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"Je veux des rôles qui sortent de l'intérieur"
entretien d'Olivier Barlet avec l'actrice France Zobda
entretien
rédigé par Olivier Barlet
publié le 09/05/2005

Comment avez-vous débuté au cinéma ?
J'ai fait mon premier film en tant que comédienne en 1983 avec John Guillermin dans Sheena, reine de la jungle : c'était extraordinaire de démarrer dans une production hollywoodienne avec la Columbia et un réalisateur connu pour de grands films comme King kong ou La Tour infernale!
Avec un titre comme ça, la vision de l'Afrique n'était pas trop caricaturale ?
Sheena, c'est une BD américaine que tout le monde connaît : le film était très attendu. C'était une grosse production tournée au Kenya avec les animaux sauvages et un casting intéressant. Bien sûr, c'est surfait et policé : l'Afrique y est montrée sous un jour idyllique. On déguisait les chevaux en zèbre pour faire mieux ! Mais malgré tout, le film révélait une Afrique anglophone méconnue et mettait notamment en valeur les Massaï.
Quel avait été le déclic qui vous a permis de faire ce film ?
Un pur hasard, car je n'étais pas destinée à être comédienne. On dit que les contes de fée ne se réalisent pas mais là, c'était vrai. Je devais être professeur d'anglais ou chef d'entreprise et me suis retrouvée dans une entreprise de cinéma qui m'a proposé un petit rôle. J'ai ensuite fait le casting en Angleterre pour Sheena et ai été prise parmi 1500 candidates.
Sans avoir appris le métier.
Absolument. A l'époque, je n'avais rien vraiment commencé. J'étais inscrite à l'Ecole Florent où on m'avait donné quelques bases de départ. Et je me suis retrouvée sur cette planète. J'étais une vraie débutante avec rien dans les mains sauf mon instinct.
Et j'imagine encore très jeune à l'époque.
Oui, et donc modelable. Je me laissais complètement faire. Je crois que John Guillermin a aimé ma simplicité : j'étais quelqu'un de simple qui ne croyait ni à ma beauté, ni à ma puissance ni à mon charisme. Je me demandais ce que je faisais là au milieu des mannequins et des bombes. Je n'avais rien de surfait comme sont souvent les actrices américaines.
Cela a dû vous ouvrir beaucoup de portes.
Oui, et ce fut une expérience douloureuse et fabuleuse. Quand on est dans les mains d'un tel directeur d'acteurs, on fait tout pour lui plaire et cela a duré huit mois de tournage. Mais c'était aussi difficile car dans une production hollywoodienne, on se dit : "pourvu que le cinéma ne soit pas ça !" J'avais très peur de devoir continuer une carrière hollywoodienne et suis donc revenue en France et ai fait deux ans de théâtre. Nous avons créé une troupe intitulée "la compagnie des griots d'aujourd'hui" et avons tourné en Afrique avec une pièce contemporaine, Ne m'appelez jamais nègre, une comédie de Julius Amédée Laou. C'est ainsi que j'ai appris mon métier sur le tas en retournant à l'Ecole Florent pour apprendre la technique et la mise en espace sur la scène.
Vous avez créé votre troupe d'entrée ainsi ?
Oui, je suis très entreprenante et indépendante. Je préfère proposer et aller vers ce que j'ai envie d'être. J'ai cherché d'autres comédiens à l'Ecole Florent et ailleurs, et nous avons formé une troupe. C'était drôle car nous étions sept Noirs à l'époque, de contrées différentes : des Africains, une Trinidadienne, des Caraïbéens et d'autres qui vivaient en France, ainsi qu'un technicien breton qui nous suivait partout. Il disait : "Je suis le Breton de la marée noire !" La pièce a eu énormément de succès : elle avait été sélectionnée à Villejuif pour représenter la France dans des festivals en Angleterre et en Hollande. C'était drôle de représenter la France en étant sept Noirs ! Nous avions rencontré aussi des Canadiens, les Pelican Players, qui étaient aussi sept Noirs comme nous et jouaient une pièce ayant le même thème que la nôtre dans un pays à majorité blanche !
Pourquoi se regrouper ainsi entre Noirs ?
Parce que nous n'avions pas de proposition de rôles intéressants. On était tous militants pour une cause ou une autre. Et moi, tout le monde me conseillait de continuer ma carrière aux Etats-Unis, mais je préférais rester en France. Nous voulions montrer ce qu'on savait faire. Il y avait Jean-Michel Martial, Maka Kotto, Alex Descas, etc. Aujourd'hui, chacun de nous vit de ce métier. On a appelé la troupe "la compagnie des griots d'aujourd'hui" parce que la première compagnie des griots, c'était Robert Liensol, Jenny Alpha, Toto Bissainthe, Darling Legitimus… On avait envie de continuer le travail des pionniers. Ce n'était pas par provocation. On nous refusait les classiques parce qu'on était des Noirs. On allait s'y mettre nous-mêmes, et jouer aussi des contemporains.
Mais vous êtes vite repassée au cinéma et à la télévision.
Au bout de deux ans, on m'a proposé un rôle dans Sauve-toi Lola, le dernier film de Michel Drach, avec Carole Laure, Sami Frey et Jeanne Moreau. Michel ne faisait pas de différence avec la peau noire, cela me ravissait. Puis très vite après, une télévision : une soubrette dans Un liberté de qualité de Juan Luis Buñuel, qui était lui-même un immigré. Tous ces gens me donnaient envie de continuer dans ce métier, de véritables cadeaux !
Votre Antillanité est-elle plutôt un atout ou un obstacle ?
Je n'ai pas besoin de revendiquer quelque chose : je suis Antillaise et ça se voit. Je refuse le vocable de comédienne antillaise et préfère comédienne tout court. Mes origines ressortent aussi dans mon parler et je ne les oublie pas. J'essaye même de faire passer un mot ou une expression dans tous mes rôles. Mais je ne le revendique pas comme un fond de commerce. Je suis une actrice.
Vous êtes surtout connue pour votre rôle dans Les Caprices d'un fleuve de Bernard Giraudeau.
Oui, c'était la première fois que j'avais un rôle dans un film français important. Giraudeau m'a fait formidablement confiance. Il m'a dit : "tu es le rôle, fais-en ce que tu es". J'avais l'impression d'appartenir au cinéma français et cela me permettait de montrer aussi aux Antilles que j'étais une actrice. Incarner ce rôle était dangereux : les Antillais n'acceptent pas la nudité des gens de chez eux.
C'était un grand problème ?
On m'avait reproché quelque temps auparavant d'avoir fait L'exil du roi Behanzin de Guy Deslauriers sans m'être dénudée. J'avais refusé de le faire en disant que la Martinique de 1802 ne se dénudait pas, que ma grand-mère ou mon arrière-grand-mère ne se sont jamais trouvées nues face à leur mari, que je ne voulais pas me mettre nue gratuitement rien que pour vendre un film mais que j'acceptais la nudité si c'était justifié. On m'a tout reproché et aux Antilles on a glosé que le comédien ne me plaisait pas, que j'avais honte de mon corps, etc. J'ai tout entendu. Je me suis dit que ce n'était pas grave. Giraudeau m'a proposé le rôle tout de suite après, et là encore, j'ai été incendiée, cette fois parce que j'avais accepté de me dénuder ! Lorsque je suis allée défendre le film avec Richard Bohringer, la presse martiniquaise n'a même pas voulu m'écouter : j'étais vraiment dénigrée. Mais le public m'a accueilli. Et en Guadeloupe, en Afrique ou ailleurs, tout s'est bien passé. C'était étrange de me sentir ainsi reniée par les gens de chez moi : je me suis dit qu'ils avaient du mal à accepter que je sois devenue une actrice, que je n'étais plus une débutante devant ne prendre que les rôles qui lui ressemblent. J'avais passé un stade et me sentais prête à affronter des rôles plus importants. Ce fut un moment clef dans ma carrière : depuis, j'accepte les rôles sans me préoccuper du qu'en dira-t-on.
Cette appartenance antillaise est-elle un boulet au pied ?
Je veux bien être ambassadrice des Antilles mais je n'ai pas de drapeau. On ne demande pas à un banquier d'être un banquier antillais chaque fois qu'il se déplace. Je suis d'abord une citoyenne du monde.
Est-ce encore un problème d'être Noire pour être comédienne aujourd'hui ?
C'est encore un problème. Il y a encore beaucoup de blocages. C'est frustrant quand on compare aux Etats-Unis ou à l'Angleterre, ou même à l'évolution de l'Allemagne. Dans ces pays, les Noirs sont naturellement à la télévision. On s'entend encore dire quand on se présente qu'on a pas prévu de Noirs dans un rôle. On nous dit : si elle est avocate et qu'elle est Noire, il faudra expliquer pourquoi ! On a pas encore dépassé le problème. On essaye de faire bouger les choses mais cela avance à pas de fourmis. Ce n'est pas uniquement un problème noir, c'est aussi un problème antillais. On a le cul entre deux chaises : on est des Noirs sans l'être. "Au lieu d'être des Français à part entière, on est des Français entièrement à part", comme disait Césaire. Il faudrait être vraiment noir pour être pris pour un Noir et être vraiment blanc pour être un Français. On a tous les défauts, d'un côté comme de l'autre.
Comment changer les choses ?
Il faut faire changer les choses à la télévision car le public antillais se détourne vers les programmes câblés américains pour pouvoir s'identifier à des Noirs. C'est dangereux : les modèles de nos enfants sont américains. Ils ont le sentiment d'être laissés pour compte. Si j'ai tenu dans ce métier, c'est que je n'avais pas de modèle. Je chantais toutes les chansons de Sylvie Vartan mais ne pouvait pas m'identifier à elle. En dehors de Myriam Makeba, il n'y avait aucune chanteuse noire à la télé. Les gens ont besoin de pouvoir s'identifier. Quand on descend dans la rue, ils se précipitent pour des autographes : c'est ce besoin qui s'exprime.
Cela vous donne une grosse responsabilité.
Oui, ce déficit de représentation nous donne une grosse responsabilité en tant qu'actrices : si je fais la moindre bêtise, c'est dramatique. Si j'accepte un rôle où on me traite de sale négresse, les gens risquent de ne pas comprendre. Ils ont tellement peu d'images que les rares existantes doivent être parfaites ! On me dira : "j'ai pas aimé tes cheveux !" Ils sont attentifs à tout ! Un panel de rôles leur permettrait d'accepter une plus grande diversité.
Vous semblez délaisser le cinéma.
J'ai payé très cher Les Caprices d'un fleuve, très cher. J'ai fait ce film en me disant qu'on allait reconnaître mes qualités d'actrice. Aujourd'hui, il est reconnu, mais quand il est sorti, il n'a pas été encensé par la presse. Il fallait que j'ai honte d'avoir fait le film. Quand j'ai ensuite fait des castings, j'étais considérée comme quelqu'un de mythique à qui on ne pouvait plus proposer n'importe quoi. Du coup, je n'ai rien fait ! C'est le revers de la médaille. On est catalogué et des rôles comme ça ne se présentent pas tous les jours. J'avais un petit rôle de voyante dans Arlette de Claude Zidi, mais c'est tout ! On m'a encensé : je suis devenu une espèce de femme noire inaccessible à qui on ne peut plus rien proposer ! J'ai tout perdu : je croyais que ce film allait me déterrer alors qu'il m'a enterré.
Et vous avez donc fait de la télévision.
Oui, ce qui est tout à fait honorable. J'ai accepté des téléfilms, des séries. Je m'aperçois que la télévision a parfois des scénarios de qualité qui dépassent des scénarios de longs métrages. Cela m'a obligé à m'orienter dans d'autres directions et j'ai découvert un monde en dehors du cinéma qui a aussi sa qualité. Je n'ai donc pas honte et me dis que tôt ou tard, je reviendrai au cinéma. Les Américains me font des propositions. On revendique son identité française mais on arrive pas à la défendre !
Vous êtes très active au-delà de votre métier d'actrice.
Je m'implique de plus en plus dans l'écriture et la préparation des projets. La télévision a un devoir : les DOM-TOM payent la redevance et doivent être pris en compte. Des montagnes sont à bouger alors que seules quelques portes s'ouvrent, mais les choses avancent : des tournages se font aux Antilles. C'est un travail de fond qui fera peut-être émerger des talents, des auteurs. Je travaille avec le CNC sur des aides à l'écriture pour former des scénaristes.
Faut-il s'ancrer dans l'antillanité ?
Je prône l'universalité des propos. Je suis un puzzle reconstitué de pièces venant de toutes les parties du monde : je suis pour un cinéma qui mélange les cultures. Je me bats pour une télévision à l'image du monde d'aujourd'hui, un monde mélangé où les idées s'échangent et les compromis sont possibles. Je ne crois pas que les sectaires soient si nombreux que ça.
Cette ouverture télévisuelle des Antilles ne peut-elle être pour vous une occasion de repasser par l'origine pour retourner vers le cinéma ?
C'est exactement ma sensation. C'est pour ça que j'y travaille. La télévision offre une palette plus diversifiée que le cinéma. Je retrouve mes débuts où je montrais ce que je savais faire. On est nombreux à avoir perdu le chemin du cinéma. Nous cherchons à être considérés comme des êtres humains. Ma beauté est un véhicule et ne me permet pas de tout faire dans la vie. Cela ne devrait pas me peser. J'ai prouvé que j'étais sorti du rôle esthétique en ayant des rôles humains et fragiles. Cela m'ennuie qu'on me cantonne à des rôles de séduction. Seule la télévision m'a permis jusqu'à présent d'être violente, colère, méchante, drôle, comique etc.
Des rôles en profondeur, en somme.
Oui, je prône l'intériorité. Je veux des rôles qui sortent de l'intérieur plutôt que de l'extérieur !

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