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Deux fois déçue en amour
Double Set-Up, de Princess Manka BRIDGET (Cameroun)
critique
rédigé par Télesphore Mba Bizo
publié le 15/05/2007

Le cinéma camerounais d'expression anglaise vient de s'enrichir d'une nouvelle production. Le film Double Set-Up de Princess Manka Bridget a été présenté au public de Buéa, chef-lieu de la province du Sud-Ouest, le 04 mai 2007. Ce long métrage tourné au Cameroun et en Hollande, pays d'adoption de la réalisatrice, retrace le chemin de la jalousie qui déchire deux amies intimes.

Cardiaques, abstenez-vous ! Les dernières scènes et séquences de l'oeuvre cinématographique Double Set-Up (NOTE 1) narrent la descente aux enfers d'une Juste.

Grâce, campée par Princess Manka Bridget, perd son époux aux Pays-Bas par grandeur d'âme au profit de la cadette de Susan, sa meilleure amie. En consolation, elle accepte un cueilleur de vin de palme dans son lit. La sinistrée du coeur claque ses économies pour offrir à son amant de fortune un noble profil : exportateur de cacao. Quand commence l'essor du commerce des fèves, l'arriviste et nouveau mari va fondre pour d'autres yeux que ceux de Grâce, sans chercher très loin du reste. À ce moment, la vie de l'héroïne cesse d'être du chocolat, car le sol de la belle et rebelle ville de Bamenda se dérobe (au propre comme au figuré) sous ses pieds.

Tout le mérite de Princess Manka Bridget réside dans la construction du sens à donner à la double déchirure de l'héroïne. Sa caméra affectionne les gros et très gros plans pour montrer le visage pâle de la méchanceté ambiante à Bamenda. Elle diagnostique la perte des valeurs de sincérité et loyauté en amitié à cause de la poussée urbaine et moderne. Les projecteurs de la réalisatrice mettent en lumière une aigreur et une jalousie qu'entretiennent la pauvreté matérielle et la peur du lendemain. Dans un contexte où le secteur privé est moribond et où les pouvoirs publics déçoivent les attentes d'une armée de diplômés en chômage, d'aucuns choisissent de mordre leurs semblables qui ont pu se faire une place au soleil. Jamais l'expression "l'homme est un loup pour l'homme" (NOTE 2) n'a déployé autant de pertinence.

Le costumier du film s'engage également dans la construction des significations majeures comme la cruauté. La preuve : les vêtements noirs ou rouges de Susan, dans une incarnation aboutie de la méchante, lui vont comme un gant. Ces couleurs ont pour dénominateur commun la prémonition du malheur.

Le second motif de satisfaction est l'exploitation appropriée des chansons à thème. La musique extradiégétique des chanteurs à voix comme Richard Bona donne au film d'entretenir la tension dramatique. Il faut, en outre, souligner la déthéâtralisation du jeu des acteurs. Le naturel prend le meilleur sur les attitudes robotiques et figées.

Un examen critique de Double Set-Up autorise de plaquer à l'observation la condamnation du voyage et, partant, du nomadisme. Le déplacement Amsterdam-Bamenda est un départ à destination de la malédiction car il est déclencheur de la série noire des amours brisées. En d'autres termes, le film acclame le sédentarisme par le biais de l'exploitation inflationniste des décors intérieurs et des ellipses. La caméra immortalise à peine les extérieurs pour freiner les aventures.
Le second degré de vouloir-dire de ce rejet du nomadisme est sexuel. La preuve, tous les deux époux de Grâce papillonnent d'une femme à l'autre. Par conséquent, ils sont relégués à la périphérie sociale. Au centre, le pouvoir de décision revient à la gente féminine. Au final, l'homme est un pantin à la solde des caprices du sexe opposé. Captif de sa libido, il est en souffrance passive, à la marge de la communauté, à l'attente de l'action de la femme. Cette déshumanisation des mâles querelle et invalide leur statut de personnage pour les réduire à leur plus simple expression : pas mieux que des décors ordinaires. En profondeur, il s'agit d'un renversement de rôles. La femme, établie comme meuble ou objet dans le réel africain, opte pour l'offensive dans l'imaginaire cinématographique.

Toutefois, nombre de faits sont reprochables à Princess Manka Bridget. D'abord, son produit dégage de très fortes senteurs de Nollywood. En effet, les dialogues sont très home video. Il y a un abus de la formule champ/contre-champ. Toutes les conversations sont verbo-centrées. Aucune parole ne vient du hors-champ, si ce n'est le bruit ambiant de la circulation routière. À ce niveau, il est évident que le perchiste ou le preneur de son, s'il y en a eu, s'est planté car le son d'ambiance noie la piste des dialogues de bien de séquences. Enfin, la chute du film est trop ouverte. La réalisatrice ne semble condamner ni la naïveté (de Grâce) ni le sadisme (de Susan), l'anti-héros. Certes, l'héroïne est présentée comme une loque humaine, mais, elle s'était déjà remise de la première déception amoureuse au début du film. Aussi est-il possible qu'elle se construise un nouvel univers quitte à essuyer le revers d'un énième déboire si tel est son destin. Par conséquent, le doute occupe la fin de l'œuvre. Peut-être la réalisatrice laisse-t-elle le choix de la sanction des uns et des autres entre les mains de Dieu comme le mentionne la publicité du film : "Only God can set her free from the set-up" (NOTE 3).

Télesphore MBA BIZO
Cameroun

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