Tirailleurs de Mathieu Vadepied, un film pour le symbole, a été présenté sur la Croisette. Un nouvel hommage, nécessaire, aux valeureux soldats africains morts pour la France.
La section Un Certain Regard de la 75è édition du Festival de Cannes s'est ouverte le 18 mai 2022 avec Tirailleurs de Mathieu Vadepied. Le comédien franco-sénégalais Omar Sy et Alassane Diong se partagent l'affiche. "Souvenez-vous de nous !" : cette prière du narrateur traverse le long métrage de près de deux heures qui reconstitue le dramatique sort de deux tirailleurs sénégalais, Bakary et son fils Thierno.
Pour protéger son enfant, le premier s'engage dans l'armée française en 1917. Thierno vient d'être incorporé de force pour combattre les Allemands. Fatalité et désespoir se sont ainsi invités dans le paisible quotidien de cette famille d'éleveurs peuls du Fouta Djalon dont les terres, colonisées par la France, font partie de l'Afrique occidentale française (AOF).
Désormais, déportés à des kilomètres de chez eux, les deux hommes sont piégés dans une vie et un territoire qui leur sont inconnus. Leur leitmotiv : retourner le plus tôt chez eux ! En attendant, les soldats qu'ils sont doivent accomplir leur devoir. A savoir défendre la "mère patrie". Mathieu Vadepied, également coscénariste de Tirailleurs, a construit son film autour de la résistance du lien père-fils dans cet environnement hostile à plusieurs niveaux. Les tensions entre les soldats et leur hiérarchie ainsi que celles entre soldats s'ajoutent à l'hostilité inhérente à un terrain de guerre.
Les mauvaises ondes se répandent vite et finissent par empoisonner la relation filiale qui lie Thierno et son père. La fougue du fils, qui s'est fait de nouveau compagnons d'arme dont son capitaine, s'oppose petit à petit à la sagesse du père qui n'a jamais perdu de vue son objectif premier, celui de protéger son enfant. Alassane Diong et Omar Sy réussissent à retranscrire l'intensité de cette émotion et offrent ainsi à Tirailleurs des scènes notables, au-delà même de la symbolique qui peut entourer ce long métrage.
En présentant le film, Omar Sy - qui s'est personnellement investi devant (il a coproduit le film) et derrière la caméra - a souligné que les Français et les ressortissants des pays de l'empire colonial n'avaient "pas la même mémoire" mais partageaient "la même" Histoire. Les derniers mots du narrateur de Tirailleurs rappellent ceux du célèbre poète et écrivain sénégalais Birago Diop, "les morts ne sont pas morts". Cela vaut peut-être un peu plus pour les tirailleurs sénégalais et tous les Africains qui ont participé, au fil des ans, à l'effort de guerre sans que leur patrie d'adoption, la France, ne leur en soit toujours reconnaissante.
À la suite d'Indigènes du cinéaste franco-algérien Rachid Bouchareb dont les comédiens ont remporté le prix d'interprétation ex-aequo en 2006 au Festival de Cannes, Tirailleurs vient rappeler combien le cinéma contribue à corriger cette fâcheuse tendance qui ronge nos sociétés : l'oubli.
Falila Gbadamassi
