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NOME. Guerre et paix en Guinée Bissau
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 12/03/2024
Sana NA N'HADA, réalisateur bissau-guinéen
Sana NA N'HADA, réalisateur bissau-guinéen
Scène du film NOME
Scène du film NOME
Scène du film NOME
Scène du film NOME
Scène du film NOME
Scène du film NOME
Scène du film NOME
Scène du film NOME
Scène du film NOME
Scène du film NOME
Scène du film NOME
Scène du film NOME
Scène du film NOME
Scène du film NOME
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE

LM Fiction de Sana Na N'Hada, Guinée Bissau / France / Portugal / Angola, 2023
Sortie France : 13 mars 2024 (Distribution : The Dark)

Peu de fictions sortent de Guinée Bissau pour éclairer les écrans de cinéma. Celles de Flora Gomes ont enchanté les années 90 et Sana Na N'Hada a marqué avec Xime en 1994. Après des documentaires et une fiction sur des gangs qui bouleversent la vie d'une île de l'Archipel des Bigajos, Kadjike, 2013, le réalisateur s'est engagé brièvement dans le gouvernement de Guinée Bissau comme secrétaire d'Etat, en 2015. Puis il s'est investit dans l'Association Cadjigue pour la défense de la culture des Bigajos avant de revenir au cinéma de fiction avec Nome.
Le film est retenu dans la sélection de l'ACID au Festival de Cannes 2023. C'est une plongée dans le passé pour ce cinéaste, engagé avec des collègues par Amilcar Cabral pour filmer les combats des années 60 contre les Portugais afin d'obtenir l'indépendance. Depuis qu'elle est survenue, après 1974 avec le changement de gouvernement au Portugal, la Guinée Bissau n'a pu profiter durablement de stabilité politique pour engendrer un mouvement national de cinéma. Mais Sana Na N'Hada a puisé dans les images tournées à l'époque, la matière vive pour réveiller la mémoire et réfléchir à l'évolution du pays avec Nome.



Nome enterre son père, joueur de bombolong [tambour, ndlr] du village, à la fin des années 60. Il doit perpétuer la tradition puis il tombe sous le charme de la fille de son oncle, venu aider la mère de Nome dans sa case. Quand elle se retrouve enceinte, le garçon part et s'engage dans les troupes de libération. Il gagne la confiance des soldats puis du galon tandis que la future mère part en ville avec un colporteur qui la parraine. Lors d'une attaque violente, elle accouche, perd connaissance, sa fille est récupérée par une infirmière du front.
La jeune femme, devenue muette, se retrouve dans un centre où officie l'infirmière sans identifier sa fille qu'elle croit perdue. La lutte s'achève lorsque les Portugais cèdent leur colonie. Nome revient au village puis s'installe en ville pour tirer parti du système qui se met en place, avec ses anciens compagnons d'armes. Le temps des compromissions arrive, du reniement et du profit condamnés par un ancien soldat. La Guinée Bissau se libère sans s'émanciper vraiment.



La fiction de Sana Na N'Hada est émaillée par les images d'époque, tournées avec ses collègues pendant la guerre, récupérées et restaurées bien plus tard. "Ça a été justement pour intégrer ces images-là que j'ai fait ce film", confie le cinéaste. Elles participent aux recherches graphiques du film qui expose leur usure, leurs perforations. Les plans actuels, signés par Joao Ribeiro, réalisateur mozambicain, sont traités avec une certaine inventivité formelle, via l'usage de voilages, de vitres, d'apparitions effectuées à la prise de vues. Le rapport à la nature, aux arbres, au soleil élargit le sujet. "Ma culture est animiste", souligne Sana Na N'Hada. La présence d'un esprit au visage peint en blanc, contribue à la dimension spirituelle de cette fresque historique.
"L'esprit nous guide", indique le cinéaste. "C'est pourquoi il évolue en fonction de la réussite des intéressés qui sont encore vivants." Le montage est parfois inspiré, parfois simpliste notamment dans la partie qui expose l'indépendance. Et comme les interprètes dont l'acteur qui joue Nome, ne sont pas toujours dans la note, le film s'étire et s'alourdit sans vibrer du souffle esquissé. "Comme je n'ai pas l'occasion de faire beaucoup de films, je charge le récit", admet le réalisateur. Pourtant l'intérêt du devoir de mémoire, le désir de plasticité retiennent l'attention. Sana Na N'Hada montre un héros assez négatif mais aussi une femme forte, soutenue par une consoeur engagée et solidaire.



Avec la musique bruitiste et parfois envoûtante de Remna Schwarz, fils d'un grand musicien guinéen, Nome tente de concilier les exigences d'un cinéma d'auteur avec celle d'une coproduction internationale. Produit pas la Guinée Bissau, la France et le Portugal, avec la participation de l'Angola, il rassemble une équipe cosmopolite pour occuper plus largement les écrans. "Je fais ce que je peux pour l'existence de mon pays sur le plan international", commente Sana Na N'Hada. En s'appuyant sur un scénario un peu complexe mais parfois simpliste, écrit par un Portugais et un Français, le cinéaste emploie des acteurs souvent peu à l'aise devant les caméras.



Mais ce film de lutte est aussi une histoire de transmission qui vise à sensibiliser les citoyens en dénonçant les dérives. Il lie et délie des destins qui s'échappent de la nature pour se perdre dans la jungle de Bissau. Ses allusions aux rivalités claniques, aux fractions de la guerre, laissent augurer un avenir amer. Comme si les hommes désarmés se retournaient contre le peuple pour mieux l'exploiter. Effrayant même l'esprit des forêts qui guette et commente les espoirs des hommes et leurs vacillements. "Nome, ça veut dire homonyme", explique Sana Na N'Hada. "Grâce à ce titre je veux dire qu'on est tous ensemble responsables de ce qui nous arrive". Un sens de l'engagement à méditer.

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France), pour Africiné Magazine

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