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"Le cinéma africain devient un cinéma à capitaux d'État, c'est la pire des choses…"
entretien avec François Bonnemain
critique
rédigé par Yohanès Akoli
publié le 26/07/2007

Ancien journaliste, actuel président directeur de la maison TV5 Monde, François Bonnemain s'illustre comme l'une des pièces maîtresse qui milite pour la visibilité du cinéma africain. Une chaîne qui selon lui ravive l'espoir de la jeunesse africaine qui a cette ultime chance de voir sur son réseau les grands films africains projetés au cours des festivals. Rencontré au 20ième Fespaco, nous l'avons longuement interrogé sur le rôle de la télévision TV5 dans la promotion et dans la diffusion du cinéma africain.

Quel rôle joue la TV5 pour la visibilité du cinéma africain ?
Le problème du cinéma africain est de deux natures. Premièrement, il n'y a pas de financement de salles en Afrique pour éventuellement diffuser le cinéma qui est produit. Deuxièmement, c'est que le cinéma africain est un peu replié sur ses frontières, à l'exception de quelques grand réalisateurs qui eux ont la possibilité, je dirais d'être diffusé sur l'ensemble du monde. Donc, le rôle de la TV5 est double.
Le premier rôle, c'est effectivement de faire en sorte que sur le réseau de la télévision TV5-Afrique, il puisse être vu des longs métrages africains et c'est pratiquement l'un des seuls endroits que ça peut se faire. Bien évidemment les films francophones, parce que nous avons une vocation francophone.
Deuxièmement, cette passerelle n'est pas systématique, mais de temps en temps, certains films doivent être diffusés sur d'autres signaux de TV5 Monde, c'est à dire les quatre autres continents. Donc on a encore une fois cette double vocation : à la fois servir de support au cinéma africain en Afrique, mais également offrir une visibilité du cinéma africain dans le reste du monde.

Selon vous, quels sont les problèmes cruciaux qui font que le cinéma africain n'est pas visible ?
Il est évident de toute façon que, la première chose pour qu'il y ait cinéma, il faut qu'il y ait je dirais des spectateurs. Parce que, si vous faites du cinéma et il n'y a pas de spectateurs au bout, il est évident qu'il ne vaut pas la peine d'en faire. Voilà, on fait plaisir. Le cinéma, il faut qu'il soit fait pour les spectateurs. Et c'est vrai que l'Afrique a aujourd'hui un problème, c'est que dans de nombreux pays il n'y a pas d'endroit pour accueillir ces spectateurs. Et comme il n'y a pas d'endroit pour projeter les films, il n'y a pas d'économie du cinéma qui est généré, et donc il est évident que le financement est d'autant plus difficile. Donc, il faut rouvrir les salles de cinéma. Parce que, s'il n'y a pas de salles de cinéma, il n'y aura pas de spectateurs, il n'y aura pas de moyens pour tourner des films. Parce que le danger, c'est que le cinéma africain devient un cinéma à capitaux d'État, c'est à dire un cinéma d'État. C'est la pire des choses. Il faut que le cinéma reste quelque chose de libre, que les réalisateurs et les scénaristes, que ceux qui écrivent, conservent leur liberté. Il faut avoir les possibilités de financement. Faut pas qu'il y ait un seul guichet. S'il y a un seul guichet, ça emprisonne les créateurs.

Que dites-vous à propos de la distribution des films africains en Afrique ?
Pour que la distribution puisse se faire ailleurs que dans votre pays, ailleurs que dans votre continent, encore faut-il qu'il y ait la possibilité de distribution domestique, c'est à dire dans votre pays ou dans votre continent. S'il n'y a pas distribution, je veux dire que, si le cinéma africain n'est pas distribué en Afrique, si le cinéma du Burkina Faso n'est pas distribué au Burkina ou encore moins en Afrique pourquoi voulez-vous qu'il soit distribué à Berlin ou à Tokyo ? Il y a d'abord, une reconnaissance nationale, voire continentale pour qu'il y ait ensuite une reconnaissance mondiale. Il faut les deux. Vous ne pouvez pas avoir l'un sans l'autre. Il y a quelques-uns, très grands réalisateurs africains qui sont très connus, qui ont une reconnaissance mondiale ; mais on les compte sur les doigts d'une main. Et les autres ? Comment peuvent-ils d'une façon émerger si on ne les aide pas !

Votre avis sur les exploitants de salle en Afrique qui restent inféodés au cinéma américain ?
C'est là justement, il faut un peu marcher sur deux pieds. Il est de toute façon évident de tenir compte du marché. En Europe, nous avons aussi ce type de problème, parce que ces exploitants se disent qu'en jouant sur ces films ils vont remplir les salles. Mais justement, il faut qu'il y ait des aides d'État pour permettre également l'expression de la diversité culturelle et notamment sa propre diversité. Il faut qu'à côté, qu'il y ait une espèce de régulation qui permet aussi l'accès à ces salles, des cinémas domestiques nationaux, des cinémas continentaux notamment africains.

La tenue des festivals de cinéma partout sur le continent africain aujourd'hui, constituent-elle un pan vers cette visibilité de nos films ?
Bien sûr que oui. Parce que les festivals amènent de nouvelles personnes à s'intéresser au cinéma ou à la production audiovisuelle et cinématographique. Il faut commencer par en faire beaucoup, et peut être qu'un jour, je dirais, ils se réuniront, ils se concentreront pour une, deux ou trois manifestations dans l'année. C'est capital qu'il y ait des festivals. C'est par ce biais qu'on intéresse l'intérieur et l'extérieur ; c'est à dire les gens qui sont dans la rue et à la fois des professionnels. Il faut arriver à les mélanger ensemble, arriver à faire ensemble qu'ils se rencontrent, qu'ils se comprennent. Il faut que le client du cinéma se dise que : "ça c'est formidable". Donc il faut se battre pour avoir un cinéma qui parle de nous, de nos problèmes, de notre vie, de notre pays. C'est ça aussi qui fait la diversité culturelle.

Propos recueillis par Yohanès Akoli (Togo)

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