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Cinéma amateur ?
critique
rédigé par Ismaël
publié le 19/12/2008
Omar Khlifi
Omar Khlifi
L'Aube (Al Fajr), de Omar Khlifi, 1966
L'Aube (Al Fajr), de Omar Khlifi, 1966
Elyes Baccar
Elyes Baccar
Elle et lui (Hya wa Houwa), de Elyes Baccar, 2004
Elle et lui (Hya wa Houwa), de Elyes Baccar, 2004

Dans son acception littérale et en ne tenant compte que des conditions de sa fabrication, le film amateur, ou non professionnel, peut remonter aux premières œuvres du 7ème art, à savoir les prises de vues réalisées par les frères LUMIERE. Malgré la phrase restée célèbre du père, Antoine LUMIERE : "Le cinématographe est une invention sans avenir", l'invention en question s'institutionnalisera et s'industrialisera très rapidement. Le cinéma amateur ou non professionnel n'apparaîtra en tant que tel qu'avec la mise sur le marché à partir des années 20 de formats de pellicules moins coûteux et plus pratiques que le standard 35mm. Il n'aura tout d'abord qu'une forme individuelle, ou familiale, sans aucune prétention cinématographique ou artistique. Plusieurs de ces formats continueront à apparaître jusqu'aux années 60 et la mythique "Super 8", avant l'avènement de la vidéo analogique puis numérique.

En Tunisie, laissant de côté la période coloniale, on se rend compte que le cinéma amateur s'il ne suit pas le même parcours, a à peu de choses prés les mêmes origines. La création de l'Association des Jeunes Cinéastes Tunisiens en 1962 est à ce titre emblématique : les cinéastes tunisiens se définissant d'emblée en tant qu' "amateurs" mais dans un même mouvement, ils conçoivent et veulent ce cinéma non professionnel avec des visées culturelles, et même des velléités professionnelles. 2 ans après la réalisation en 66 du long métrage EL FAJR par Omar KHLIFI, l'A.J.C.T. se reformulera et se reformera en Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs, entérinant de facto la dichotomie entre cinéma professionnel et cinéma amateur.

Ceci étant, le rapport du cinéma amateur au cinéma professionnel sera un tant soit peu paranoïaque, et ce jusqu'à aujourd'hui. Tout d'abord, parce que d'une part, le premier sera érigé en alternative au second, au sens fort, politique et philosophique, du terme, mais il ne le sera que partiellement puisqu'un bon nombre de cinéastes amateurs passeront très vite au cinéma professionnel. De même que le court métrage, le cinéma amateur donne l'impression d'avoir un statut ambigu, dans lequel il est à la fois indispensable, mais pas en lui-même et pour lui-même, simplement comme une étape vers le professionnalisme. Un autre exemple de cette bâtardise est que la règle généralement admise au niveau de l'écriture (scénario et découpage) des films amateurs conçus au sein de la F.T.C.A., obéit à un schéma prédéterminé classique et académique, tirant ses sources de surcroît du modèle Hollywoodien ! Le cinéma amateur n'aurait donc plus de spécificité qu'au niveau de sa production et de sa diffusion ?

Aujourd'hui, les cartes sont redistribuées et les jeux sont plus que jamais brouillés. L'utilisation du matériel numérique est généralisée, globalisée même. Les millions de personnes qui filment puis mettent leurs images en ligne sur des plates-formes d'échange de vidéos et les jeunes adhérents de la F.T.C.A., en passant par des immenses cinéastes mondiaux comme David LYNCH et par des cinéastes tunisiens confirmés comme Jilani SAADI ou Fadhel JAIBI, utilisent à peu prés tous le même type de caméras (note 1). Jamais sans doute depuis plus d'un siècle de son invention, la "fabrication" d'un film n'a été aussi démocratique et aussi massive. Encore plus troublant et intéressant même, toute une vague de films importants appliquent non pas seulement la technique "amateur" mais aussi son esthétique, ou plus exactement ses valeurs d'images : brutes, tremblantes, inesthétiques au sens où elles ne respectent que très peu les règles généralement admises de cadrages, compositions, mouvements, etc. Ses films sont importants de part leur accueil critique : REDACTED de Brian DE PALMA ; leur succès public : CLOVERFIELD de Matt REEVES ; leurs prix glanés dans différents festivals : [REC] de Paco PLAZA & Jaume BALAGUERO ; ou de leur réflexion sur la nature même du cinéma : DIARY OF THE DEAD de George ROMERO. Comme on le voit donc, les frontières sont plus que jamais poreuses. Mais si elles sont indéfinies, sont-elles pour autant indéfinissables ?

En ce monde d'uniformisation et d'aseptisation, en ces temps de confusions conceptuelles et intellectuelles, de nivellements nihilistes et de crise généralisée du cinéma en Tunisie, dans l'attente du très prochain Festival National du Film Amateur, profitons de ce congrès de l'U.N.I.C.A. pour poser la question : Que peut être la cinéma amateur aujourd'hui dans notre pays, tant esthétiquement que thématiquement, tant éthiquement que structurellement, tant techniquement que culturellement ?

ismaël
ismaeltn(@)gmail.com

(Texte publié dans le N°1 du bulletin de l'UNICA. Hammamet - Juin 2008)

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