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La vie malgré tout
Zozo, de Josef FARES (Liban-Suède)
critique
rédigé par Meriam Azizi
publié le 06/08/2006

Après Jalla! Jalla! et Kops, Joseph Fares, poursuit son parcours cinématographique avec la sortie de son troisième long métrage, Zouzou. Une vision personnelle et à la limite de l'autobiographique sous-tend la trame de l'histoire. Le personnage principal de Zouzou, qui tient le rôle éponyme y est contraint de s'embarquer dans une épopée solitaire et jonchée d'embuscades.
Ce drame est tout d'abord l'histoire d'une enfance sauvée par providence, celle de Zouzou ayant pour toile de fond la guerre civile au Liban. Après avoir perdu tous les membres de sa famille le jour même de leur départ au Suède, l'enfant se retrouve face à sa solitude absolue au centre d'une ville fantomatique et délabrée. Le voyage qui allait paisiblement et tendrement se réaliser se transforme subitement en une fuite sans repères. Seul refuge et retour aux origines, les grands-parents qui l'ont accueilli sur une terre étrangère, "terra incognita" où l'intégration est un passage obligé.

Le récit filmique repose sur une structure binaire, toutefois asymétrique. Les deux épisodes se déroulent sur deux géographies qui assurent aux événements le cadre spatial. D'un côté le Liban (40% du tournage) où le protagoniste a grandi au sein d'une famille qui semble indéfectiblement soudée, de l'autre le Suède, un pays appréhendé et totalement ignoré. Deux mondes diamétralement opposés se superposent. Celui des enfants, de Zouzou épaulé par ses adjuvants en la personne de Rita et de son compagnon de classe suédois. Un univers où s'annulent les frontières entre le réel et l'irréel. Rita, dont la première apparition, autant dire une intervention divine, a arraché l'orphelin à sa faim, est obstinée à le conduire jusqu'à bon port. Elle défie l'autorité parentale et annonce à sa sœur tout naturellement, le lendemain matin, après avoir fait entré clandestinement le fugitif : "je pars avec mon ami au Suède, surtout ne dis rien à mon père". Le personnage du poussin, repéré par Zouzou au même moment où la caméra l'isolant, le détache d'un groupe d'écoliers, s'ajoute à la liste des acteurs de ce monde utopique où le possible n'a pas de limites. L'humanisation de cette créature en la dotant d'une voix masculine, et d'un statut de confident introduit une touche surréaliste. À cet univers d'enchantements, d'insouciance et de rêves légitimes s'oppose le monde des adultes. Dans un contexte de guerre où la perception du monde par un enfant peut équivaloir, au regard du spectateur, à un échappatoire, le rappel à l'ordre et à la réalité se transforme en un acte doublement poignant. Deux incidents illustrent l'antagonisme entre l'absolue candeur de l'enfance et l'inébranlable intransigeance de l'adulte. Le premier correspond à la séquence où la mère de Zouzou surprenant son fils en train de proposer au poussin de partir avec lui au Suède, met fin à la production imaginative de l'enfant qui doit comprendre l'évidence de la vanité d'un acte impensable. Le deuxième incident significatif de la désillusion est représenté par le plan où Rita prenant conscience de l'échec de sa stratégie, se livre à la colère de son père incapable de se retenir de la rouer de coups sous les yeux de Zouzou.
L'épisode au Suède retrace l'apprentissage de l'intégration et de la résistance face à la récurrence des attitudes xénophobes. Mis à ban, au sein de l'école, l'étranger dans l'impéritie de riposter, recourt ingénument à un subterfuge : séduire ses camarades en les couvrant de cadeaux, leur fournir des crayons de couleurs volés à la librairie. Une amitié artificielle aussitôt évincée en faveur d'une amitié vraie. Zouzou se trouve en connivence avec le plus retiré et le plus calme de sa classe, une âme sensible dont on perçoit difficilement la voix tant elle est discrète. Leur première rencontre est mise en scène par un travelling avant à focalisation interne, découvrant, dans un coin de la cour un jeune garçon plongé dans sa lecture. À l'entrée de Zouzou dans le champ, la discussion s'établit, augurant d'une relation authentique. La tonalité tragique des événements est atténuée par un comique de situation que figure le grand-père, personnage constamment rouspéteur. Un certain mécanisme tel que la répétition de scènes où pour défendre son petit-fils, en crachant des insultes en dialecte libanais, il se jette sur l'adversaire, ne laisse pas de déclencher le fou rire. Autant dire qu'un Libanais, où qu'il soit, demeure toujours libanais.
Le film offre d'autre part quelques marques d'une cinématographie moderne. Le choix des plans, notamment le plan de raccord qui nous montre un ciel en pleine nuit se rétrécir progressivement pour ne devenir qu'une portion observée d'une fenêtre d'avion, dénote une technique de montage bien déterminée. Du point de vue de la cinématique, le mouvement rotatif de la caméra qui prend au centre de leur quartier en ruine, les deux frères terrorisés marque un arrêt dans le temps, mais aussi celui de la vie. En somme, le langage cinématographique de Joseph Fares qui appartient au paysage filmique d'après la guerre civile s'inscrit dans une continuité esthétique, historique et politique commune dont Le Cerf-volant, Safar Barlik et Bosta portent les caractéristiques. Il reste à signaler que Zouzou n'est pas sans rappeler le film phare, représentatif de ce genre à mi-chemin entre la fiction et le documentaire : West Beirut.

Meriam AZIZI
Tunisie

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