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Frantz Fanon, peau noire, masque blanc
d'Isaac Julien
critique
rédigé par
publié le 01/12/1998
Frantz Fanon
Frantz Fanon

Portrait du psychiatre et théoricien révolutionnaire martiniquais Frantz Fanon, le film frappe par ses choix esthétiques et théoriques. Plutôt qu'une fade chronologie, Isaac Julien (connu pour Young Soul Rebels, qui avait marqué en 1991 en opposant l'amitié passionnelle de deux jeunes DJ noirs à l'immobilisme de la société britannique) privilégie une approche proprement corporelle de cet " ange vengeur d'une époque troublée " : il cherche à le cerner dans l'intime de sa dénonciation de l'aliénation, ce masque blanc sur la peau noire, ce racisme qui dépersonnalise en enlevant toute reconnaissance et qui se résume à un regard sur la peau. Cette peau, Julien la montre de façon ostentatoire, dénudant Fanon pour extraire ce désir qu'implique toujours le regard : le racisme est finalement le déni du désir que ressent le Blanc pour le Noir. Lui qui a aimé Josée Dubié, une femme blanche, revendique la contradiction. Et théorise le malaise de l'homme noir : désiré par la femme blanche et par l'homosexuel blanc mais pas par la femme noire aliénée qui lui préfère l'homme blanc.
Pour se libérer de ce corps conflictuel, Fanon, fils noir en mal de masculinité, développe une extrême colère contre le père castrateur, le colonisateur : si la rupture avec le pouvoir colonial ne se fait pas par les armes, elle ne débouchera pas sur l'indépendance et la liberté. Cette victoire sur l'ennemi, Fanon la trouve en Algérie, s'engageant avec la partie la plus radicale du FLN. La question de la violence, on ne peut plus actuelle, déchire la fin du film avant de rappeler son " ultime prière " : " ô mon corps, fait toujours de moi un homme qui s'interroge ".
On le sent bien, Julien est passionné par la mise à nu qu'opère Fanon des ambiguïtés des jeux de désir et la représente de façon insistante à l'écran, n'évitant pas une symbolisation tirant vers le baroque, liée à une musique obsédante et des jeux de surexposition. Il est plus gêné par contre par le choix que fait Fanon de la violence : " Dépassons le silence du tortionnaire et prenons garde aux cris ". Et insiste sur le machisme de la société algérienne issue de l'indépendance. Cette appel et cette ouverture au doute font de cet hommage, touffu mais passionnant de bout en bout, une œuvre subtile et engagée.

Olivier Barlet

Grande-Bretagne, 1996, 1 h 10 ; scénario : Isaac Julien, Mark Nash d'après les écrits de Frantz Fanon ; production : Mark Nash, Normal Films ; image : Nina Keligren, Ahmed Bennys ; avec Colin Salmon et la participation de Jacques Azoulay, Mohamed Harbi, Raphaël Confiant, Françoise Vergès, Maryse Condé, Homi Bhabha, Olivier et Joby Fanon.

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