AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
25 019 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
L'enfant du déshonneur
L'Enfant peau rouge, de Gérard Essomba
critique
rédigé par Jacques Bessala Manga
publié le 26/12/2006
Jacques Bessala Manga
Jacques Bessala Manga
Gérard ESSOMBA Many
Gérard ESSOMBA Many

La naissance d'un enfant n'est jamais chose banale en Afrique. Celle d'un enfant albinos, qui plus est issu d'un viol au sein même de la famille royale, l'est encore moins. C'est pourtant le décryptage impossible auquel Gérard Essomba convie les spectateurs à travers L'Enfant peau rouge, son dernier film où il officie en tant que producteur réalisateur. Un rôle qu'on ne lui connaît pas beaucoup, mais qu'il a assumé avec l'égal bonheur que l'on savoure le comédien qu'il est plus souvent.

L'Enfant peau rouge s'ouvre sur la majesté d'une cour royale, dont les décors naturels et les costumes des comédiens, agréablement harmonisés par les bons soins de Saint-Père Abiassi, trahissent toute la solennité, voire toute la gravité de l'instant, du sujet. Les assises, mieux, le procès qui ne dit pourtant pas son nom, c'est celui de cet enfant du malheur dont la seule existence menace la survie de la dynastie, dont la mère, une princesse elle-même adultérine, a été exilée et condamnée par la suite à être sacrifiée de la main de sa propre mère sur l'autel de l'honneur bafoué du royaume.

Tous les ingrédients de la tragédie sont agréablement réunis par le génie du réalisateur, qui laisse les intrigues sourdes et les conspirations veules de cours royales s'imbriquer dans un humour qui n'est jamais absent dans le cas d'espèce. L'histoire ressemble d'emblée à un conte épique, rehaussé par la voix off langoureuse de Jacques Martial, qui a en outre réalisé les doublages des voix de certains comédiens, relayée ensuite par celle de l'enfant à la peau bizarrement rouge, qui en rajoute à la mélancolie du film tout entier. Un monde triste à mourir qui fait dire à l'enfant peau rouge "que faut-il pour que tout soit parfait" ? Car, rien n'est parfait dans cette histoire pathétique. Tout peut-il être parfait ? La naïveté de l'enfant prend ici le dessus sur l'implacable réalité de la vie : la perfection n'est pas de ce monde.

Le format du film, 26 minutes, a donc semblé imposer au réalisateur des choix esthétiques et techniques qui alternent entre la forme romancée et le pur jeu d'acteurs, au demeurant très digeste. Un découpage particulier, subtilement agencé par un flash back, permet au spectateur de respirer entre deux scénettes. Les musiques choisies avec intelligence, les danses de balafon très enlevées et particulièrement suggestives, alternées par le classique, en rajoutent à cette tragédie qui se noue sous les apparences d'une révolution ordinaire de palais. Autrement, la vitesse du film aurait été assommante, tant l'intrigue est hautement soutenue.

Entre la froideur d'un roi silencieux, Daniel Ndo, qui porte à la perfection la majesté de ses attributs, qui ordonne du signe et à qui on obéit sans coup férir, le cynisme d'une reine, Blanche Billongo, qui s'implique dans tous les coups tordus de la cour lorsqu'elle n'en est pas l'instigatrice, ou même l'insouciance d'une princesse, Patricia Balkalal, objet de toutes les concupiscences, de tous les désirs et finalement de tous les malheurs, il y a comme juge arbitre, la candeur de cet enfant à la couleur peu ordinaire, rouge, dont la vie est sujette à tous les hasards et autres turpitudes de son entourage. Au final, le réalisateur semble avoir fait le choix du moralement correct, en préservant la vie de cet innocent, en refusant un infanticide qui est suspendu dans l'air dès l'entame même du film. Les nombreuses ellipses des scènes qui auraient pu choquer un certain public jeune ou tout simplement sensible, notamment les scènes de viol qui sont heureusement effleurées, ou encore la chute de la princesse du haut du rocher vers le fleuve, confortent cette option esthétique judicieuse.

On aurait pourtant aimé regarder une œuvre de grand format, tant la thématique de l'enfant albinos dans la société africaine, ou même de l'enfant adultérin tout simplement, abordée du prisme de Gérard Essomba, donne à penser et ne laisse personne indifférent. Francis Bebey avait d'ailleurs abordé une thématique ressemblante dans son roman Le fils d'Agatha Moudio. Mais les contraintes budgétaires qui semblent avoir pesé de tout leur poids sur le projet initial n'ont pas permis pareille entreprise. Il reste néanmoins constant que ce film devra s'inscrire dans la tradition des œuvres anthropologiques majeures de ces dernières années en Afrique, en tant qu'elle permet d'infiltrer l'intimité des cours royales de l'ouest du Cameroun. L'auteur quant à lui est resté très proche de cet univers de royauté, de pouvoir, de cour et de majesté qu'il a su si bien incarner dans Pièces d'identités de Mwézé Ngangura, ou encore de Christophe, dans la fameuse Tragédie du roi Christophe, pièce de théâtre qu'il a interprétée devant un parterre de personnalités à Dakar, lors de la célébration du bicentenaire de l'abolition de l'esclavage en 1989.

Finalement, il faudra se contenter de ce court métrage, qui se laisse regarder d'une traite, comme une bonne nouvelle littéraire, mais dont la durée n'entame en rien la qualité d'une œuvre qui porte à la perfection tout le bien que l'on pensait déjà de son créateur.

Jacques Bessala Manga
Cinépress Cameroun

Films liés
Artistes liés
Structures liées