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Les secrets
Des Tunisiennes enfermées dans leur être
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 16/05/2010
Michel Amarger
Michel Amarger
Raja Amari
Raja Amari
Avril
Avril
La mère (derrière, Wassila Dari), Radhia (Sondos Belhassen, au centre) et Aïcha (devant, Hafsia Herzi)
La mère (derrière, Wassila Dari), Radhia (Sondos Belhassen, au centre) et Aïcha (devant, Hafsia Herzi)
Le couple : Selma (Rim El Benna) et 
Ali (Dhafer L'Abidine)
Le couple : Selma (Rim El Benna) et Ali (Dhafer L'Abidine)
Radhia (Sondos Belhassen, en violet) et Aïcha endormie (Hafsia Herzi)
Radhia (Sondos Belhassen, en violet) et Aïcha endormie (Hafsia Herzi)
La famille et l'invitée
La famille et l'invitée
Radhia (Sondos Belhassen)
Radhia (Sondos Belhassen)
Salma (Rim El Benna)
Salma (Rim El Benna)
Aïcha (Hafsia Herzi)
Aïcha (Hafsia Herzi)
Ali (Dhafer L'Abidine)
Ali (Dhafer L'Abidine)
Aïcha déambule dans la fête du couple
Aïcha déambule dans la fête du couple
Aïcha sur le lit et Salma à la fenêtre
Aïcha sur le lit et Salma à la fenêtre
Aïcha
Aïcha
Salma et ses amis
Salma et ses amis
Radhia
Radhia
Aïcha
Aïcha
Le jardin secret d'Aïcha
Le jardin secret d'Aïcha

LM Fiction de Raja Amari, Tunisie / Suisse / France, 2009
Sortie France : 19 mai 2010

La production des auteurs est épisodique en Tunisie. Mais les œuvres qui surgissent sont piquantes, comme la dernière fiction de Raja Amari. La cinéaste a provoqué le débat avec son premier long-métrage, Satin rouge, 2002, dont l'héroïne jetait son tablier de ménagère pour devenir danseuse de cabaret. "Satin rouge avait suscité une polémique sur la place de la femme dans la société tunisienne et comment je la représente", rappelle Raja Amari. "On a, c'est vrai, tendance à tirer les films maghrébins, africains en général, vers cette représentation sociale qui fige le travail des cinéastes et les bloque dans leur démarche artistique." Pour s'en dégager, elle se concentre sur les rapports de trois femmes dans une maison, creusant l'atmosphère de son premier court-métrage, Avril, 1998. Elle livre ainsi une histoire grave, sur l'acceptation et le rejet, avec Les secrets, 2009.

Trois femmes vivent recluses dans le sous-sol d'une bâtisse coloniale orientaliste. Leurs rares sorties les mènent fugitivement à Tunis pour monnayer les broderies de Radhia. Le regard sévère et complice de sa mère s'exerce avec plus d'autorité sur Aïcha, la plus jeune, donnée comme la sœur de Radhia. Leurs rapports se précisent peu à peu au cours du récit, au détour de dialogues rares, de regards lourds. Ecartées du monde, dans l'espace jadis dévolu aux domestiques, elles squattent la maison délabrée. Le retour inopiné du fils des anciens maîtres, flanqué d'une belle fiancée, perturbe l'ordre établi. Le couple, épié par les femmes, réveille leurs frustrations. La jolie fiancée fascine Aïcha qui multiplie les sorties. Lorsqu'elle est découverte, ses aînées enferment la fiancée avec elles. Sa présence attire des confidences, soulève des questions chez Aïcha qui se demande si elle ne serait pas l'enfant disparue de Radhia. Une hypothèse qui prend corps jusqu'à l'explosion.

L'émancipation possible est le point d'orgue d'un film contenu où les histoires de femmes s'échangent à mots feutrés. Elles se frôlent, s'affrontent, se complètent, se heurtent à elles-mêmes, aux autres comme aux parois du monde extérieur. Les lignes verticales des cadrages enserrent les mouvements des femmes dans la maison dont elles sont prisonnières. Les lumières froides, aux couleurs atonales, contribuent à exprimer la répression des pulsions. Cette utilisation de l'espace, manifestée par une mise en scène rigoureuse, est l'aspect le plus réussi d'un film apte à rendre l'atmosphère palpable. Au détour des gestes retenus, la réalisatrice saisit l'oppression qui s'exerce sur les femmes mais aussi celle qu'elles exercent entre elles.

Dans leur monde clos où toute intrusion est menace, les échanges sont vifs, les coups jaillissent avec une violence purgative. La fougue de Aïcha, cadrée par ses aînées, rebondit sur la sensualité de la fiancée séquestrée, comme un appel à sortir de l'enfance. "Le film raconte la découverte de son identité et sa libération", déclare Raja Amari. "À travers les personnages de ce film, il s'agit pour moi d'explorer l'univers des femmes recluses vivant dans la dénégation de leurs désirs enfouis. Cette répression intérieure du désir, qu'elle se résolve dans une violence sourde ou avérée, est au cœur des difficultés éprouvées par les femmes dans les sociétés vivant dans le conservatisme et le repli sur soi."

La réalisatrice s'écarte parfois de la vraisemblance, en affirmant : "Mon désir était de raconter un conte de fée moderne et noir. Nous sommes dans l'univers d'Aïcha : ses fantasmes, son univers enfantin et étrange." Sa démarche instable, animale, cultivée par Hafsia Herzi, veut servir ce propos. L'actrice, propulsée par La Graine et le Mulet d'Abdel Kechiche, 2006, fait ses premiers pas de comédienne en Tunisie où son père est né. À ses cotés, Sondos Belhassen, révélée par Nouri Bouzid, campe avec plus de subtilité Radhia tandis que Wassila Dari, habituée des planches, est une mère forte. Si l'intensité des actrices, rehaussée par la compression mesurée de la mise en scène, permet d'esquisser des références lointaines à l'univers d'Ingmar Bergman, Les secrets n'évite pas quelques surcharges. Sensible aux tourments des femmes, il se lit comme une projection des ombres portées de la société tunisienne.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France / Africiné)

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