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Histoire de la BD congolaise
Dessine-moi un Congo…
critique
rédigé par Alain Brezault
publié le 13/09/2010
Couverture d'"Histoire de la BD Congolaise"
Couverture d'"Histoire de la BD Congolaise"

Christophe Cassiau-Haurie (1), après avoir rédigé en 2009 un ouvrage exhaustif répertoriant et analysant ce qui a été réalisé dans l'espace francophone de l'Océan Indien en matière de bande dessinée (2), est parti à la recherche, dans le temps et dans l'espace, des magazines, des albums et des auteurs de BD ayant parfois, malgré les foudres de la censure locale, porté un regard critique sur l'histoire chaotique de cet immense pays qu'est devenue la République Démocratique du Congo. Le résultat est, du point de vue analytique et chronologique, une étude passionnante sur l'incomparable richesse créative de la BD congolaise dans tous ses états…

La balade temporelle de Christophe débute vers 1930, en pleine période coloniale belge où l'on va voir apparaître les toutes premières planches de BD attribuées à des Congolais, et remonte jusqu'à la réalisation de l'album collectif "Congo 50", publié dans le cadre des festivités qui se sont déroulées le 30 juin 2010 à Bruxelles, Kinshasa et dans les grands centres urbains provinciaux pour commémorer les cinquante années d'indépendance du Congo(3).
Plutôt que de remonter à mon tour dans le temps, à la recherche des planches perdues ou retrouvées de tous ces magiciens du crayon, eux qui sont aussi nombreux à Kinshasa, Kinsangani, Bukavu et Lubumbashi que dans tout le reste du continent, je vais essayer d'épingler, en sautant d'une lettre de l'alphabet à l'autre, quelques-uns des auteurs les plus exemplaires parmi tous ceux qu'évoque Christophe dans son livre…
Par exemple, "A", comme Asimba Bathy, révèle un activiste passionné de la BD congolaise à travers les nombreuses publications qu'il a lancées ou auxquelles il a participé depuis une trentaine d'années. Responsable de l'association "BD Kin Label", artiste et technicien hors pair, l'homme est à la fois un acteur infatigable et un témoin privilégié du 9ème art au Congo, tout comme le sont ses amis Al'Mata, Hallain Paluku ou Alain Kojele, trois auteurs dont les noms sont synonymes de l'humour kinois si particulier qu'ils exportent depuis quelques années dans leurs derniers albums diffusés en France et en Belgique (4)…
"B", comme Barly Baruti : celui qui a su voyager très tôt en Europe en passant par les studios Hergé de Bruxelles, à la suite du précurseur Mongo Sisé, pour ensuite faire reconnaître son immense talent en devenant l'artiste incontournable de la BD congolaise et africaine en général. "B", comme le phénoménal Boyau Loyongo, auréolé d'une gloire acquise au temps du mythique magazine "Jeunes pour jeunes" dans les années soixante-dix, et qui propose dorénavant ses nouvelles planches à la revue "Kin Label" après 30 années de silence…
"C", comme Charly Tchimpaka, dont les planches délirantes, gorgées de couleurs attendent d'être enfin réunies dans un album flamboyant qui tarde à venir, cependant qu'à l'opposé, son collègue Cara Bulaya compose des histoires dans un style classique au réalisme pointilleux…
"D", comme Dick Esalé, un des leaders incontesté de la nouvelle vague des bédéistes congolais. Son humour ravageur fait les délices des jeunes lecteurs kinois, alors que, dans une approche beaucoup plus militante, un dessinateur de Kisangani, Dody Lobela est devenu, à travers son art, un farouche défenseur des droits de l'homme dans sa région. Je salue également au passage Djemba Djeis, un des "grands anciens" toujours sur la brèche, ainsi que Didier Kawende, originaire de Goma, tous deux venant de participer à l'album "Congo 50"
"F", comme Fati Kabuika, un jeune peintre et bédéiste dont les progrès graphiques stupéfiants en deux ans à peine se concrétisent dans "Andolo et les voleurs de chiens", une série de planches savoureuses publiées régulièrement dans la revue "Kin Label" qui lui a déjà consacré une couverture entière.
Sans vouloir faire défiler tout l'alphabet, je ne peux clore cette ébauche de liste sans nommer à la lettre "J", Jason Kibiswa dont les très grandes qualités picturales (peinture, fresque, illustration et BD) sont à la mesure de sa capacité de travail au sein de l'association "BD Kin Label" et dans "Pendro Magazine", une revue publiée à Londres, dans laquelle il dessine en association avec Asimba Bathy et Thembo Kash.
A la lettre "L", je citerai Lepa Mabila Seye pour son côté populaire dont le succès ne s'est jamais démenti depuis l'époque où il dessinait, avec ses collègues Boyau Loyongo et le très grand Pat Masioni (5), des BD religieuses pour les éditions Saint-Paul, jusqu'à ses dernières planches qu'il propose lui aussi à "Kin Label", tout en publiant ses fascicules auto-édités et alimentés par les rumeurs de "radio trottoir". Ne pas oublier l'autre champion incontournable de la micro-édition et de la peinture populaire Papa Mfumu'eto, qui se définit lui-même en tant que "bédéaste et grand prêtre de la peinture mystico-religio-secrète africaine"…
Je n'oublie pas non plus le "S", avec Séraphin Kajibwami qui anime à Bukavu une association de jeunes dessinateurs et conçoit des affiches et des planches de BD afin de contribuer à la résolution des conflits dans sa région, tout en restant en liaison avec ses collègues de "Kin-Label".
Enfin, la lettre "T" nous offre, deux artistes hors du commun, Thembo Kash et Tetshim. Le premier vit à Kinshasa et le second à Lubumbashi. Tous deux sont des caricaturistes exceptionnels mais aussi des virtuoses de la BD réaliste. Leur renommée grandissante a depuis plusieurs années dépassée les frontières du Congo…
Quant à la diaspora des artistes congolais ayant émigré en Europe, je ne peux que saluer au passage quelques-unes d'entre eux car ils sont devenus les ambassadeurs de la BD congolaise à l'étranger : Albert Tshitshi, Alix Fuilu, Al'Mata, Alain Kojélé, Eric Sala, Dominique Mwankumi, Fifi Mukuna, Hallain Paluku, Pat Masioni, Pat Mombili, Serge Diantantu, Léon Tchibemba…
Leurs albums sont disponibles dans les bonnes librairies et méritent d'être lus : achetez-les !
Et puis, si vous souhaitez obtenir toutes les informations nécessaires sur l'histoire de cette fameuse bande dessinée congolaise, Christophe Cassiau-Haurie est là pour éclairer votre lanterne : son livre très documenté, méticuleux, fourmille de détails qui en rendent la lecture passionnante.
PS : Petite question en forme de paradoxe à poser à l'auteur : pourquoi la République Démocratique du Congo est-elle depuis l'indépendance une pépinière de bédéistes et de caricaturistes, alors que le nombre de romanciers reste très faible et que ceux-ci abondent malgré une population dix fois moins nombreuse au Congo-Brazza sur l'autre rive du grand fleuve où la BD reste marginale ?

Alain Brezault

Bruxelles, 10 septembre 2010

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