LM Fiction de Rabah Ameur-Zaïmeche, France / Algérie, 2008
Sortie France : 22 octobre 2008
Il y a du malaise dans la société française. Le cinéma vient à point nommé le rappeler. L'âpreté des rapports sociaux se renforce, exacerbée par les délocalisations, la condition précaire des immigrés. Leur situation est encore fragilisée par les questions religieuses qui divisent les communautés. Marqués par la montée d'un islam radical parfois opportuniste, qui s'affiche dans ce cas comme une arme sociale en s'écartant d'une pratique ouverte, les travailleurs du Maghreb et d'Afrique sont au cœur des enjeux de pouvoir. C'est autour de ces questions que se développe le cinéma de Rabah Ameur-Zaïmeche.
Le cinéaste d'origine kabyle, né en Algérie, grandit en région parisienne. Il a constitué une sorte de trilogie sociale avec Wesh, wesh, qu'est-ce qui se passe ?, 2002, sur les démêlés des jeunes de banlieue avec la cité et les forces de l'ordre. Après s'être mesuré avec les réalités de la Kabylie dans Bled Number One, 2006, il revient inspecter les rapports du travail et de la religion en marge de l'Ile de France avec Dernier maquis. La démarche atteste de son intérêt pour les sciences humaines qu'il a étudiées avant d'investir le 7ème art. Et Rabah Ameur-Zaïmeche produit le film en s'entourant de sa famille de cinéma, en tête de laquelle figure son frère Salim qui joue aux côtés de certains acteurs de Wesh, wesh.
Dernier maquis, c'est d'abord le quotidien d'une petite entreprise, située dans un terrain vague. D'un côté, on restaure des palettes de bois qui servent à poser des marchandises, et on les repeint en rouge. De l'autre, il y a un garage où l'on entretient les véhicules qui convoient les charges. Des ouvriers africains s'occupent des palettes et les mécaniciens sont maghrébins. On entre dans l'histoire en suivant Titi, le conducteur de chariot, fraîchement converti à l'islam. Il s'informe avec zèle auprès de l'imam, employé lui aussi à l'usine, et cherche sa voie avec application en tentant la circoncision par lui-même. Ce qui le conduit à l'hôpital pour "accident de travail".
Mais le levier de l'action se révèle être Mao, le patron. Volontiers paternaliste avec les travailleurs dont il surveille le rendement, ce musulman affiché est prêt à s'acheter une bonne conduite en finançant une mosquée et l'imam qui est déjà son employé, provoquant la grogne des Maghrébins. Pour lui, la pratique religieuse est utile à l'esprit, au corps et au travail qu'elle permet de réguler. C'est pourquoi il charge l'imam de calmer les esprits et d'augmenter les convertis, tout en enlevant les primes de ceux qui ne fréquentent pas la mosquée.
La rébellion des mécanos augmente face au retard des paies. Mao tente de se concilier les manoeuvres africains par des promesses. Mais cela n'empêche pas le conflit de surgir en révélant l'ambiguïté du chef d'entreprise, acculé à plus de rendement. Un personnage manipulateur que le cinéaste s'est attribué pour le jouer. Dernier maquis est alors le lieu de l'affrontement des classes. C'est l'endroit où la religion est pointée comme une aspiration qui peut être utilisée pour servir le patronat.
Rabah Ameur-Zaïmeche regarde évoluer les groupes sans sacrifier les individus. Il ménage des plans longs, des cadrages plus serrés lors des moments d'échanges, et se permet des ouvertures autour de son histoire. La découverte d'un ragondin dans le garage, devient l'occasion d'une ballade sur les rives d'un cours d'eau proche. En rappelant le rapport à la nature, en cultivant un rythme calme, un ton narquois, Rabah Ameur-Zaïmeche amplifie les résonances de son sujet. Et les barrières de l'exploitation s'élèvent peu à peu comme des murs révélés.
Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)