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Aliker
Éloge d'un journaliste martiniquais
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 02/06/2009
Michel Amarger
Michel Amarger
Guy Deslauriers, 2006
Guy Deslauriers, 2006
André Aliker
André Aliker
L'Exil du roi Béhanzin (1994)
L'Exil du roi Béhanzin (1994)
Le Passage du milieu
Le Passage du milieu
Biguine (2003)
Biguine (2003)
Patrick Chamoiseau
Patrick Chamoiseau

LM Fiction de Guy Deslauriers, France, 2008
Sortie France : 3 juin 2009

Quand les temps sont troublés, les futurs incertains, le cinéma cherche des leaders. Ceux de la cause noire comme Martin Luther King, Malcolm X ou Patrice Lumumba, ont inspiré des films documentés ou des fictions emblématiques. Les cinéastes de couleur investissent dans leur sillage, l'histoire, les valeurs et les questions liées à l'identité noire. Aujourd'hui, c'est en Martinique que Guy Deslauriers fouille la mémoire de André Aliker. Ce journaliste engagé, né en 1894, liquidé en 1934, est un symbole de l'esprit de résistance aux patrons blancs, les Békés, dans une époque coloniale, marquée par la montée en puissance des Nazis en Allemagne. Ainsi Aliker se tourne vers le passé de la Martinique pour en extraire une figure qui pourrait servir de référent à la génération actuelle.

André Aliker, combattant volontaire dans l'armée française pendant la guerre de 1914-18, est revenu à Fort-de-France avec une forte conscience politique. Fervent adepte des idées marxistes, il multiplie les soutiens aux travailleurs en lutte contre les Békés, puis décuple son action en prenant la direction du journal socialiste Justice. Rédigeant des articles mobilisateurs sur la situation de l'île, André Aliker pratique aussi une organisation performante et extensive de la distribution, apte à propager les idées de résistance des ouvriers de couleur. En exploitant des informations sur les malversations du plus grand patron local, le journaliste entreprend une lutte intensive contre les pouvoirs en place. Et son obstination le conduit à devenir une victime expiatoire de l'oppression qui écrase les travailleurs martiniquais.

En portant à l'écran ce destin poignant, Guy Deslauriers indique s'être "librement inspiré de la vie et de la mort tragique d'André Aliker". Il est vrai que son film propose une image délibérément positive du journaliste même si on le voit sacrifier sa vie familiale, ses relations, pour poursuivre son combat contre le capital et les discriminations. Axé sur un homme grave, responsable, entêté, qui affirme une conception nouvelle du journalisme et mène sa lutte jusqu'au bout, Aliker en arrive presque à survoler les enjeux sociaux pour offrir un spectacle soigneusement composé. Film en costumes, d'une construction linéaire, la fiction de Guy Deslauriers privilégie les personnages principaux en les suivant de manière académique.

Aliker s'inscrit dans le style esthétisant des précédents longs-métrages de Guy Deslauriers. Après avoir évoqué l'histoire d'un monarque africain dans L'Exil du Roi Béhanzin, 1994, la tragédie de la traite avec Le Passage du Milieu, 2000, l'influence de la musique par Biguine, 2004, le réalisateur, né dans le sud de la France, poursuit l'exploration de ses origines métissées. Aliker entérine sa collaboration régulière avec l'écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau, lauréat du Prix Goncourt pour son roman Texaco, 1992, qui signe le scénario. Son attention au parler et aux coutumes créoles se combine avec le sens du cadrage et de la mesure de Guy Deslauriers.

La production est soutenue par les instances de la Martinique mais les acteurs principaux viennent de la métropole. Stomy Bugsy s'impose avec autorité dans le rôle du journaliste. Le rappeur français, de parents issus du Cap-Vert, confirme ses qualités dramatiques après des comédies commerciales du genre Gomez et Tavares, 2002. À ses côtés, Lionel Jean-Baptiste, acteur passé à la réalisation avec La première étoile, 2009, joue avec conviction, comme les seconds rôles français. Mais le regard du cinéaste reste braqué sur la figure christique de André Aliker, marchant au sacrifice pour que ses frères de couleur trouvent un salut. Avec une fin chargée qui affirme le message, Aliker vise à magnifier le destin d'un homme pour en faire un héros de cinéma.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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