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Francis Bebey et l'Amérique Latine
analyse
rédigé par Esther B. de Crespo
publié le 01/06/2002

Les traces de l'Amérique latine et celles qu'il y a laissées.
C'était en 1977, l'AUPELF (1), qui souhaitait intégrer à l'Association les Départements d'Etudes Françaises des Universités non francophones, a invité des représentants qui avaient montré le désir d'y appartenir à la IIème Rencontre des Départements d'Études Françaises. Parmi les participants, il y avait Francis Bebey et Madé, son épouse.

La prestation de Francis nous a tous éblouis, mais davantage encore ceux qui, poussés par l'AUPELF, avaient relevé le défi et commencé, non sans difficultés (peu de bibliographie disponible, pas d'ouvrages en bibliothèques ou en librairies), à faire des cours de "Littératures d'Expression Française", méconnues jusqu'alors en Amérique Latine. Nous avons senti que l'on avait la chance de rencontrer un vrai représentant de l'Afrique, un connaisseur et un inspirateur.
Plus tard, nous avons pu compter avec la présence de Francis lors des SEDIFRALE III (2) à Bogota en 1981. L'amphithéâtre de l'Université était plein à rebondir, il s'est présenté avec sa guitare, son boubou bleu, avec son humour, sa sympathie, son savoir-faire mais surtout avec son savoir-être. Il y avait sans doute 1 500 personnes, dont beaucoup ne parlaient pas français, mais tout le monde à compris, tout le monde a ressenti la profondeur de sa musique, de ses paroles, tout le monde a ri avec Agatha ... Le public était sous le charme.
Francis connaissait déjà l'Amérique Latine, il avait été dans les Caraïbes, il avait été membre du jury du Concours International de Guitare Alirio Diaz à Caracas, il percevait tout de suite la sensibilité des peuples, comprenait vite le caractère des villes, des pays. Son jugement était toujours inspiré par des principes profonds, sa critique exprimée parfois par des mots durs finissait souvent par un rire qui parfois semblait dire "c'est ce que j'en pense", d'autres fois ce rire permettait de réfléchir sur le contenu d'ironie de ses propos.
En décembre 1981, il a accepté une invitation, et il est venu à Quito. Bien que dans le cadre du cours Littératures d'Expression Française, le concert à été réalisé dans l'auditorium de la Maison de la Culture de Quito et ouvert à tout public. La musique d'origine africaine n'ayant jamais été jouée dans le pays, l'inquiétude était grande mais le succès a surpassé toute prévision. On a dû fermer les portes de la Maison de la Culture tant le public aurait débordé la salle, l'enthousiasme fut formidable. A cette occasion aussi, dans le cadre du Musée de la Banque Centrale, il donna une conférence sur La Musique et le concept d'Art dans les cultures africaines. Quelques mois auparavant une exposition sur les cultures africaines y avait eu lieu. Il fit comprendre alors le vrai sens de la musique en Afrique, le sens de la petite flûte pygmée, de la tzanza... car une vision du monde entoure ces instruments de mythes et légendes qui permettent d'apprécier non seulement la musique elle-même, mais la culture des peuples... et montra que sa guitare pouvait devenir, entre ses mains, un instrument différent, guitare classique, guitare et percussion,... tam-tam.
Ensuite, ce fut Belo Horizonte au Brésil lors des SEDIFRALE VII, en 1989, pays qu'il connaissait bien déjà et dont un premier séjour lui avait inspiré le poème Concert pour un vieux masque qui nous fait tant réfléchir à ceux qui avons été élevés dans le goût de l'art pour l'art.
Les succès étaient toujours énormes car sa musique et sa façon de la jouer réveillaient les sentiments les plus profonds de l'être humain. On ne pouvait pas l'écouter sans ressentir ce pincement d'émotion qui poussait jusqu'aux larmes et produire ce rire spontané qu'il était capable de soutirer de son public.
Dans nos cours de littérature nous recourions toujours à Francis Bebey, que ce fut lorsque nous étudiions Senghor, ou Birago Diop ou Bebey lui-même. Il fallait bien entendre Femme Noire, ou Souffles, ou Agatha dits et joués par lui pour compléter l'essentiel du rythme, la finesse de la culture, la beauté des mots. Ceci ravivait l'intérêt des étudiants el leur jouissance des ouvrages étudiés. Son interprétation de Souffles, nous l'avions entendu à Paris, émus, quelques jours avant son départ, lors de la célébration du 10ème anniversaire de l'AFI. (3)
Francis Bebey nous a accompagnés et il continuera toujours à être des nôtres, sa musique, son oeuvre, sa bonté, son humour, son ironie, son rire ne nous abandonneront jamais. Ne nous oublie pas, s'il te plaît.

Esther Bermejo de Crespo, Quito, le 27 décembre 2001

Esther B. de Crespo est Professeur à l'Université Catholique de l'Equateur, Quito

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