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Laurence Gavron, romancière et cinéaste : "Un poète au grand coeur, un dandy haut en couleurs"
HOMMAGE À DJBRIL DIOP MAMBETY
critique
rédigé par Mohamadou Mahmoun Faye
publié le 12/08/2008
Laurence GAVRON
Laurence GAVRON
Djibril DIOP Mambéty
Djibril DIOP Mambéty
Hyènes, 1992
Hyènes, 1992
Ninki Nanka, Le Prince de Colobane, 1991
Ninki Nanka, Le Prince de Colobane, 1991
Touki Bouki, 1973
Touki Bouki, 1973
Mohamadou Mahmoun FAYE
Mohamadou Mahmoun FAYE

La romancière et cinéaste Franco-Sénégalaise, Laurence Gavron, a connu Djibril Diop Mambety en février 1989 à Ouagadougou, au Fespaco. Dans un texte qu'elle nous a envoyé, elle décrit le défunt cinéaste comme "un personnage fascinant, agaçant parfois, grandiose, généreux et déroutant, beau dans ses vêtements indigo ou noirs, ses chemises à jabot, ses pantalons larges, ses grands manteaux". En 1991, elle l'a revu à Paris lorsqu'il s'apprêtait à tourner Hyènes. "Il m'a demandé si je veux réaliser un film pendant son tournage, une sorte de making of. Après réflexion, je lui dis que ce qui m'intéresse le plus, ce serait de tenter de réaliser un film autour de lui, une sorte de portrait". Elle profita ainsi du tournage comme d'une espèce de toile de fond pour le voir enfin au travail dix-huit ans après Touki Bouki. "Mais ce qui m'interpellait véritablement était ce poète au grand coeur, ce dandy haut en couleurs, fils d'un imam de Colobane, devenu un cinéaste mondialement connu", poursuit Laurence Gavron. Elle se mit alors sur les traces de Djibril, de son passé, et réalisa son premier film sénégalais, Ninki Nanka, Le Prince de Colobane.



Elle raconte : "Nous avions terminé le montage du film et il nous fallait son autorisation pour nous procurer des extraits de ses films. Nous l'avions donc convoqué dans la salle de montage afin qu'il visionne le film. Il arriva, me sembla un peu angoissé, s'assit presque sans un mot. Le film débute par son père de Djibril, en plan moyen, qui raconte un rêve qu'il a eu avant le tournage de Hyènes. Dès qu'il aperçut son père sur l'écran, il se figea puis demanda qu'on arrête tout, en disant qu'il était d'accord pour signer ce qu'on voudrait, et il disparut sans visionner le reste du film". Selon Laurence Gavron, Mambety avait été extrêmement ému de voir son père, un imam (qui n'avait jamais été filmé auparavant) en train de parler de lui et de son frère Aziz (le musicien Wasis Diop), du tournage, etc.

En fait, selon Laurence Gavron, Mambety s'était tellement éloigné de ses origines, de sa famille et des traditions que tout cela lui revenait de plein fouet. Il adorait son père, sa mère et, peut-être avec une affection toute spéciale, sa grand-mère Mame Betty qu'on aperçoit dans Ninki Nanka, dans la cour de la maison familiale de sa maman, Mame Binta Ndiaye. "Tous ces gens sont aujourd'hui décédés, père, mère et grand-mère", confie la cinéaste.

DAKAR LE FAISAIT VIBRER, L'INSPIRAIT

Ce qui caractérise le plus Mambety est son immense humanité. "Les acteurs, amateurs ou professionnels, tous les gens de la rue qu'il a toujours mis dans ses films, sont un morceau d'humanité. Ils sont vrais et n'ont jamais été égalés, que je sache, dans aucun autre film sénégalais". Elle fait référence à tous ces "gueux", ces enfants, ces petites gens qu'il croisait au Plateau, comme Billy Congoma son inséparable ami. Bref, toute cette "faune" éduquée dans la rue et qui sont autant de "gueules" à la fois dures, émouvantes et fortes. Il les aimait et ils le lui rendaient bien. "Djibril avait autour de lui une sorte de cour, mais à la cour des gens de cinéma et autres groupies plus ou moins sincères, il préférait ces petites gens avec qui il se baladait dans Dakar, jusqu'au bout de la nuit, qui étaient prêts à tout pour lui et à qui, en retour, il donnait tout", poursuit-elle.

L'auteur de Touki Bouki leur donnait la parole, le droit à l'image, à l'existence, leur image plus vraie que nature, pas trompée ni tronquée, dans leur vérité crue, leur misère, leur beauté aussi. "Ses films parlaient d'ailleurs uniquement de ces petites gens, de leur vie, de leurs rêves. Le quotidien d'un petit garçon, sorte de boy town avant l'heure, dans Badou Boy, le rêve d'ailleurs de Magaye Niang dans Touki Bouki, le désir de partir, d'aller en France, et puis au dernier moment l'impossibilité viscérale de quitter Dakar, sa ville, son univers qui lui est si cher, indispensable pour respirer", analyse la romancière franco-sénégalaise. Djibril lui-même, dans les dernières années de sa vie, vivait entre le Sénégal, la France et la Suisse, mais ne vivait que par et pour Dakar. "L'Europe le reposait, il y trouvait des fonds pour ses films, mais c'était Dakar qui le faisait vibrer, qui l'inspirait constamment", rappelle-t-elle.

Dix ans après sa mort, on reconnaît enfin l'importance de ce cinéaste moins officiel et moins prolifique que Ousmane Sembène, mais qui n'en a pas moins révolutionné le cinéma africain, le cinéma tout court. "Touki Bouki reste pour moi un film aussi important pour le cinéma africain que les premiers films de Godard le furent, dans son message mais aussi dans sa forme : un film libre, humain, à hauteur d'homme, avec des personnages ancrés dans la réalité, mais remplis de poésie et de rêve. Une réalité posée dans un contexte, la ville Dakar avec ses paysages, son océan, ses rues bondées de monde, son port, magnifique", affirme Laurence Gavron.

Elle raconte une autre anecdote qui résume bien le personnage de Mambety. En 1989 à Cannes, le film Yaaba d'Idrissa Ouedraogo était présenté. La salle était remplie d'officiels burkinabés dont des ministres. C'était au tout début de l'ère Blaise Campaoré, après l'assassinat du président Thomas Sankara. Alors que venaient de s'éteindre les lumières de la grande salle du Palais, Djibril se leva et lança : "Une minute de silence pour le camarade Sankara !". Et Laurence Gavron de conclure : "Malgré la présence des dignitaires du nouveau régime, Djibril ne faisait pas de provocation, mais était, comme à son habitude, fidèle à ses croyances, à ses convictions".

Synthèse de Modou Mamoune Faye

Article paru dans Le Soleil (Dakar) du 23 juillet 2008

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