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Le Cameroun a rendu un vibrant hommage à Ousmane Sembène
12èmes Écrans Noirs (31 mai > 07 juin 2008, Yaoundé, Cameroun)
critique
rédigé par Mohamadou Mahmoun Faye
publié le 13/08/2008
Modou Mamoune FAYE
Modou Mamoune FAYE
Sembène Ousmane © Abdou Fary Faye
Sembène Ousmane © Abdou Fary Faye
Mwézé Dieudonné Ngangura (Festival Ecrans Noirs 2008, Yaoundé)
Mwézé Dieudonné Ngangura (Festival Ecrans Noirs 2008, Yaoundé)
Gérard Essomba dans Pièces d'identité, de Mwézé Dieudonné Ngangura, 1998
Gérard Essomba dans Pièces d'identité, de Mwézé Dieudonné Ngangura, 1998
Makhourédia Guèye (Ibrahima Dieng) et Sembène Ousmane (l'écrivain public à la poste) dans Mandabi (Le Mandat), de Sembène Ousmane, 1968
Makhourédia Guèye (Ibrahima Dieng) et Sembène Ousmane (l'écrivain public à la poste) dans Mandabi (Le Mandat), de Sembène Ousmane, 1968
Tabara Ndiaye (Princesse Dior Yacine) dans Ceddo, de Sembène Ousmane, 1976
Tabara Ndiaye (Princesse Dior Yacine) dans Ceddo, de Sembène Ousmane, 1976
Guelwaar, de Sembène Ousmane, 1992
Guelwaar, de Sembène Ousmane, 1992
Camp de Thiaroye, de Sembène Ousmane et Thierno Faty Sow, 1988
Camp de Thiaroye, de Sembène Ousmane et Thierno Faty Sow, 1988
Djibril DIOP Mambéty
Djibril DIOP Mambéty
12èmes Écrans Noirs : du 31 mai au 07 juin 2008 (Yaoundé, Cameroun)
12èmes Écrans Noirs : du 31 mai au 07 juin 2008 (Yaoundé, Cameroun)

Dans le milieu des intellectuels camerounais, l'écrivain et cinéaste sénégalais Ousmane Sembène est considéré comme l'un des Africains qui ont écrit les plus belles pages de l'histoire du continent. La 12ème édition des Écrans Noirs lui a rendu un hommage bien mérité.

YAOUNDE (Cameroun) - Les professionnels du cinéma présents à Yaoundé à l'occasion des 12èmes Écrans Noirs sont formels : Ousmane Sembène demeure une monstre sacré du septième art, une référence à tout jamais gravée sur les tablettes de l'histoire du cinéma africain. Un an après sa disparition, celui que l'on surnommait affectueusement "le doyen" est toujours considéré comme une référence en Afrique et dans le reste du monde. L'édition 2008 a été marquée par une série d'hommages qui lui a été rendu par la communauté des cinéastes africains. Le réalisateur congolais Mweze Ngangura (Pièces d'identité) se souvient toujours de la première fois qu'il a vu Le Mandat, l'un des premiers longs-métrages de Sembène.

"J'ai ressenti une forte émotion et je me suis rendu compte que nos réalités africaines peuvent bien être transcrites sur pellicule et faire l'objet d'oeuvres cinématographiques. Ce film fait d'ailleurs partie de ceux qui m'ont poussé à embrasser la carrière de cinéaste", nous raconte-t-il. Nous l'avons trouvé dans le hall de l'hôtel Djeuga Palace où logent la plupart des invités du festival de Yaoundé. Selon lui, Sembène était un militant au sens le plus large du terme, un esprit combatif qui a ouvert la voie pour lui et les autres cinéastes et intellectuels africains. "Il faut être vraiment très fort mentalement pour se hisser de son statut de docker au port de Marseille à sa place prestigieuse de pionnier du cinéma africain et de la littérature. C'était quelqu'un qui mettait beaucoup de sérieux dans ses films et qui a toujours lutté pour une Afrique libre et indépendante. Cela se reflète d'ailleurs dans sa filmographie avec des oeuvres remarquables comme Guelwaar ou Ceddo", explique M. Ngangura. Il regrette juste le fait que Sembène fut un incompris, même dans son propre pays. "Après la sortie de Camp de Thiaroye et toute la polémique qu'il y a eu autour (certains professionnels sénégalais lui avaient reproché d'avoir usurpé le scénario d'un autre, ndr), il y a eu comme une distance entre lui et ses cadets cinéastes sénégalais. On dirait que le courant ne passait plus entre lui et eux. C'était vraiment déplorable. Je crois que Sembène était un peu victime de ce militantisme que j'évoquais plus haut. On le décrivait à tort comme un homme égoïste, renfermé sur lui-même, ce qui était loin d'être le cas. Moi je voyais en lui quelqu'un de très réservé certes, mais assez ouvert, plein d'humour et qui savait bien raconter des histoires drôles et rigoler en compagnie de gens avec qui il se sentait bien", poursuit Mweze Ngangura. Il nous raconte sa surprise lorsqu'il a vu une photographie de feu Djibril Diop Mambéty accroché sur un mur du bureau de Sembène alors que tout le monde disait que ces deux icônes du cinéma sénégalais ne s'entendaient pas.

L'image que Mweze veut retenir de Sembène est celle d'un pionnier qui a guidé ses jeunes frères et ses fils sur le chemin du dur combat pour l'émergence d'une véritable industrie cinématographique africaine, et qui est demeuré fidèle à ses convictions jusqu'à sa mort. Mais comme tout génie, il a été tardivement reconnu à sa juste valeur aussi bien au Sénégal que dans les autres pays. "Ce n'est qu'à la fin de sa vie qu'un grand festival comme Cannes lui a rendu sa dimension de cinéaste de rang mondial en lui décernant le prix Un certain regard. Je pense que c'est injuste envers cet homme qui a été intègre durant toute sa carrière et à qui le cinéma africain doit beaucoup", reconnaît Mweze Ngangura.

À QUAND UN MONUMENT POUR LE DOYEN ?

Le même constat est fait par le professionnel du cinéma Isaac Mabhikwa (Zimbabwe) qui estime que la communauté africaine n'a pas assez rendu hommage à Ousmane Sembène quand il était vivant. "Il n'a pas été bien reconnu, et cela traduit le peu de considération accordé au cinéma africain qui se débat dans d'énormes difficultés", explique celui qui coordonne les activités régionales de la Fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI) dont le siège est à Johannesburg (Afrique du Sud). "Un an après son décès, aucun monument n'a été érigé en sa mémoire dans un pays africain. Mais personnellement je pense que le meilleur hommage que les États africains pourraient lui rendre est de donner assez de moyens à notre cinéma afin de favoriser son développement. Et rien que pour relever ce défi, le combat de Sembène est toujours d'actualité", poursuit Isaac Mabhikwa.

Le journaliste et critique de cinéma camerounais Jacques Bessala (du quotidien Le Jour) se souvient, lui, des premiers romans de Ousmane Sembène qu'il a lus lorsqu'il était jeune lycéen. "Son livre Le Mandat a été mon premier contact avec la littérature africaine engagée. Il y décrit si bien une administration lourde et anesthésiante dans une Afrique qui venait de se libérer du joug colonial", nous glisse-t-il. Bien plus tard, il a découvert des films comme Camp de Thiaroye. "Je me souviens qu'après la projection je suis sorti de la salle les larmes aux yeux tellement j'étais ému par l'histoire des tirailleurs africains que Sembène a si bien restituée avec sa caméra. Et avec Guelwaar qui raconte l'histoire d'une méprise sur deux cadavres d'un musulman et d'un chrétien, il a admirablement montré le grand niveau de tolérance de la société sénégalaise", analyse le journaliste camerounais. Quelques années plus tard, Jacques Bessala a réalisé le rêve de sa vie : serrer la main de Ousmane Sembène et se faire photographier à ses côtés. "C'était lors d'une édition des Écrans noirs au cours duquel il avait reçu un prix d'honneur. Il est vrai que c'était un homme parfois très colérique, mais ses colères étaient toujours justifiées", poursuit-il.

Si le festival Écrans noirs de Yaoundé existe, c'est en grande partie grâce à Sembène qui, en 1996 à Yaoundé, a lancé cette boutade au réalisateur camerounais Bassek Ba Kobhio : "L'Afrique centrale est le ventre mou du cinéma africain". Le cinéaste a reçu cela comme une gifle : "Blessés dans notre orgueil, nous avons voulu relever le défi, au moins dans la diffusion des films africains en Afrique centrale. Et c'est de là qu'est venue, en grande partie, notre décision de mettre sur pied ce festival", explique-t-il. Un an plus tard, en 1997, fut organisé la première édition des Écrans noirs. En 2005, lors de la 9ème édition, le doyen des cinéastes africains est revenu à Yaoundé recevoir un Écran d'honneur bien mérité. Ce fut son dernier séjour au Cameroun, ce pays qu'il aimait tant. Il aimait d'ailleurs toute cette région d'Afrique centrale qu'il appelait "la forêt de Mayombé", sans doute en référence au séjour qu'a effectué dans cette même forêt le grand résistant et guide religieux sénégalais Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du mouridisme, avec qu il partage ce combat pour l'honneur de l'Homme noir. Ironie du sort, Ousmane Sembène est décédé le 9 juin 2007, le jour même de la clôture des 11èmes Écrans Noirs de Yaoundé. Tout un symbole...

Modou Mamoune FAYE

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