juin 1981, où les gens des quartiers pauvres manifestent contre l'augmentation excessive du prix de la farine.
Aiguisés par les syndicats qui voulaient une grève nationale, les manifestants ont été violemment réprimés par la police. Cet événement qui a marqué les "années de plomb" imposées par Hassan II, a fait plus d'un millier de victimes dont les corps ont été raflés par la police pour effacer les traces des émeutes. Cette réalité vécue, et tue par sa famille, incite Asmae El Moudir à reconstruire l'architecture de son environnement pour réaliser le film.

"J'ai décidé de créer une réplique miniature du quartier de Sebata et de notre maison", commente la cinéaste. "C'était une façon de reconstituer librement les faits à travers les souvenirs de chacun d'entre nous." Son père, maçon, construit les petites maisons, secondé par un décorateur, sa mère habille de costumes les figurines miniatures qui circulent dans les décors. "Les scènes tournées avec des figurines ont été associées à des séquences réelles grâce à des transitions douces en terme de lumière et d'espace, construisant ainsi une sorte de récit ultra personnel qui ramène toujours la politique à un niveau personnel", estime la cinéaste.

Elle multiplie les mouvements de caméra, épaulée par l'opératrice, Hatem Nechi, en justifiant : "Il est difficile de construire son identité lorsque tous ses souvenirs ne sont pas fiables. Je passe d'une pièce à l'autre, d'une histoire à l'autre, par association d'idées et d'objets." L'animation permet de révéler ce qui n'est plus mais qui a été, comme l'indique Asmae El Moudir : "Avec les miniatures, j'ai montré la vie quotidienne de notre maison, la vie dans la quartier quand j'étais enfant, et la structure du pouvoir à l'intérieur de notre maison. Elles nous ont permis de comprendre les mécanismes de la famille."



Le présent, représenté par des images réelles, est constitué par les témoignages des voisins ou des vues du cimetière dans lequel la réalisatrice enquête sur les disparus du soulèvement de 1981. "L'objectif était de créer une progression dramatique avec des pics émotionnels comme sur le cimetière et les Emeutes du pain", insiste Asmae El Moudir, soucieuse de signer un documentaire bien construit. "J'ai équilibré ces pics avec des histoires plus légères, des histoires de famille pleines d'humour, mêlant le regard innocent de l'enfant et l'analyse rationnelle de l'adulte."

Des éléments récurrents comme les photos, le décor des studios photos marocains d'époque avec en fond, une image exotique de Hawaï, servent de leitmotivs pour rythmer une réflexion sur la représentation et la mémoire, portée par la voix off de la réalisatrice et la musique de Nass El Ghiwane. Présente par fragments dans des miroirs ou en figurine parmi les miniatures, la cinéaste marie son implication personnelle avec les artifices du cinéma. Il s'agit ainsi comme le souhaite Asmae El Moudir, "de faire un film sur la multiplicité des points de vue et la pluralité des interprétations qui existent au sein d'un même foyer, non seulement dans l'intérêt de l'histoire familiale, mais aussi dans celui de l'histoire nationale."

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France)
pour Africiné Magazine

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