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Persécuté jusqu'aux os
L'assassinat de Félix Moumié - L'Afrique sous contrôle, de Frank Garbely
critique
rédigé par Martial Ebenezer Nguéa
publié le 19/09/2006
Martial E. Nguéa
Martial E. Nguéa

Le film sur le héros des indépendances au Cameroun, Félix Roland Moumié, réalisé par le Suisse Frank Garbely est un retour pathétique sur ses derniers jours.

Inlassablement, les images, les voix se succèdent à l'écran, en boucle. Elles semblent remonter le cours d'une histoire traumatisée, le destin tragique d'un homme. Félix Roland Moumié, leader nationaliste de l'Union des Populations du Cameroun, UPC, s'est violemment opposé à la tutelle française pendant la période trouble des indépendances africaines. Il l'a payé au prix de sa vie, victime presque inutile d'un empoisonnement à Bruxelles.

De prime abord, il pourrait s'agir d'une histoire banale, mais, l'intérêt du spectateur grandit progressivement au fur et à mesure que l'histoire de toute un peuple, d'un pays, d'une nation est racontée à travers tout le tragique de ceux qu'on a qualifié de martyrs de l'indépendance du Cameroun. Le documentaire réalisé par Franck Garbely, un réalisateur du nord qui se découvre une passion (désintéressée ?) du sud.

Histoire

Le destin de Moumié, aujourd'hui célébré par ses compatriotes et compagnons de combat, apparaît exemplaire, eux qui lui consacrent une fête annuelle, la semaine des martyrs, commémorée par les militants du parti politique, l'Upc. Le film commence au Cameroun. Moumié, tel que relaté, s'enfuit au Cameroun anglophone, pour échapper à la machine à tuer coloniale. Il traverse le fleuve Moungo, frontière naturelle entre les deux parties du Cameroun de l'époque, partagée entre la France et l'Angleterre. Il transite par le Nigeria pour atterrir finalement en Suisse. Il y dépose ses valises chez Liliane Boesch, une compagne visiblement fauchée, agrippée à la hanche du héros noir. Pendant une dizaine de jours, la vie de cet enfant d'Afrique va basculer et devenir une véritable saga. Il va transporter son combat à travers l'Europe, Zurich, Genève, où il multiplie des rencontres. Puis un soir, il se rend à un rendez-vous qui finit mal. Un pseudo journaliste, William Brechtel, a réussi à arracher un dîner avec celui qui porte désormais le flambeau du nationalisme camerounais. En réalité, le journaliste n'est qu'un agent secret, à la solde de ses pisteurs. Il accomplira la sale besogne de verser le Tallium® dans le verre de whisky de Moumié, qui mourra quelques heures seulement après en avoir ingurgité la dose trop importante du poison.

Tel un polar, le documentaire dépeint la tumultueuse vie et la douloureuse fin de cet homme, dont l'épouse, Marthe Ekemeyong, restée au pays, subira quelques violences des services de renseignements et de la police politique. De l'exil en Guinée Equatoriale à la vie en Guinée Konakry, elle ne vivra que pour une ultime cause : la vérité de l'histoire. Et le réalisateur présente, sous forme de document historique à garder à tout prix, l'épisode de l'arrestation et de la libération pour cause de non lieu de William Brechtel, principal suspect dans la mort de Félix Moumié.

À travers une fouille déterminée, le film retrace cette histoire avec les témoignages poignants des principaux acteurs, à la fois au Cameroun, en Suisse et en France. Toutefois, le mystère demeure. En réalité, la tentation cinématographique de révéler les faits pour une meilleure reconstitution de l'histoire, à travers l'itinéraire de Marthe Moumié, pourfendeuse des idées de son défunt époux, rend le film quelque peu paradoxal, à présenter comme naturelle une certaine réalité de cet assassinat. Le cinéaste devient pour le cinéphile l'instigateur d'un mouvement de révolte individuel, où chacun dans son for intérieur lutte contre la réalité pour ne pas entendre tonner haut et fort, les chiffres de ce qu'on peut appeler Génocide camerounais, au paravent de la colonisation française au Cameroun. Des milliers de morts broyés par l'histoire, que les jeunes ne connaissent guère.
Du coup, si le déclassement des héros, comme de tout individu broyé par l'histoire, comporte une dimension à la fois tragique, il n'en demeure pas moins drôle, truculent de la volonté du politique africain d'obstruer la réalité. La dimension picaresque, comique, demeure ; l'ensemble des mécanismes concourrant à rendre énigmatique la réalité.
Le film fait dès lors office d'une construction directe en alliant dans ses principaux éléments extraits de journaux, de témoignages vivants et off et une mise en scène de l'épouse du défunt car s'il y a une chose qui soit frappante dans son action c'est la continuité légendaire des systèmes de démocratie apaisée sur la parole morte du système totalitaire Ahidjo. En tout cas, même si les ossements de Félix Roland Moumié, enterrés en Guinée Conakry, sa deuxième patrie, sont ramassés par la France, est-ce que la jeunesse camerounaise est au courant ?

En fait, que ce soit Ben Barka, Mobutu roi du Zaïre de Thierry Michel, et bien d'autres, les Africains vont progressivement vers la reconstruction des mémoires, signe d'un nouveau départ sociopolitique.

Et Félix Moumié reste donc dans la veine de ces films qui ambitionnent un retour orthodoxe à la réalité, signe d'un éventuel nouveau décollage.

Martial Nguéa

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