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Cannes 2013 : La Fabrique des Cinémas du Monde
analyse
rédigé par Thierno Ibrahima Dia
publié le 12/06/2013

L'art de l'artisanat, dans le monde de l'industrie cinématographique.

La philosophie du programme

 

La transmission des expériences, des savoirs, des regards, fait aussi partie de mon travail et de ma curiosité de cinéaste. Et accompagner, et pouvoir partager ses propres expériences avec une génération qui cherche sa propre voie, est aussi bénéfique pour eux que pour moi. " Ce sont là les mots du cinéaste Raoul Peck, interrogé sur ce qui a pu le motiver à devenir le Parrain de la 5ème édition de La Fabrique des Cinémas du Monde. Au sein du Pavillon Les Cinémas du monde, depuis 2009, ce programme est destiné à favoriser l'émergence de nouveaux talents issus des pays du Sud.

Il s'agit de " repérer les talents qui n'ont pas forcément encore fait d'ateliers ; afin de les soutenir dans le développement d'un 1er ou 2ème long métrage de cinéma [fiction ou documentaire, ndlr] ", souligne Valérie Mouroux. Elle est la Directrice du Département Cinéma de l'Institut Français qui a créé et mis en œuvre ce programme, avec le soutien de l'Organisation Internationale de la Francophonie et de l'Audiovisuel Extérieur de la France (France 24, RFI, Monte Carlo Doualiya).

Opérateur de l'action culturelle extérieure de la France, sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères, l'Institut français s'est substitué (en 2010) à l'association Culturesfrance.





La Fabrique des Cinémas du Monde - Festival de Cannes 2013 from Institut français on Vimeo.






La Sélection

 

Dans un premier temps, il n'y avait pas d'appel à projets ; la collecte  se faisait par l'organisme, grâce à un comité de sélection réunissant professionnels du cinéma et responsables institutionnels. Le comité de sélection existe toujours, nous dit la Directrice du Département Cinéma de l'Institut Français. " Seulement depuis 2 ans, nous lançons un appel à films, diffusé entre autres sur Images Francophones, à l'étranger, notamment par le biais des ambassades de France. Ceci, à la fois, dans un souci de transparence et pour être sûrs de toucher les porteurs de projets de 1er ou 2ème long métrage (déjà écrits) ", poursuit Valérie Mouroux.



Composée de 3 à 4 professionnels, spécialistes en accompagnement / développement de projets, l'équipe doit, en amont, trouver des producteurs, des distributeurs. Le comité de sélection comprend également d'autres professionnels du cinéma, ainsi que les responsables du Département Cinéma de l'Institut Français, ceux de l'OIF. Une première phase de présélection laisse place à une séance plénière où les candidatures sont soigneusement évaluées. " C'est un long processus qui s'étend d'octobre à mars ; jusqu'au moment où nous annonçons ceux qui sont retenus " nous informe Valérie Mouroux. Pour la Directrice Cinéma de l'Institut Français, ce qui est analysé c'est la qualité artistique du projet, sa maturité suffisante (pour se présenter à la confrontation), afin de le soumettre à des producteurs et distributeurs potentiels. Venant avec des projets suffisamment solides pour être passés au feu du travail du Marché du film, les réalisateurs et producteurs retenus sont alors pleinement accompagnés par La Fabrique.



En 2013, pas moins de 160 candidatures ont été reçues. Les films concernés doivent venir du Sud (francophones ou pas) : Afrique, Amérique Latine, Moyen Orient et Asie.

Il est indispensable d'avoir un producteur local. La responsable du programme a remarqué que - pour les projets qui viennent d'Afrique - souvent les réalisateurs sont leur propre producteur. " Sans société identifiée, impossible, cela rend impossible toute négociation ", avance Valérie Mouroux pour faire comprendre cette exigence.



Mince filet de terre sur le ventre de l'amérique Latine, le Chili a connu les honneurs de la Fabrique, avec Niles Jamil Atallah (Rey, en 2010 ou encore Luis Cifuentes (I Want to live her life, en 2012). Il y a aussi Haïti présent en 2013 (Pierre Lucson Bellegarde, pour Carmen produit par Donald Charles, de NOU Production). Une sélection dans ce programme n'est pas toujours une photo fidèle. Pour le Parrain 2013, " C'est toujours positif qu'Haïti soit représentée. Ca ne dit malheureusement pas grand-chose de l'industrie haïtienne - qui n'existe pas vraiment.  Il y a un grand travail à mener, de la part des quelques professionnels haïtiens de l'image et des pouvoirs publics, pour se rendre compte de l'importance de structurer notre cinéma : c'est un bénéfice culturel fort et nécessaire pour la population haïtienne, et un bénéfice pour les professionnels. " Raoul Peck estime que " cela passe par la formation professionnelle et la réouverture de lieux de diffusion. Je souhaite justement pouvoir rouvrir une salle de cinéma, l'Eldorado, qui est la dernière salle restée debout après le tremblement de terre de janvier 2010. "

 

Les résultats

 

Depuis 2009, la Fabrique des cinémas du monde a accueilli et accompagné plus de 75 réalisateurs et producteurs en provenance de 39 pays, dont 26 originaires des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), avec 42 projets de 1er ou 2ème long métrage. Il en résulte prés de 30 longs-métrages présentés au Marché du Film de Cannes, outre environ 30 courts métrages inscrits au Short Film Corner. En 2012, 80% des projets ont conclu des accords de coproduction dans les 6 mois.

Pour l'heure, 15% des films ont été réalisés et plusieurs sont actuellement en post-production. On peut citer Dakar trottoirs (du réalisateur sénégalais Hubert Laba Ndao, produit par Moctar Ndiouga Bâ avec sa société Médiatik Productions). Pour arriver à de tels résultats, La Fabrique propose aux porteurs de projets un programme de travail complet, conçu en relation étroite avec le Festival de Cannes et le Marché du Film.

 

Il y a des niveaux très différents, selon Valérie Mouroux. Exemple Joel Karekezi (Rwanda) qui arrive, en 2013, avec son projet La miséricorde de la jungle, après avoir fait son 1er long métrage, tout seul, sans aucun coproducteur. Le Rwandais nous confie avoir participé afin de " trouver de bon partenaires pour la production de [s]on film ". Ce qui lui a permis " de faire de bonnes rencontres, avec des cinéastes et distributeurs du monde entier. "

Certains réalisateurs affichent un profil purement artistique (venant d'écoles d'art), sans connaissance du marché cinématographique. Ces disparités deviennent des forces qui permettent de faire émerger des interrogations que certains candidats aguerris n'ont pas/plus particulièrement. Ainsi, on retrouve le producteur haïtien Donald Charles (dont la structure, NOU Production, a été créée après le séisme meurtrier qui a secoué en janvier 2010 la Première République Noire), à côté de Michel K. Zongo. À la tête de sa propre société burkinabè et disposant déjà d'un producteur français (Christian Lelong, Cinédoc Films avait coproduit Espoir-Voyage), Michel Zongo recherchait plutôt un distributeur cinéma (pour la France), une télévision française (pour un préachat) et un exportateur pour les ventes hors France. Son deuxième long métrage documentaire La sirène de Faso Fani affiche pour l'instant un financement de 94 000 €, sur un budget de 561 908 €.

 

Dans un village mondial

 

La participation de cinéastes non-francophones se comprend pour une double raison : objectif  diplomatique / richesse des échanges entre zones linguistiques. On sort de l'espace strictement francophone, pour mieux appréhender le village mondial, eu égard à l'objectif principal de l'action culturelle française : offrir un soutien aux cinémas du monde, qui passe en particulier par le Fonds d'Aide aux Cinémas du Monde (cogéré par l'Institut français et le Centre National de la Cinématographie et de l'Image animée, CNC, Paris). Après sa récente restructuration, ce fonds est désormais ouvert à tout cinéaste étranger ; " avec une attention soutenue aux cinématographies les plus fragiles ", souligne Valérie Mouroux.

L'équipe de la Fabrique constate depuis 5 ans, pour les Francophones (" notamment africains " ajoute Valérie Mouroux), c'est une vraie richesse de travailler avec des professionnels du Brésil, d'Inde… Il en sort d'ailleurs des coproductions Sud/Sud, entre l'Afrique et l'Amérique Latine ou l'Asie.

 

Si 67% des projets viennent des ACP sur les 5 ans d'existence, ce n'est pas le fruit de quotas. Il n'existe pas une volonté de privilégier ces régions plus que d'autres. Cette proportion correspond à l'objectif primaire de l'Institut Français : l'aide aux cinémas les plus fragiles. S'il y a 26 originaires des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) sur les 39 pays présents depuis le debut de La Fabrique, l'effort important lié aux partenariats (dont celui avec l'OIF) y est aussi pour beaucoup. Ainsi, l'OIF a soutenu la participation de cinéastes d'Arménie (Nora Martirosyan, avec Territoria), du Rwanda (Joel Karekezi, avec La miséricorde de la jungle) du Burkina (Michel K. Zongo, avec La sirène de Faso Fani) et d'Haïti (Pierre Lucson Bellegarde avec Carmen), soit 4 projets francophones, sur 9 projets accompagnés en 2013.



Les parrains



Selon Raoul Peck (Parrain 2013), c'est " un investissement qui crée des échanges, et permet d'être aussi proche que possible des préoccupations, des questionnements de ceux qui viennent après nous. Il permet aussi aléatoirement un regard sur son propre travail ou celui de sa propre génération. "

 

Pour Valérie Mouroux (Institut français / La Fabrique), le rôle que jouent les parrains est très important. " On ne peut oublier qu'on est à Cannes (où l'image est importante). Nos parrains projettent une image internationale. Cela participe à la magie de Cannes. " Ces célébrités ont un attrait pour les médias. La Responsable estime qu'au delà de l'image, dans le fond, "ce qu'ils apportent c'est l'exemplarité : ils ont une riche carrière, ce qui permet des échanges sur leur parcours professionnel ; autant des réalisateurs que les actrices donnent un aperçu de leur expérience ". La liste est prestigieuse : Juliette Binoche / Abderrahmane Sissako (2009), Sandrine Bonnaire / Rithy Panh (2010), Elsa Zylberstein / Pablo Trapero, Maria de Medeiros / Elia Suleiman (2012) et Raoul Peck (2013).

À l'entame, on remarque qu'il y avait un couple de parrains. " Oui, on évolue pour la 5ème édition, en n'ayant qu'un parrain. La presse a aussitôt répondu présent, comme avant. Le changement que cela introduit, c'est que cela permet d'avoir plus de temps pour aller en profondeur. " Trois séances plénières avec Raoul Peck ont été programmées. En plus, il a pris connaissance de chaque projet, il s'est investi dans les échanges. Le cinéaste haïtien a fait une Masterclasse, puis a souhaité rencontrer un à un chaque porteur de projet " nous apprend Valérie Mouroux qui reconnait que c'est plus exigeant, plus riche, permettant un travail différent sur les contenus.



J'ai surtout essayé d'être à l'écoute des questionnements, besoins, voire inquiétudes des parrainés. Je me suis attaché à comprendre où ils en sont de leur travail, et ce que, à travers moi, cette structure de la Fabrique des Cinémas du monde de l'institut Français peut leur apporter " nous répond Raoul Peck, sur son expérience. Il est vrai que son profil est très original. Plus souvent salué comme un immense réalisateur (il a fait de la critique des dérives du pouvoir - politique, juridique ou éducationnel - sa marque de fabrique),  la qualité d'écriture de ses films (Lumumba, Moloch Tropical, …) n'est pas toujours assez soulignée. Du reste, actuel Président de la Fémis, l'école de cinéma parisienne (depuis décembre 2009), il a été Ministre de la Culture en Haïti ; donc un connaisseur des mécanismes institutionnels qui régissent le cinéma.

 

Valérie Mouroux peut dire à raison : " Raoul Peck et les réalisateurs sont très contents. ". Raoul Peck exprime sans détour sa satisfaction, tout comme Joel Karekezi, un des parrainés avec qui nous avons pu nous entretenir. " La fabrique de cinéma du monde était bien organisée, on a fait de bonnes rencontres et aussi on a amélioré nos connaissances sur les marchés des films du monde. C'était génial d'être dans la fabrique de cinéma du monde ! ", s'exclame Joel Karekezi. Pour le cinéaste rwandais, sa participation débouche sur un fort intérêt de plusieurs producteurs qui prennent le temps de bien lire son scénario.



Le Bilan des 5 ans



L'ambition ici n'est pas d'aider à l'écriture, mais plutôt à la mise en production. " On prend les films au tout début, cela permet de travailler sur le montage de la production " estime Valérie Mouroux. " On est en "train d'atteindre un point d'équilibre, même si on peut évoluer. On a une qualité (de projets) en augmentation constante. On a une notoriété croissante. La Fabrique a totalisé 265 rencontres, en 2013. On connait mieux les réalisateurs. On est devenu plus efficace ", affirme la Directrice Cinéma de l'Institut français.

 

 



Les 5 ans du PAVILLON DES CINEMA DU MONDES from Institut français on Vimeo.


 

Le bilan est élogieux. Valérie Mouroux n'a pas tort de parler de " cousu main ", tant le travail du programme de soutien relève plus de l'artisanat d'art que de la grosse industrie. Le nombre assez restreint de films permet de mieux les accompagner. Chaque projet détermine l'approche de l'équipe de La Fabrique et des parrains. Les innovations ne manquent pas : ainsi depuis 2 ans, les réalisateurs (et désormais les producteurs) sont invité(e)s à Cannes, tous frais payés. Un suivi est mis en place également, sur le devenir de ces projets.

 

Ce programme offre en soi une formation, grâce aux rencontres collectives avec des responsables de grands fonds ou de programmes : Quinzaine des réalisateurs, Cinéfondation, Semaine de la Critique, chaîne Arte (Département Cinéma) et d'autres nombreux dirigeants du cinéma. Directrice Opérations, Marketing et Vente du Marché du film (Cannes), Myriam Arab est particulièrement investie, note Valérie Mouroux.

 

Le 5ème anniversaire du PAVILLON LES CINÉMAS DU MONDE a été rehaussé par Madame la Ministre Déléguée auprès du Ministre des Affaires Étrangères et chargée de la Francophonie Yamina Benguigui, Raoul Peck, parrain de la Fabrique les Cinémas du Monde, Xavier Darcos, Président de l'Institut français, Clément Duhaime, Administrateur de l'OIF, Marie-Christine Saragosse, Présidente directrice générale de RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya et la délégation des 9 jeunes réalisateurs des pays du Sud qui ont inauguré le pavillon et monté les marches.





Inauguration du Pavillon des Cinémas du Monde - Festival de Cannes 2013 from Institut français on Vimeo.






La Vietnamienne NGUYEN Hoang Diep (réalisatrice et productrice de Flapping in the middle of nowhere) a eu les appuis du World Cinema Fund (Festival de Berlin), de Global Film Initiative, de l'Aide aux cinémas du Monde (CNC/Institut Français), ainsi que du  Sorfund (Norvège).



À la Fabrique, le Malgache Luck Razanajaona (Le Chant des Tlous) a trouvé son coproducteur, puis il a bénéficié d'une résidence d'écriture de deux mois au Moulin d'Andé - CECI avec le soutien du CNC, France. " On espère qu'il se présentera dans différent fonds ; il a retenu pour la Bourse d'aide du Festival d'Amiens 2012" appuie Valérie Mouroux.

" Les longues séances de travail avec les parrainés m'ont permis de faire un état des lieux de la situation des cinémas de ces autres parties du monde. Et j'ai pu, en même temps, démystifier pour eux le travail que nous faisons. J'espère qu'ils sauront en tirer bénéfice pour leurs projets présents et à venir. " conclut le Parrain 2013, Raoul Peck.



 


Thierno I. DIA

Africiné / Bordeaux

 



Sur la Photo : Raoul PECK, Parrain 2013. Toutes les photos (c) Pavillon Cinémas du Monde, sauf

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