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Destination musicale #2 : Antananarivo
Entretien avec Domoina Ratsara
analyse
rédigé par Domoina Ratsara
publié le 06/08/2014
Môta
Môta
Jaojoby
Jaojoby
Le groupe Moajia
Le groupe Moajia
Domoina Ratsara
Domoina Ratsara
Nina's
Nina's
Le groupe Ambondrona
Le groupe Ambondrona

Les tendances musicales actuelles sur le continent, les clips qui cartonnent, les artistes qui tournent, les chansons qu'une grande partie du public martèle dans sa tête. Africultures a choisi 5 grandes villes africaines et y a interrogé ses journalistes culturels, à même de prendre le pouls d'une scène musicale actuelle et à venir. Cette semaine, nous sommes à Antanananarivo avec Domoina Ratsara, journaliste culturelle.

Quel titre cartonne en ce moment à Madagascar ?
Il est difficile d'identifier un titre en particulier pour l'ensemble de l'île, le paysage médiatique n'étant pas assez homogène (les médias sont fortement concentrés dans la capitale). À Antananarivo, c'est le système de matraquage qui dicte le succès, donc, celui qui a le plus d'argent (car il faut payer pour être diffusé sur les ondes/stations privées) passe le plus souvent sur les ondes/stations.
Le premier semestre a été néanmoins marqué par une flopée de (jeunes) chanteurs originaires des régions côtières : Nina's, Stéphanie, Sheylah, Nodhas, Willy, Barinjaka, Rigot… Ils ont été à l'affiche des grands événements organisés durant les six premiers mois de l'année. Ces groupes évoluent dans un genre musical appelé " tropical ", qui revisite les rythmes traditionnels, essentiellement le kilalaky de l'Ouest, le salegy du Nord et le tsapiky du Sud.
Le public de ce genre musical est essentiellement la jeunesse de la population défavorisée. Les spectacles se tiennent la plupart du temps dans des endroits facilement accessibles à cette catégorie de public : le club nautique Ivato, le stade de Bevalala, le stade d'Ampefiloha…



Quel est le groupe malgache le plus plébiscité du moment ?
Le groupe de pop rock, Ambondrona, a été le seul à pouvoir remplir le gigantesque Coliseum d'Antsonjombe, pouvant accueillir jusqu'à 50 000 personnes, cette année. C'était en avril dernier. Statistiquement parlant, c'est le groupe le plus populaire du moment. En termes de diffusion, le groupe, créé en 2001, continue de jouir d'une grande popularité auprès des jeunes. Sur les ondes, il fait partie des groupes les plus demandés par les auditeurs.



En dehors de la scène vivante, est-ce que cette jeunesse achète des disques ou est-ce la loi du piratage qui mène le jeu sur les marchés de l'île ?
Le piratage reste un fléau qui mine le monde musical à Madagascar. Malgré la mise en place de la Brigade anti-piratage (BAP) durant le régime de la Transition, le phénomène continue de gagner en ampleur. La crise économique et sociale qui frappe le pays depuis 2009 ne fait que favoriser la propagation de ce fléau.
Le marché du disque se trouve ainsi affaibli. La numérisation de la musique et le vide juridique qui l'entoure viennent s'ajouter à la commercialisation des œuvres piratées au vu et au su de tous.

Les succès malgaches sont-ils visibles sur une scène régionale ?
Sur la scène régionale, les artistes malgaches ont du mal à se positionner. Ambondrona a fait une sortie en Afrique du Sud, il y a quelques années de cela, mais cela est resté sans suite. Les artistes qui évoluent dans le genre " tropical " sont souvent invités à animer des soirées privées, organisées pour la communauté malgache (qui a une forte concentration) à La Réunion. Sinon, la participation malgache se limite aux festivals comme le Sakifo à La Réunion par exemple, qui privilégient les artistes confirmés, à la renommée presque internationale : Jaojoby, Régis Gizavo…
Chaque genre musical a son public. Mais il y a quelques rares groupes comme Ambondrona pour la jeune génération, Mahaleo ou Lôlô sy ny tariny (génération 1970) qui sont plus rassembleurs, adulés par tous, sans distinction de catégories sociales, encore moins d'âge.



Y a-t-il d'autres tendances émergeant du territoire, actuellement ?
On remarque la naissance d'une petite vague de jeunes artistes aux tendances " underground " - évoluant en marge des courants dominants - dont la musique est marquée par une certaine recherche d'originalité. Les groupes comme Moajia, Rybota, Môta illustrent bien cette tendance. Ils se réservent à une catégorie de public, plutôt averti, et sont absents de la grande diffusion, à la télé comme à la radio. Ils s'inscrivent principalement sur deux genres : world music et jazz. En termes de découverte, ces derniers mois, je n'en vois pas vraiment. On assiste à un essoufflement de la création dans presque toutes les disciplines artistiques à Madagascar. La musique n'y échappe pas.


À quoi serait dû ce phénomène d'essoufflement ?
À mon avis, l'insularité y est pour quelque chose. Les artistes malgaches n'ont pas beaucoup d'occasions pour se confronter à d'autres cultures, à d'autres formes d'expression, même au niveau national et régional.
Le manque de structures d'accompagnement pour les créateurs et le manque de moyens - le budget de la culture fait partie des trois derniers par rapport aux autres ministères en terme de volume - font aujourd'hui que les artistes se trouvent contraints de se débrouiller avec leurs propres moyens.



Quels obstacles justement pour une jeune garde montante ?
La production reste l'un des grands obstacles d'un(e) artiste sur cette scène musicale. Pour espérer pouvoir monter sur une scène digne de ce nom, il faut plaire aux producteurs, ce qui implique qu'il faut évoluer dans un style musical, qui va rapporter de l'argent localement à son producteur, dans le genre " tropical ". Sinon, l'autoproduction demeure une option. Pour pouvoir assurer une " existence " sur la scène médiatique (matraquage, autoproduction d'albums et de concerts), il faut payer de sa propre poche. Autrement, il reste les circuits internationaux. Mais très peu d'artistes se sont glissé jusqu'à ce niveau, malgré l'immense potentiel en talents dont dispose le pays.

Propos recueillis par la rédaction d'Africultures

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