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Un cinéaste pratique
Interview de Jean-Pierre Bekolo Obama
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 19/08/2007

Célibataire avec enfants à charge - Ménélik, 16 ans, et Thaïs, 13 ans -, Jean-Pierre Bekolo Obama âgé aujourd'hui de 40 ans est membre du Comité d'orientation de la FEMIS depuis 2000. Membre de la Commission des cinémas du Sud à l'OIF depuis 2005, il est aussi le secrétaire général de la Guilde africaine des réalisateurs producteurs depuis 2006. Etalon d'argent au Fespaco 2007 grâce à son film Les Saignantes, il apparaît comme la voie d'avenir du cinéma africain. Vous allez comprendre pourquoi.

Comment caractérisez-vous votre cinéma ?
Jean-Pierre Bekolo Obama :
Le monde dans lequel nous vivons ne fonctionne surtout que pour ceux qui l'ont pensé. Il en est de même pour le cinéma, qu'il soit commercial, d'ONG, d'auteur ou ethno. Les cinémas pratiques en Afrique n'ont pas été pensés par les Africains eux-mêmes. Choisir le cinéma que nous voulons pour nous Africains est aussi une façon de définir un projet pour ce continent.
Le cinéma de divertissement tel qu'il se fabrique, avec des scénarios écrits selon une formule désormais généralisée en Europe et en Amérique, pourrait-il être notre choix d'Africains ? Il est important que nous commencions à penser un peu à nous, à nos peuples, à nos sociétés, quand nous faisons le cinéma. La moitié de la population africaine a moins de 15 ans. A cet âge-là, on va à l'école. Si nous avons un cinéma à faire sur ce continent, c'est un cinéma qui doit permettre par exemple l'acquisition des connaissances, un cinéma qui doit exercer à la résolution de problèmes complexes à travers des structures narratives.

Cette manière de percevoir le cinéma ne doit pas être exclusive à l'Afrique…
Bien entendu, pour faire ces choix, il faut comprendre, bien au-delà de l'Afrique, la vraie nature du cinéma qui, il faut le reconnaître, n'a pas été assez étudiée dans sa relation avec le cerveau et le comportement humain. Beaucoup ayant vu plus tôt un moyen de se faire de l'argent, donc de manipuler. Nous sommes alors obligés de le réinventer d'abord pour nous-mêmes, mais aussi pour tous ceux qui y verraient un potentiel pour l'humanité toute entière face à l'analphabétisme, au coût du livre, à l'augmentation du temps passé par individu devant la télévision, à l'évolution des technologies de l'information et de la communication.

Vous venez d'être distingué au Fespaco grâce à votre film Les Saignantes qui a remporté l'Etalon d'argent. Quelle idée y avez-vous voulu faire passer ?
Avec Les Saignantes, j'explore l'idée d'un cinéma d'anticipation et de projection. Ce qu'on pourrait appeler en anglais "cautionnary cinema", un cinéma qui veut tirer la sonnette d'alarme. Et sa forme se veut un contact avec une certaine jeunesse africaine qui rejette sa propre image, son propre cinéma, à raison. Ce film se veut aussi "empowering", c'est-à-dire qu'il doit renforcer l'estime de soi malgré la situation glauque qu'il décrit. Chaque fois qu'on parle de l'Afrique, on en parle au passé et au présent. Jamais de l'avenir. Pourtant, cet avenir sera là, surtout pour les jeunes. Et ce qu'on en fera sera ce qu'on aura pensé aujourd'hui. Connaissez-vous l'adresse de ce bureau où on pense l'avenir dans nos pays ? L'urgence est de le créer. Et ce serait encore mieux si le cinéma pouvait y jouer un rôle important.

Vos propos résonnent comme ceux d'un cinéaste militant doublé d'un militant du cinéma. Est-ce pourquoi vous avez fait un film sur Djibril Diop Mambety ?
Je nous trouve très distraits par rapport à ce qui est important et essentiel pour nous Africains. Quand je regarde les films de Djibril, je vois tout de suite que ce Monsieur a une idée très précise du cinéma. Et sa définition de cet art ne se trouve dans aucun livre, dans aucune école. Je lui ai demandé de me définir le cinéma. Je l'ai amené à le faire à sa manière, avec beaucoup de poésie, genre dans lequel il excellait. Pour moi, le film La grammaire de Grand-mère est l'une des plus belles définitions du cinéma. Je commence toujours mes cours avec. Il est regrettable que ce soit le seul film où il parle de cinéma de cette manière. Nous avions en Djibril un génie du cinéma. Qu'en avons-nous fait ?

Vous avez évoqué vos cours, et je présume qu'il s'agit de ceux des Etats-Unis. Y enseignez-vous le cinéma ou bien "votre" cinéma ?
J'ai enseigné le cinéma à Duke University à Chapel Hill en Caroline du Nord. A l'Université Black Philander Smith College, j'ai développé une méthode d'acquisition des connaissances que j'ai appelée "Auteur Learning". Tout le système éducatif s'appuie sur l'instruction. On vous fusille d'informations, et cette méthode montre ses limites aujourd'hui même aux Etats-Unis où un enfant sur trois quitte le collège sans avoir obtenu son bac. Et chez les Noirs, c'est deux sur trois. Ma méthode, elle, s'appuie sur la construction, c'est-à-dire que j'amène l'étudiant à rechercher toutes les informations dont il a besoin, à les trier, et à constituer lui-même son propre système de connaissances. Exactement comme un monteur de films documentaires.

Vous êtes sollicité par de multiples organisations. De quoi vous occupez-vous dans ces différentes structures ?
Après mon premier film que j'ai réalisé assez jeune, je m'étais fixé pour objectif primordial d'avoir une compréhension assez poussée du cinéma. J'ai donc continué à apprendre, de par mes diverses expériences, mes voyages et mes rencontres. Puis, quand je suis revenu sur la scène du cinéma africain, j'ai trouvé qu'il y avait une réelle régression. Des idées que je croyais être de véritables avancées et que je prenais pour des évidences avaient disparu. En bref, j'ai trouvé une scène du cinéma africain à l'image de l'Afrique, où tout le monde veut quitter le bateau, tout en s'en servant pour s'accrocher à un autre. J'ai dû aller prendre des cours de "leadership" chez le président Bill Clinton qui a créé la Clinton School of Public Service. J'y ai fait partie des 16 étudiants de la "Inaugural Class", seul artiste au milieu des avocats, dirigeants d'ONG, etc., choisis à travers le monde. Mon idée était d'aller bien au-delà du cinéma, et de ne pas me contenter de changer les choses dans la fiction, mais aussi dans la réalité, car l'Afrique nous y oblige. Il fallait donc s'impliquer.
A la Commission des cinémas du Sud de la Francophonie, nous lisons des projets de films et de télévisions, les discutons et en décidons du financement. Cela me permet, au lieu de me plaindre de la qualité des films africains, de plébisciter ceux qui correspondent à mon idée de cinéma et de l'Afrique, et surtout d'attirer l'attention des autres membres africains et non-Africains sur une autre manière de regarder notre cinéma.
A la Guilde africaine des réalisateurs producteurs, nous observons tout ce qui se fait au nom des cinéastes africains, pour ou contre eux, et anticipons sur la conduite à tenir, les actions à mener. La première phase a été de re-crédibiliser auprès des cinéastes eux-mêmes, l'un des seuls outils dont ils disposent pour défendre leurs droits.

Quels ont été ou quels sont vos rapports avec des cinéastes tels que Scorsese, Godard, Bertolucci, Frears, Miller, que vous avez rencontrés au British Film Institute ?
La relation que j'ai avec tous ces grands noms du cinéma mondial, au-delà d'avoir signé une série de films sur les 100 ans du cinéma produits par le British Film Institute, est avant tout la démarche cinématographique. Si nous avons une chose en commun, c'est d'avoir essayé, chacun à sa manière, avec son histoire, sa génération, son pays, etc., de parler dans un langage nouveau, et d'avoir essayé de le réinventer tous les jours à travers le cinéma, afin que celui-ci nous raconte autre chose.

Quel est votre point de vue sur le financement et la diffusion des films africains ?
Je vais vous dire deux choses ahurissantes. Savez-vous avec combien d'argent certaines de ces institutions dictent ce qui doit se faire sur tout le continent africain, voire plus, en terme de cinéma ? 3 millions d'euros par an !!! Avec 2 milliards de francs Cfa, vous avez donc toute la créativité cinématographique d'un continent à genou.
Ce qui nous manque le plus, c'est une société de production ayant une envergure panafricaine, donc de taille considérable, et pouvant produire une dizaine de films par an. C'est elle qui sera en mesure de résoudre tous les problèmes qui se posent à ce cinéma tels que les problèmes de créativité, de distribution et même de financement.

De quoi parlera votre prochain film ?
Mon prochain film a trait à une installation qui ouvre au mois d'octobre 2007 au Musée du quai Branly à Paris. Il s'intitule Un Africain dans l'espace. Comme vous le voyez, c'est un autre genre. Il questionne la diaspora qui part d'Afrique et qui réussit aux Etats-Unis. Après New York, c'est quoi, la planète Mars ?

Où en êtes-vous avec Evénement 4, votre projet de télévision ?
Il n'est toujours pas lancé, et le nom va changer. C'est un projet dont la date de démarrage a été avancée. Une fois le tournage des Saignantes terminé, les jeunes ayant découvert le cinéma à travers ce film m'ont demandé si j'allais les abandonner. J'ai alors avancé le projet. Il a fonctionné jusqu'ici comme une entité de formation. Maintenant, je crois qu'on peut envisager de le relancer, pour peu que les financements suivent. Mais, notre positionnement doit changer. Il va répondre à une vraie demande et non répéter ce que les autres font déjà. Nous voulons plus être une boîte de production au service des autres chaînes, mais en gardant une petite vitrine.
La télévision est comme la radiologie. Elle permet de montrer une société, et par conséquent, à chacun de trouver un traitement. Notre concept est ce que j'appelle le REATUAL, de l'anglais REAL et VIRTUAL. C'est le virtuel qui se met au service du réel.

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