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Ki- Zerbo laara. (1)
analyse
rédigé par Abraham N. Bayili
publié le 09/02/2007
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Avec la mort du professeur Joseph Ki-Zerbo le 4 décembre 2006 à Ouagadougou, l'Afrique a perdu l'une des figures les plus emblématiques de son Histoire. Éleve par son pays à titre posthume au rang de commandeur de l'ordre des palmes académiques, sa renommée avait depuis longtemps dépassé les frontières.

Séchées par le soleil, ses feuilles tombent. Rongées par les termites, ses racines meurent. Grillé par le temps et les intempéries, le baobab manque de sève, sèche et s'écroule. Ainsi le professeur Ki-Zerbo s'en est allé.
Diplômé de la Sorbonne en 1956, Ki-Zerbo est le premier agrégé d'histoire de l'Afrique noire. À ce titre il a enseigné dans des universités françaises et américaines ainsi que dans plusieurs universités africaines.
Engagé très tôt en politique, il lutte pour les indépendances aux côtés de Patrice Lumumba, de Kouamé Nkrumah et de bien d'autres leaders charismatiques des indépendances de l'Afrique noire. Le professeur Ki-Zerbo s'est toujours battu pour une "Afrique debout" au Burkina Faso tout comme ailleurs dans le continent. L'homme avait pour devise : "naan laara an saara" "si on dort on est mort". En 1958 il s'était déjà fait remarquer en appelant à voter "non" au referendum organisé par le Général de Gaule sur la communauté française Et en rejoignant Sékou Touré en Guinée.
Impliqué durant une cinquantaine d'années dans la vie politique, Ki-Zerbo n'a jamais appartenu à un gouvernement. L'homme ne fait pas parti de ces politiciens qui sèchent leurs habits là où il y a le soleil. Il n'est pas de ceux qui papillonnent de parti politique en parti politique à la recherche de quelques CFA pour la satisfaction de leurs tripes au détriment de leurs esprits. Fidèle à ses idéaux, Ki-Zerbo est toujours resté égal à lui-même et loyal envers sa conscience. "Éternel opposant" il participera activement en 1966 à la chute de Maurice Yaméogo premier président du Burkina Faso (ancienne Haute-Volta). En 1970 il est élu député à l'assemblée nationale avant d'échouer en 1978 au second tour des présidentielles face au général Sangoulé Lamizana. Contraint à l'exil à Dakar en 1984 sous le régime de la révolution du capitaine Thomas Sankara, il retourne dans son pays en 1991 où il est élu, l'année suivante, député du PDP / PS (Parti pour la démocratie et le progrès / parti socialiste), parti de l'opposition dont il démissionnera en février 2005. Encore très impliqué dans la vie politique, il avait démissionné en septembre dernier de l'Assemblée nationale. L'homme en vérité a le plus souvent croisé le fer avec les régimes qui se sont succédé au pays des hommes intègres. Il a été condamné par un tribunal populaire de la révolution (TPR) avant qu'une de ses bibliothèques composée de plus de douze mille ouvrages ne soit incendiée.
Si la démarche politique de celui que l'Afrique pleure aujourd'hui n'a pas toujours suscité l'adhésion de r ses paires, il en est tout autre chose pour sa production intellectuelle. Peut être aura-t-il eu le malheur d'être né très tôt dans une Afrique trop jeune. Dans sa vision, l'intellectuel a été un homme engagé dans le combat pour l'émancipation de son peuple. La science qu'il a étudiée et enseignée participe de cette entreprise intellectuelle sans laquelle l'action politique serait un bateau sans voile. Pour l'Afrique qui est un continent "sans histoire", il ne pourra y avoir de projet politique salvateur sans connaissance de soi-même. Socrate ne disait-il pas "connais-toi, toi-même" ? Et à Ki-Zerbo de dire, "Rien ne vaut la splendeur de la connaissance et du contrôle de soi. Se forger une identité individuelle et collective irréductible, c'est un chef-d'œuvre d'un cœur noble". Sa pédagogie a contribué à relever les identités africaines qui constituent selon lui les socles du développement. C'est pourquoi il a toujours œuvré pour un développement de l'Afrique ; mais un développement endogène basé sur ses valeurs cardinales. "Il n'y a pas de Père Noël qui, venu d'ailleurs nous apportera le développement comme un plat cuisiné ou un gâteau de fête. Le développement sera endogène ou ne sera pas. On ne développe pas. On se développe" affirmait-il encore en 2005 dans une interview (2).
En tant qu'historien, il interroge le passé africain dans toute sa quintessence avec en toile de fond l'histoire de l'humanité. Ki-Zerbo a toujours travaillé à restaurer l'Histoire de l'Afrique et à bonifier "l'identité Nègre".
Dans son ouvrage Histoire de l'Afrique noire (3), il exprime bien sa pensée en ces termes : "l'histoire veut embrasser en largeur et en profondeur le fleuve de l'évolution humaine. Elle veut en saisir tout le débit, jusqu'aux débris et rochers du fond qui explique souvent les écumes et les remous…". À 84 ans, Ki-Zerbo tire sa révérence en laissant à la prospérité une bibliographie riche et variée. Ses écrits dépassent la dimension de l'histoire en tant que science pour trouver leur prolongement dans la dimension philosophique et sociale. À la jeunesse africaine, il laisse ce message. "Je souhaite que les jeunes mettent à la construction de l'Afrique, la même passion que celle qui nous dévorait dans la lutte pour l'indépendance" (4).
Ainsi, à l'instar du poète Birago Diop, "les morts ne sont pas morts" car les œuvres que l'homme a laissées à la prospérité lui survivront.

Abraham N. Bayili (Burkina Faso).

Éléments de bibliographie :
Le monde africain noir, éd. Hatier, Paris,,1964.
Histoire de l'Afrique noire, éd. Hatier, Paris, 1972.
Éduquer ou périr, 1990.
La natte des autres, éd. Karthala, Paris, 1993.
A quand l'Afrique ? éd. de l'Aube, Paris, 2003, prix RFI "Témoin du monde".

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