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TARFAYA, Bab El Bahr, ou la fin d'un rêve
TARFAYA, Bab El Bahr, de Daoud AOULAD SAYYAD (Maroc)
critique
rédigé par Nourddine Bendriss
publié le 18/01/2006

TARFAYA, Bab El Bahr - réalisé par Daoud Aoulad Sayyad - Maroc - 2004 - 1h37min - Fiction -

Le 3ème film de Daoud Aoulad Sayyad, Tarfaya, Bab El Bahr, mérite une attention particulière bien qu'il aborde un thème, celui de l'émigration, qui a déjà fait couler beaucoup d'encre et fait l'objet de nombreuses adaptations cinématographiques. L'engouement des artistes pour ce phénomène tragique provient sans doute de cette ruée désespérée de nos jeunes vers une certaine terre promise où la fortune serait infailliblement au rendez-vous. Cependant, la prolifération des films sur l'émigration clandestine met les cinéastes marocains devant un grand défi : Comment appréhender ce sujet problématique sans tomber dans la redondance et la répétition ? A ce propos, Tarfaya est justement un film qui sort des sentiers battus et appréhende ce phénomène avec une certaine originalité aussi bien au niveau technique qu'esthétique. Son renouveau réside entre autres dans le choix du personnage central, de l'intrigue et du cadre de l'action. En effet, le personnage principal, héros-candidat à l'émigration est une jeune fille d'une vingtaine d'années. Ce choix d'un personnage féminin donne à l'intrigue du film une autre dimension et place le spectateur devant l'ampleur réelle de ce drame qui fait quotidiennement des dizaines de victimes. En outre, il montre que l'émigration clandestine n'est pas seulement l'apanage des hommes.


Le film est l'odyssée d'une jeune fille, Miriem (le choix d'un prénom à connotation religieuse n'est pas fortuit ; il fait référence à la virginité et à la pureté) qui, bravant les lois de la famille et de la société, s'élance dans une aventure périlleuse pour accomplir son rêve de liberté et d'indépendance. Ses tribulations la mènent à des rencontres désagréables et la mettent dans des situations dangereuses. Le fait d'abandonner l'espace "traditionnel", l'espace féminin du foyer, imposé par les hommes et les traditions et de pénétrer comme par effraction dans l'espace masculin (le café, l'hôtel, le bateau de pêche…) ne va pas sans risque. Cette quête de liberté et d'indépendance par des moyens traditionnellement masculins, Miriem la payera de sa chair, risquant de se faire violer à maintes reprises par les gardiens de cet espace, les hommes, qui ne la perçoivent qu'en tant qu'objet sexuel (le représentant de l'autorité local, Hassan "l'escroc", ou l'équipage du bateau). "Toute femme, dira Abdessamad Dialmy, dans l'espace public, est considérée par l'homme comme une femme accessible" (1).


A ce niveau Tarfaya pourrait se lire donc comme un film sur la condition de la femme marocaine qui, avant la réforme de la Moudawana [code marocain de la famille], luttait depuis des années pour acquérir plus de liberté et de reconnaissance de la part des hommes.


Le cadre de l'action est lui aussi inhabituel. L'action du film se déroule dans les régions du sud, à Tarfaya où, paradoxalement, l'immensité de l'espace se trouve niée par les limites de la topographie (le sable, la mer) mais aussi par les menaces invisibles. On y trouve ce double principe de l'enfermement et de l'encerclement qui préside à la progression du film et qui est exprimé par plusieurs métaphores à valeur prémonitoire. Il y a d'abord ces dizaines de cages où Hassan enferme des centaines d'oiseaux. D'ailleurs, il exprime lui-même ce désir d'enfermer Miriem lorsqu'elle se hasarde chez lui pour lui soutirer la somme de vingt mille dirhams. Il lui dira "Je peux t'enfermer ici si je le désire" . Puis il y a les deux chambres où Miriem séjourne en attendant le jour du départ (celle de l'hôtel Sévilla et celle de la maison de hajja). L'espace se présente alors comme une force antagoniste qui, avec les autres forces agissantes (les hommes) , s'oppose au désir du personnage et entrave sa quête (de liberté).
L'idée de placer un personnage féminin au centre d'actions réservées, en principe, aux hommes, permet au réalisateur de remettre en question certains mythes masculins et propose une vision plus réaliste d'un phénomène qui ne cesse de prendre des dimensions catastrophiques.


Le choix de l'actrice est aussi un succès. Touria Alaoui est sublime dans le rôle d'une candidate à l'émigration. Sa silhouette frêle et sa voix un peu chantonnante lui ont permis, entre autres qualités de l'actrice, d'assumer son rôle avec beaucoup d'aisance et de savoir-faire.

Nourddine BENDRISS
Maroc

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