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Le show d'une guitare marocaine hard
Les anges de Satan, de Ahmed Boulane (Maroc)
critique
rédigé par M'barek Housni
publié le 03/04/2007

Un deuxième opus, sur un fait divers, pour saisir l'occasion de parler de quelques réels tracas au Maroc d'aujourd'hui. Ça se fait sur un large fond de musique non conventionnelle et ça donne un film "musical" qui se mêle trop de politique. Mais le réalisateur ne s'en est jamais caché, et il le crie fort à chaque fois pour dire ce qu'il pense sur ce qui se passe. Déjà son premier film retrace l'histoire d'une bande d'amis pris dans la fièvre de l'idéologie gauche et gauchisante des années de plomb. Cette fois-ci il s'agit aussi d'une bande de jeunes gens du début du troisième millénaire, mais qui s'occupe, elle de musique.
En fait c'est un groupe de musiciens de hard rock. Ils fument bien des pétards, s'adonnent au plaisir du corps et du copinage entre deux concerts, mais ils ne font pas de politique, ils vivent leur jeunesse tout simplement, avec des éclats colorés et des écarts innocents vis à vis de la morale dominante. Un peu trop, au goût d'une certaine partie de la société. Ils seront filés par la police, incarcérés et traînés devant la justice. L'accusation : ils célèbrent le culte du diable, ils ont Satan pour guide ! Les outils : des tee-shirts, un modèle de crâne humain, des paroles, des rumeurs, l'allure vestimentaire non-conformiste. Des pratiques "difficilement" tolérées dans un pays traditionnel et pris dans les vents des magmas des courants politiques fondamentalistes.
Ahmed Boulane s'immisce là justement et montre ça avec des scènes la nuit, sur des estrades, entre eux, dans les cafés. Il prend partie. Il est, comme on peut le deviner, du côté de la musique, c'est à dire de la vie. Mais comment le montre-t-il ?

La reconstitution

En fait le réalisateur prend à sa charge de raconter toute l'histoire de cette bande. Chose pas facile puisqu'il nécessite de raconter mais en privilégiant l'outil de la fiction et s'éloigner de la tentation du reportage. Des faits tels qu'ils ont été étalés dans la presse, il fallait dénicher une trame susceptible d'être portée au grand écran. A. Boulane opte à ce propos pour la linéarité du récit, suivi pas à pas en axant le déroulement vers le moment propice du tribunal, qui s'avère être une séance de jugement de toute une société en malaise avec elle-même, dans ce qu'elle a de plus fragile et de plus vulnérable, à savoir s'allier les bienfaits de la modernité tout en s'accrochant à des valeurs ancestrales, ce lien fort ténu mais qui doit être entretenu ou plutôt repensé et consolidé autrement, dans le sens du progrès. Le film montre ce que recèle ce choix de malcommode quand il s'attarde sur les controverses verbales entre le juge et les accusés. Aucun courant de compréhension ne passe. Aux questions du représentant de la justice, les réponses se révélaient être juste le reflet de pratiques on dirait presque "juvénile". Le modèle de crâne n'est que matière inerte, les dessins sur les habits ou les murs rien que des fantaisies. Il n'y a pas de sang de chat bu ni de coulisses de rituels clandestins. Et les jeunes gens à la chevelure abondante et les bagues argentés aux doigts sont de simples fils de familles modestes ou autres, mais liés par la musique. A. Boulane montre que la musique n'a jamais fait de mal à personne, mais quand elle draine et déchaîne les foules dans une société, elle pourrait induire en erreur cette société (faisons le rapprochement avec les sociétés puritaines de l'Europe et des Usa durant les années soixante, qui acceptaient mal le phénomène des "innocents diablotins" rockers et autres Beatles ou un Jimmy Morisson). La musique est ce thermomètre qui fait découvrir où en sont les choses.

La frilosité malaisée

Car, comme le montre le film, un simple écart de forme à l'aspect général accepté ou hérité, bouleverse bien des choses à la suite d'une rumeur. Ça commence par des interventions policières dans les domiciles des musiciens, des interrogatoires musclés, des intimidations. Il s'ensuit toute une mobilisation de la société civile représentée par les parents et les médias, et de la société "contraire" représentée par un avocat barbu. Le ministère de la justice même est interpellé.
Le réalisateur distille les faits à travers des séquences assez longues afin de rendre compte de toute cette affaire qui a dénudé la frilosité de la société.
On en veut pour seul exemple le fait que les parents soient montrés ignorants de la chose, indifférents ou réticents vis à vis des faits, mais pris au dépourvu. Chaque parent est désarçonné à sa manière puisque la musique était considérée comme "innocente", juste un domaine de plaisir et un tremplin pour la joie de vivre. Mais il s'avère qu'elle peut chambouler bien des habitudes et des convictions.
À ce propos, le réalisateur ne lésine pas côté répliques ! Une multitude de phrases lancées à la face du spectateur sont révélatrices. Directement puisées dans le répertoire orale du moment ou bien pensées et reformulées. L'un des protagonistes crie que " rien n'a changé dans ce pays !", Un autre crie lui aussi face à son père qu'il devrait être en accord avec son discours des temps des années de plomb et des hippies, qu'il devrait le comprendre tel qu'il est. Des dialogues et des polémiques, tout un foisonnement de mots et d'idées. Un autre exemple fort intéressant, c'est celui du jeune musicien élevé en France qui a préféré revenir vivre avec sa grand-mère au pays, mais dont les dernières paroles et le regard triste à la fin du film trahissent une désillusion calme mais réelle.

Le reflet délicat

Le film fait sienne le fait de refléter les " débats" en vigueur à l'époque des événements en 2003. Une année particulièrement importante pour ce qu'elle a connu : les attentats de Casablanca, les tiraillements partisanes politiques, l'ouverture des médias, les instances d'équité… et bien d'autres nouveautés opérées par l'État. Le tout créant une ébullition de pensées et d'idées.
Le film Les anges de Satan en brasse une partie. Il le fait à sa façon, avec reconstitution et fiction mêlées, et juste ce qu'il faut de plaidoyer en faveur d'une modernité sans faux-fuyants, en portant à l'écran ce qui a été et ce qui est dit tout autour de l'affaire des adorateurs de satan. La fiction se perd quelque peu dans le déroulement des faits, mais la bonne direction professionnelle des acteurs tous professionnels (Driss Roukh, Rafik Boubker, Younes Migri, …) rend le film convaincant et actuel. L'émotion est au bout. A. Boulane a eu l'occasion de ressortir de son imaginaire des séquences et des plans dont il est hanté pour les visualiser sur l'écran. Il parle cette fois par images et à travers l'art de cinéma qu'il affectionne, lui qui a l'habitude de dire haut et fort ses idées.
On peut dire que ce n'était pas facile de faire un film aussi sérieux après avoir réussi son premier long-métrage qui était plus personnel et intime (aussi une réussite personnelle). La musique y était pour beaucoup dans la réalisation dans ce deuxième, et à elle seule et telle qu'elle a été "filmée" elle sauve le film dont le titre est fort chargé de sens, de significations et de symboles. Tout y est dit ! Au spectateur de démêler le tout.

M'barek HOUSNI

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