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L'œuvre d'un cinéaste en colère
Soleil des Hyènes, de Ridha Béhi
critique
rédigé par Abdelfattah Fakhfakh
publié le 28/11/2006

Ce n'était pas la première fois que je voyais le film Soleil des Hyènes, je l'avais vu une première fois, lors de sa sortie dans les années soixante dix. L'occasion qui vient de m'être donnée de le revoir m'amène à parler d'une véritable redécouverte de cette œuvre.
Rappelons que le film retrace l'itinéraire d'un paisible village côtier tunisien vivant essentiellement de la pêche et sur fond d'une économie d'échange traditionnelle équilibrée… Jusqu'au jour où un groupe financier européen (allemand, en l'occurrence) jeta son dévolu sur le site, y débarqua, pour y construire un centre touristique.
Le projet se réalisa tel que prévu et ce, grâce, d'une part, au concours de l'Administration, et d'autre part, à l'implication et à l'enthousiasme de certains habitants du village et des notables de la région. La vie au village s'en trouva littéralement bouleversée : les pêcheurs – le gros des habitants du village - abandonnèrent leurs filets de pêche au profit de pelles et de brouettes, d'autres se sont reconvertis pour s'adapter à la nouvelle situation, le village s'en trouva quasiment défiguré. Certains résistèrent un moment puis finirent par se résigner, le combat étant à armes inégales.
Avec le recul du temps, il est possible de dire que Ridha Béhi avait été extrêmement audacieux. Il avait choisi de dire, "ici et maintenant", ce qu'il avait à dire, ce qu'il "pensait être de son devoir de dire". Soleil des Hyènes est à ranger dans la catégorie des œuvres d'hommes en colère, une colère saine et salutaire.
Ridha Béhi aura eu ainsi le courage, malgré sa jeunesse et la fragilité de son expérience cinématographique - c'était, il faut le souligner, son premier long métrage - de dire non au tourisme de masse, une option pourtant stratégique, "sacro - sainte", dans la politique de développement du pays et ce, depuis le début des années soixante.
Pour être juste et ne pas prêter à Ridha Béhi des idées "passéistes", il est bon de souligner que celui-ci n'est pas contre le tourisme dans l'absolu, il est plutôt contre un certain type de tourisme, tourné quasi-uniquement vers la recherche du profit, un tourisme qui déstructure brutalement l'économie locale, porte atteinte à la culture du pays et à la dignité humaine et perturbe les écosystèmes...Le propos est clair, c'est également une dénonciation du "néo-colonialisme" dans sa forme la plus franche, la plus éhontée.
Quant au style, il s'agit d'un cinéma sobre, fondé sur une économie de moyens, au sens plein du terme, un cinéma allant, sans tapage, sans fioritures, droit au but, avec une sincérité telle que trente ans après, le film conserve une formidable force, une éternelle jeunesse.
Ridha Béhi a réussi à placer sa caméra, tout au long du film, au moment voulu, à l'endroit voulu, pour nous restituer tantôt des lieux, tantôt des silences, tantôt des murmures et à d'autres moments des visages, filmés au plus près parfois, pour capter, saisir des émotions et les fixer à jamais sur la pellicule.
Les acteurs et actrices s'y sont prêtés tous et toutes avec bonheur à l'instar de Ahmed Senoussi, de Hélène Catzaras, de Mahmoud Morsi et de Mohamed Habachi. Ceux-ci, entre autres, se sont acquittés au mieux de leurs rôles donnant vie et âme à des personnages, vrais, sans que ceux-ci aient été pour autant complexes et fouillés…
Dommage que certains des personnages du film n'aient pas pu bénéficier d'un meilleur traitement, plus nuancé, plus crédible. Ainsi, en est il des investisseurs étrangers et de leurs complices locaux –dont le omda - qui sont traités "cavalièrement", personnages minces, sans épaisseur, sans états d'âmes, autant dire des caricatures…il en est de même de certaines scènes telle que celle où des touristes se font platement photographier alors qu'ils faisaient l'aumône à un autochtone, pauvre et démuni ?
Mais pouvait-il en être autrement pour un film volontairement subjectif et engagé ? Est-ce que le réalisateur n'avait pas sciemment forcé la dose pour faire passer un message clair quitte à tomber dans un certain didactisme ?
Pour finir, nous dirions que Soleil des Hyènes, au-delà de ces quelques travers, est de par sa beauté simple et limpide, sans ornement superflu, un bijou taillé finement, avec amour et devrait être, obligatoirement et en permanence, exposé, pour être vu par tout le monde, pour que tous les Tunisiens, en premier lieu, et les autres ensuite, puissent précisément admirer son éclat, éternel et renouvelé et s'en enorgueillir. Mais n'allez surtout pas croire que Soleil des Hyènes est le seul film tunisien à mériter ce sort. D'autres films tunisiens méritent d'êtres "protégés", "conservés", prêts à tous moments à être "visionnés" pour que les générations actuelles et à venir puissent par dizaines, centaines, milliers les connaître, s'y reconnaître, y repérer un moment de leur histoire, un moment de leur humanité.

Abdelfatteh FAKHFAKH

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