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Revues de l'interculturel en bibliothèque : les nouvelles passerelles
Nouvelles technologies, anciennes problématiques
analyse
rédigé par Olivier Barlet
publié le 01/02/2010
de droite à gauche, Marie-Antoinette Hily, Philippe Drouin, Jean-Michel Henry et Thomas Parisot
de droite à gauche, Marie-Antoinette Hily, Philippe Drouin, Jean-Michel Henry et Thomas Parisot
Rencontre du 13/01/10 à la CNHI
Rencontre du 13/01/10 à la CNHI

On dit souvent que les revues sont un laboratoire de la pensée : les auteurs y publient des articles qui constituent les étapes de leur réflexion conduisant à des ouvrages, les revues font un état des lieux sur des thématiques peu abordées, un état des savoirs. Essentielles, elles restent pourtant souvent mal diffusées et méconnues. Si les bibliothèques ont toujours une section revues et périodiques, la diversité des revues y trouve difficilement sa place. Avec les nouvelles technologies, des portails de revues ont vu le jour qui changent la donne de l'accessibilité, les bibliothèques multipliant les bornes d'accès internet et achetant des accès groupés. Faut-il pour autant délaisser l'imprimé ? La revue se réduit-elle à son seul contenu ? Un nouveau partenariat entre revues et bibliothèques se profile, comme il en ressort des tables-rondes organisées le 13 janvier 2010 conjointement par l'Association des revues plurielles (ARP) et la médiathèque Abdelmalek Sayad de la Cité nationale de l'Histoire de l'immigration (CNHI) dans les locaux de cette dernière.

La toute récente médiathèque Abdelmalek Sayad n'est pas en reste sur les nouvelles technologies : huit postes multimédias y sont aménagés, qui donnent accès à la base de données de la CNHI et à des agrégateurs de presse. Bien sûr, comme toute bibliothèque, elle se pose la question de poursuivre l'achat des revues, sachant que ce choix de les présenter de manière physique est d'un coût supérieur. Elle fait l'analyse des propositions existantes de portails payants ou gratuits de revues numérisées. Sa responsable Claire Tirefort indiquait ainsi que la convocation de revues et de bibliothèques à une réflexion commune n'est pas anodine.
André Chabin, responsable d'Ent'revues, qui organise l'incontournable rendez-vous d'octobre qu'est le Salon de la revue, listait les obstacles indiqués par les bibliothèques : déficit de place, d'argent, d'information. Si les deux premiers points sont évidents, le troisième est sujet à caution : la visibilité des revues est maintenant maximale sur le net. Le site d'Ent'revues propose un annuaire de 2500 revues et une nouvelle initiative internet, Place des revues, présentée par Jean-Michel Henny, vient le compléter. Il groupe toutes les revues francophones et propose toute une série d'informations complémentaires dans un système basé sur le logiciel libre médiawiki permettant aux revues de s'autoprésenter. Inauguré le 19 octobre 2009 au Salon de la revue, le portail est tout récent. Il cherche à restaurer une vision d'ensemble du " village " des revues, une agora dans un environnement où les portails documentaires existants sont incomplets.
Le problème des portails, a indiqué André Chabin, est qu'on y vend surtout des articles, moins des revues dans leur entier, alors qu'une revue ne se réduit pas non plus à son dossier thématique. Les bibliothèques ont tendance à pencher vers un accès numérique enrichi d'animations autour des numéros récents de revues. De l'avis d'André Chabin, une revue ne peut se rabattre à son contenu. Elle a une façon de se mettre en scène et de parler d'elle-même, ce qu'on appelle " la forme du contenu ". Si les revues ont été plus rapides que les éditeurs et le Centre national du Livre qui ont traîné le pied sur la numérisation, c'est sans doute qu'elles trouvent sur internet une possibilité rhizomique de se déployer.
Pour rendre compte des tentatives d'Africultures de forcer la porte des bibliothèques depuis sa création en 1997, j'ai rendu compte des expériences tentées par notre équipe. Principal obstacle rencontré en dehors de ceux déjà évoqués : une vision très partagée comme quoi une revue de culture africaine, la seule en France pour un des cinq continents, s'adresse aux Africains. Et donc une réponse générique : " il n'y a pas beaucoup d'Africains dans notre lectorat ". Comme si une revue de culture africaine ne s'adressait qu'aux Africains ! Dans le débat actuel sur la diversité, cette réduction est emblématique de l'état des choses. Comme l'écrivait Tahar Ben Jelloun dans Le Monde du 21 décembre 2009, " Le dialogue entre l'immigration et la France est devenu un choc des ignorances. Les amalgames, le racisme ordinaire planqué dans l'inconscient collectif, le malheur et le malaise se sont installés dans le pays, et ce depuis longtemps ".
Membre de l'association des Revues plurielles, Africultures a mis comme les autres revues de ce portail ses contenus en accès libre à la suite d'une convention avec la CNHI destiné à rendre aisément accessible des contenus de réflexion sur l'interculturalité. Cette convention vient cependant à terme et ne sera pas renouvelée en l'état, ce qui pose à l'ARP une question complexe à résoudre.
Revue des deux rives, Algérie Littérature-Action allie textes et visuels sur la création algérienne : sa forme imprimée reste essentielle. Passer à l'internet signifie une perte de forme et donc de contenu. La revue, précisait sa directrice Marie Virole, " est une histoire de compagnonnages multiples qui ont besoin d'être incarnés ". " Toute rencontre avec le public est une dynamique irremplaçable ", a-t-elle ajouté, insistant sur la possibilité de rencontres et animations thématiques possibles en bibliothèque autour de numéros des revues. Une récente expérience d'exposition regroupant les photos personnelles des habitants avait donné lieu à une rencontre particulièrement émouvante.
Si cette revue a davantage accès aux bibliothèques universitaires qu'Africultures, c'est parce que, notamment dans les études de littérature comparée, l'accès aux textes est primordial et qu'elles intègrent toutes les littératures francophones. La présence en bibliothèque est une trace durable, en l'occurrence une " mémoire de la littérature algérienne contemporaine ".
Des bibliothèques présentes ont insisté sur le fait que certaines revues ne sont jamais lues : à quoi bon les conserver ? Le problème est alors de les faire connaître, grâce à des animations, dans une démarche pédagogique. Une bibliothèque ne peut uniquement se baser sur le succès de telle ou telle lecture si elle veut conserver une fonction éducative. Ce serait le triomphe de la valeur marchande, de la demande sur l'offre culturelle, coupant les ponts de la découverte. Le problème est de contribuer à créer cette dynamique d'appropriation.
Egalement membre de l'ARP et présente sur son portail, la Revue européenne des migrations internationales (REMI) est publiée sur Persée (pour ses archives jusqu'en 2002) et Revues.org (numéros de 2002 à 2006), portail gratuit, et sur Cairn, portail payant, pour ses numéros récents (depuis 2006). Ce choix s'est imposé du fait de son identité de revue scientifique de sciences humaines. Marie-Antoinette Hily a indiqué que Revues.org est "tout sauf un agrégat", mais "un ensemble de projets éditoriaux qui se reconnaissent entre eux et s'allient pour multiplier leurs forces" selon Marin Dacos le directeur du Centre pour l'édition électronique ouverte (CLEO). L'accord de diffusion commerciale entre Revues.org et Cairn stipule une barrière mobile (seuil de gratuité d'accès) de trois ans. Cairn propose un accès à 240 revues de sciences humaines et sociales (6 bouquets dont 4 thématiques). Fait intéressant souligné par Marie-Antoinette Hily : les abonnements n'ont pas diminué, "bien au contraire".
Les différents portails participent d'une visibilité internationale indéniable, et participent ainsi du désenclavement de la recherche française dont le lectorat est trop confiné. Présentant Cairn comme une réponse à l'érosion de la diffusion des revues et aux nouvelles attentes des acteurs et lecteurs, Thomas Parisot a insisté sur la mutualisation à l'œuvre dans le portail et l'équilibre entre public et privé, gratuit et payant, intérêts des utilisateurs et éditeurs. Groupant maintenant 60 sociétés éditoriales de France et de Belgique, Cairn propose aux institutions un accès illimité au texte intégral et une série de services associés (flux RSS, statistiques, etc.). Le portail cherche à multiplier les passerelles avec d'autres portails et procède à une indexation par occurrence des termes, mais aussi par termes associés.
Il était intéressant d'écouter Philippe Drouin présenter la fort méconnue mais impressionnante offre de l'INIST qui permet aux chercheurs du CNRS d'accéder à une masse documentaire très importante en se faisant portail d'un grand nombre de revues dans différentes disciplines, ce qui représente un budget de six millions d'euros, dont 1,5 pour les sciences humaines ! L'INIST travaille à un moteur fédéré permettant d'accéder à toutes les bases existantes. En profite une communauté de 9000 ayant droits, ce qui a représenté en 2008 un total de 693 000 connexions pour les seules sciences humaines. Le projet HAL (hyper-archives en ligne) a permis de recevoir en dépôt des chercheurs 405 000 documents (thèses, articles, post-prints), dont 133 000 dépôts scientifiques, les autres étant des notices validées.
C'est donc bien une nouvelle offre et de nouveaux modes de diffusion de la pensée qui se mettent aujourd'hui en place. L'enjeu est d'en démocratiser l'accès : les bibliothèques ont en cela un rôle essentiel à jouer, en fonction de leurs spécificités (des universitaires aux municipales). Mais malgré cette hyper-organisation numérique d'accès global aux contenus, l'objet revue reste une œuvre à compulser, à découvrir, à s'approprier, à aimer.

Olivier Barlet

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