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Abouna, de Mahamat-Saleh Haroun
Père malgré soi
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 15/09/2009
Jean-Marie Mollo Olinga
Jean-Marie Mollo Olinga
Mahamat-Saleh Haroun
Mahamat-Saleh Haroun
Abouna, de Mahamat Saleh Haroun © Duo films / Franck Verdier
Abouna, de Mahamat Saleh Haroun © Duo films / Franck Verdier
Abouna, de Mahamat-Saleh Haroun
Abouna, de Mahamat-Saleh Haroun

Le Centre culturel français de Yaoundé a programmé "Abouna" le 23 juillet dernier, le 3ème long métrage du Tchadien Mahamat-Saleh, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2002.

Mahamat-Saleh y déroule avec pudeur, tendresse, finesse et intelligence le drame de deux jeunes garçons, Tahir et Amine, lancés à la recherche de leur "père adoré" qui "s'est barré" de nuit, pendant leur sommeil. "Abouna", qui signifie "notre père" dans une langue tchadienne, s'ouvre sur un paysage lunaire, traversé par un individu chargé uniquement d'un sac qu'il porte d'ailleurs avec légèreté. Subitement, il s'arrête, se retourne et fixe au loin l'horizon. Comme pour dire adieu à tout ce qu'il laisse derrière lui. Le film de Mahamat-Saleh est bâti sur deux récurrences techniques qui accompagnent son récit : la couleur (bleue) et le double cadrage.

L'un des premiers rôles, qui tient celui du père avant l'âge, est habillé de bleu, du début à la fin du film. Non seulement, à 15 ans, il se retrouve contraint de prendre soin de son jeune frère asthmatique, âgé à peine de 8 ans, mais en plus, il doit s'occuper de sa mère, également malade. Dans sa quête de ce père "parti vers un horizon, vers l'oubli", tel que le chante Johnny Halliday, les couleurs bleues arborées par Tahir reflètent l'inaccessibilité, l'évasion, et même le merveilleux. Ce dernier aspect étant incarné par ce poster géant envoyé par le père et représentant la mer, dont le bleu symbolise ces ailleurs désolés outrancièrement attirants.

Au vu de sa prestation, sa tenue bleue représente également l'équilibre dont il fait montre tout au long du film, le contrôle de soi (quand bien même il perd son frère cadet), sa tendance à la bonté, à la générosité. La seule fois que Tahir quitte son bleu, c'est pour une veste marron, lorsqu'il se fait prendre en photo avec sa dulcinée. Le marron, ici, n'apparaît-il pas comme un symbole de maturation qui correspond au foyer dont il rêve, à son intimité, à la sécurité idéale de la cellule familiale, en réponse à son père ?

Le bleu n'est pas la seule couleur mise en exergue dans "Abouna". Lorsque leur mère les amène suivre la formation de talibé, dès leur arrivée, une sourde-muette les attend. Le gros plan du réalisateur met l'accent sur son voile rouge, signe de l'amour que Tahir va y rencontrer. Si bien que lorsque Mahamat-Saleh la fait apparaître en jaune, c'est tout simplement pour corroborer la bonne humeur qu'elle dégage, sa gaieté, en somme, la lumière qui émane d'elle, la lumière spirituelle. Ainsi dorée, la sourde-muette n'a-t-elle pas accès aux richesses touchant à l'âme ?

L'autre récurrence a trait aux cadrages. Le cinéaste tchadien filme, à maintes reprises, des pièces sombres ouvertes sur des cadres de portes ou de fenêtres donnant sur l'extérieur, où le spectateur aperçoit une lumière vive. Cette manière de filmer des contrastes avec des acteurs tournés vers la lumière ne montre-t-elle pas la position du réalisateur par rapport à ce qui est susceptible d'éclairer l'esprit ? Cette lumière n'est-elle pas celle de la raison, celle du combat vers la liberté ? Le chant entonné par Tahir et repris par sa mère qui vient de rompre avec son passé en refusant de regarder des photos participe certainement de cette position de Mahamat-Saleh Haroun.

Jean-Marie Mollo Olinga

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