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MOT DES ARTISTES AUX OBSÈQUES DE SOTIGUI KOUYATÉ
critique
rédigé par Jean-Pierre Guingané
publié le 28/04/2010
Jean-Pierre Guingané
Jean-Pierre Guingané
Sotigui Kouyaté
Sotigui Kouyaté

Sotigui Kouyaté, nous voici, tous rassemblés, pour te dire Adieu.

Nous voici, artistes du Burkina et d'autres pays, qui avons été tes compagnons, tes disciples, tes admirateurs.

Nous voici, mêlés à tes parents et tes amis, non pour te pleurer car tu es de ceux qu'on ne pleure pas ; mais pour témoigner de ta vie et te rendre un hommage mérité.

Tu as été un artiste hors pair et tu resteras une référence pour nous tous.

Permets-moi, avant de revenir à ta carrière artistique, d'évoquer l'homme que tu fus, l'homme que beaucoup d'entre nous avons connu et aimé.

Dans cette foule, il y a des personnes qui te sont restées attachées depuis 1950. La génération à laquelle j'appartiens a été celle de tes frères et compagnons de travail. Ce n'est pas un hasard. On pourrait t'appelé le bien nommé Sotigui, car tu as été un vrai "So-tigui", c'est-à-dire celui qui a su rassembler, autour de lui, la famille, la maisonnée.

Toute ta vie, tu as passé ton temps à chercher à rendre service à tes semblables. Tous les jeunes qui venaient à toi trouvaient en toi le grand frère ou le père qui leur manquait ailleurs. Nous savons que, même au-delà des mers, ta générosité, ton sens de la solidarité, ton amour du prochain ont continué à sauver de la détresse beaucoup d'entre nous ici.

L'amour des autres, le désir d'être toujours avec les autres font partie de ta personnalité. Merci de nous avoir permis de profiter de toi. Tu as donné à beaucoup d'entre nous le goût de vivre, de se battre, de progresser dans la vie. Ta maison a toujours été un havre de paix pour tous ceux qui la fréquentaient.

Parce que tu as été ce grand humain, et que tu aimais la rigueur dans le travail, Dieu a béni ton parcours. Tu as fait une carrière artistique exemplaire. De ton petit Burkina Faso, tu es devenu un citoyen de la planète. Il n'y a pas un continent qui n'a pas applaudi ton talent.

Artiste à plusieurs facettes, il serait fastidieux de vouloir retracer ici ton parcours. Nous retiendrons seulement que tu as été un maître. Un maître qui a formé ses disciples par l'exemple ; un maître très talentueux, aimé et respecté. Aujourd'hui, rien que dans ta famille, tu nous laisses des artistes qui sont déjà parmi les meilleurs de leur génération et dans différents domaines artistiques. En dehors de ta famille, tes disciples se comptent par centaines.

Sotigui, en matière artistique, plus que les techniques, le savoir, tu nous as enseigné un savoir faire et un savoir être. Issu toi-même du cœur de nos traditions, tu nous as prouvé, par l'exemple, que notre terre natale, les forces que nos ancêtres nous ont léguées, étaient à même de propulser n'importe lequel d'entre nous aux cimes de la gloire universelle. Les principales écoles qui t'ont forgé ont été celles de tes ancêtres et de la vie. Armé des valeurs de ces écoles, tu as été, souvent, le conseiller de personnalités dont le cartésianisme acquis dans des institutions prestigieuses, n'a pas été suffisant pour leur permettre de résoudre certains problèmes de la vie.

Les succès que tu as remportés, partout, prouvent, encore une fois, que tu as été à bonne école. Ces succès, nous ne pouvons les évoquer qu'en termes de statistiques.

Tu as été distingué par l'obtention d'un prix ou la remise d'une médaille, une vingtaine de fois, par de prestigieuses institutions culturelles, dans le monde.

Je rappellerai seulement "L'ours d'argent" qui t'a été, récemment décerné en Allemagne pour ton talent de comédien de cinéma. Tu es le premier comédien de notre pays à avoir reçu une telle distinction.

En juillet dernier, nous étions ensemble au PANAF d'Alger où encore, avec une dizaine d'autres personnalités africaines dont Soyinka le Prix Nobel, tu fus honoré au titre des Africains qui ont le plus fait bouger le théâtre depuis le PANAF de 1969.

Les honneurs, tu en as eus. Nous en avons eus, devrais-je dire, parce que chaque fois que ton nom était cité quelque part, c'est aussi notre Afrique et notre Burkina dont tu rehaussais les noms. Merci pour cela.

Tu as été musicien et chanteur. Qui ne se rappelle pas Mariam Touré, cette chanson qui a fait le bonheur de toute l'Afrique de l'Ouest dans les années 70 ?

Tu as été danseur et directeur des Ballets de la Haute-Volta qui ont fait le tour des pays de la sous-région.

Tu as aussi été footballeur, chasseur, herboriste, etc. Cependant, c'est au théâtre et au cinéma que tu as consacré le plus de ton temps.

Au théâtre, tu as été, plus de vingt ans, le compagnon de Peter Brook, cet autre monument du théâtre mondial. Parti du célèbre Mahâbhârata que vous avez joué en anglais et en français pendant 4 ans de 1984 à 1988, dans le monde entier, vous allez réaliser, ensemble, huit autres créations avec le même succès.

D'autres créateurs dont tes propres enfants Assane et Dany t'associent à leurs œuvres. Avec humilité, tu prêtes ton talent et ton savoir faire à tous. Et le succès est toujours au bout de ces nombreuses mises en scène et réalisations. Tu as joué dans plus de 55 films.

Rappelons enfin que tu as été dramaturge, metteur en scène et directeur de troupe. Il n'y a donc pas un aspect de la création en Art vivant dont tu n'as pas fait l'expérience.

Voilà Sotigui l'artiste dont il est difficile de parler sans rien occulter. Excuse-moi donc pour ce que je n'ai pas dit et dont tu aurais souhaité que je parle.

Sotigui, je voudrais enfin, au nom de tous ceux qui t'ont aimé, te féliciter et te dire merci de nous être revenu. Nous vivons comme un honneur immense le fait qu'après avoir autant parcouru le monde, tu aies choisi de faire de nous les bénéficiaires de ton dernier voyage.

L'ensemble des artistes, à travers ma voix, exprime ses condoléances les plus attristées à la famille Kouyaté. Qu'elle trouve consolation dans le fait que tous, nous garderons, notre Sotigui au plus profond de nous-mêmes.

Citoyen du monde et des arts, tu as rejoint le panthéon des ancêtres.
Nous te construisons, ici à Ouagadougou, un mausolée, dans nos cœurs.

Reçois notre vénération à travers ces mots que nous empruntons au poète Aimé Césaire :

Père, nous t'installons à Ifé sur la colline aux trois palmiers
Père, nous t'installons à Ifé dans les seize rhombes du vent
A l'origine
Biface !
Ici patience et impatience
Défaite et victoire
Faisceau d'écailles à contre-jour
Echangent leurs armes, leurs larmes,
Force de nuit, marée du jour,
SHANGO
Je te salue.


Dors en paix. Que la terre d'Afrique, ton continent, et celle du Burkina Faso où tu as choisi de reposer, te soient légères.

par Jean-Pierre Guingané
Ouagadougou, le 24 avril 2010

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