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Little Senegal
de Rachid Bouchareb
critique
rédigé par Marième O. Daff
publié le 01/01/2002
Little Sénégal, de Rachid Bouchareb
Little Sénégal, de Rachid Bouchareb
Little Sénégal, de Rachid Bouchareb
Little Sénégal, de Rachid Bouchareb

Sur le boulevard Malcolm X, c'est Dakar en Amérique !

Rachid Bouchareb l'a faite découvrir à la France dans son dernier film, Little Senegal : cette petite enclave au coeur d'Harlem où s'est installée une large communauté africaine. Alloune, retraité sénégalais, joué par l'acteur burkinabé Sotigui Kouyaté, arrive à New York à la recherche des descendants de sa famille arrivés ici en esclavage. Débarquant dans ce Harlem "revisité" chez un neveu taximan clandestin, Alloune découvre un monde où ses frères Africains et leurs cousins Américains cohabitent sans se côtoyer. Une réalité de tous les jours dans ce coin de New York, où la population africaine croît considérablement.
Le quartier est baptisé "Little Senegal", car se sont en majorité des Sénégalais qui y ont fait leur trou. Une immigration récente et encore mal suivie, mais qui fait pourtant beaucoup parler d'elle. Selon Dame Babou, journaliste sénégalais, "leur chiffre reste incertain. On spécule à 10 000, 15 000 ou 25 000 sur la ville de New York... Moi, je dirais même bien plus que ça ! Avec les clandestins, allez savoir. Ce qui est sûr, c'est que c'est un groupe prédominant, représentant plus de la moitié des immigrés africains ici."
Au yeux des new-yorkais, cette nouvelle vague d'immigrés est incarnée par ces marchands de rue que l'on voit partout dans les quartiers commerçants de Manhattan. Ils vendent de fausses Rolex, des tee-shirts ou des parapluies. Mais au-delà de ce stéréotype réducteur, que sait-on véritablement d'eux ? Pas grand chose si on ne s'aventure pas dans leur "domaine", la quartier ouest d'Harlem.
Car on pénètre bien dans un autre monde quand on arrive à Little Senegal. Sous la chaleur humide d'une journée estivale new-yorkaise, à flâner le long de la 116ème rue ouest, on se croirait au centre-ville de Dakar, ou à certains moments même, dans le quartier populaire de la Médina. Hommes et femmes égayent les trottoirs de leurs boubous colorés. On n'entend que du wolof (occasionnellement un peu de français) mélodieusement noyé sous la voix de Youssou N'Dour qui émane de presque chaque commerce. Une flopée de salons de coiffure aux enseignes tape-à-l'oeil se succèdent le long de la rue ; au passage, on vous harcèle un peu, comme à Château d'Eau ou Strasbourg St Denis à Paris, "Viens, on t'fait de belles tresses – pas chères".
Mais c'est quand des odeurs aux accents épicés nous taquinent les papilles que là véritablement, on se sent au pays. Le quartier ne compte pas moins d'une demi-douzaine de restaurants offrant un large choix de spécialités ouest-africaines. L'un des plus fréquentés est "Africa", où les exilés au palais nostalgique se retrouvent autour d'un bon Thiebou Dieune, le plat national du Sénégal. Le restaurant a ouvert ses portes en 1994 et s'est imposé très vite comme lieu favori au sein de la communauté. "Les plats y sont simplement excellents," explique Mustapha Sylla, un régulier à "Africa". Mais il y a davantage que cela : "Ici, on est à Dakar, on est en famille. Bien plus qu'un restaurant, c'est aussi un relais pour la communauté. On a différentes petite cellules associatives qui mettent leurs annonces ici : pour les concerts, les soirées et consorts. Il arrive également qu'il y ait des hommages pour les décès. Ça nous permet de rester informés de ce qui se passe et aussi d'aider au besoin."
L'entraide et l'hospitalité – la "teranga" en wolof – restent des valeurs essentielles de ces Sénégalais d'Amérique. Ils ont apporté avec eux la tradition des "daïras", un système de cotisation hebdomadaire ou mensuelle, dont les fonds servent en cas d'urgence. Lors d'un décès par exemple, les frais de retour du corps sont pris en charge par ces associations, qui envoient également un support financier à la famille du défunt.
Ce scénario est d'autant plus tragique quand c'est un corps criblé de balles que l'on ramène au pays... Car Little Senegal, c'est tout de même Harlem et on n'échappe pas à la violence ambiante. Les chauffeurs de taxi, en particulier en sont victimes. Le phénomène frappe donc directement la communauté, qui compte en effet beaucoup de membres dans le métier. La mauvaise maîtrise de l'anglais, ajoutée au fait qu'ils connaissent peu les quartiers où ils circulent, en font des proies faciles pour les voyous.
A ce jour, 41 taximen sénégalais ont perdu la vie dans les rues de New York…
Dans un tel climat, il est clair que les autres Noirs d'Harlem sont regardés avec la plus grande méfiance. Rares sont les résidents de Little Sénégal qui les fréquentent, et vice-versa. Il y a un fond de racisme dans les deux sens et le rapprochement paraît difficile. Il se fait néanmoins, timidement, en la personne de quelques Américains "roots", ces Noirs désireux de se réapproprier leurs racines africaines. On les voit occasionnellement à l'une des tables "d'Africa" ; ils en font presque trop dans leur enthousiasme de découverte ! Ce sont les mêmes que l'on retrouve au Marché africain d'Harlem ; ils achètent des tissus, de l'artisanat ou de la musique – pour un rapide voyage en rêve. Mais après tout, à Little Senegal, on a déjà littéralement mis pied en Afrique.

Marième O. Daff

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