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"La compétitivité est dans la lenteur et dans l'assurance de celui qui crée"
entretien de Virginie Andriamirado avec Freddy Tsimba et Dominique Zinkpé
entretien
rédigé par Virginie Andriamirado
publié le 22/02/2007

A l'occasion de leur passage en France dans le cadre de la manifestation L'Homme est un Mystère 2, organisé par l'ODDC de Saint Brieuc (1), Freddy Tsimba et Dominique Zinkpé évoquent les difficultés que doivent surmonter les plasticiens africains pour imposer leur travail et à quel prix…

Vous avez récemment été en résidence à Saint Brieuc qui a donné lieu à une exposition de vos oeuvres leur donnant une belle visibilité. Les artistes africains sont régulièrement invités en résidence en Occident, considérez-vous qu'elles constituent un plus pour leurs carrières ?
FT : Tout dépend de l'organisation de la résidence et des conditions posées à la base. A Saint Brieuc, nous avons travaillé dans de bonnes conditions. Nous avons été invités. Nos œuvres nous ont suivis, malgré certaines difficultés d'acheminement, tout était clair. Mais ce n'est pas le cas de toutes les résidences. J'ai eu une expérience, en France qui s'est mal terminée car il y a eu une incompréhension totale. Nous sommes parfois juste pris pour remplir un lieu. Il arrive que les gens aiment nos œuvres, mais ne nous apprécient pas nous. Ils voudraient nous voir disparaître derrière nos œuvres. Les organisateurs de festivals ou de résidences ne voient pas que derrière ces œuvres, il y a un être humain.
Des changements commencent à s'opérer parce que les artistes affirment de plus en plus leur volonté de ne pas se laisser faire et les organisateurs d'exposition prennent conscience qu'ils ne peuvent pas nous avoir dans n'importe quelle condition.
Une résidence qui se déroule dans de bonnes conditions comme celle de Saint Brieuc vous aide t-elle à impulser certains projets ?
DZ : Cela peut permettre d'avancer sur un travail, ce qui a été mon cas à Saint Brieuc. J'y ai travaillé sur un nouveau projet, intitulé Le chemin de la Croix. J'ai travaillé sur les quatorze stations du Christ et même si, d'une manière générale, le lieu d'exposition n'a pas d'incidence sur mon inspiration, l'environnement de la terre et de la roche propre à la Bretagne l'ont favorisée. J'ai commencé mes "stations" en Bretagne et j'aimerais y réaliser le reste de la série car le lieu s'y prête.
Le fait d'être en immersion dans le cadre d'une résidence permet de travailler de manière dense et concentrée, mais il ne faut pas oublier qu'au préalable il y a une préparation à ce travail qui peut parfois demander des mois.
FT : Le travail que j'ai réalisé à Saint Brieuc est le prolongement d'un projet sur le Sida, né il y a quatre ans à Johannesburg. C'est un travail de longue haleine qui a demandé du temps pour arriver à maturation.
DZ : Il existe des résidences de réflexion. Je trouve cela fabuleux. Elles n'ont pas pour but de nous prélasser dans un endroit pour réfléchir, mais de nous donner le temps de féconder un projet. Ce qui est aussi une manière constructive de travailler en résidence. Nous ne sommes pas des exécutants.
Je participe au projet Scénographie urbaine qui va avoir lieu à Kinshasa. Je ne peux pas dire à l'avance ce que je vais y faire. Je suis sûr que ce lieu va m'inspirer et je préfère me laisser imprégner par la ville. Je pourrais pondre un projet dans mon atelier et l'exécuter sur place pour accomplir ma mission. Mais quel intérêt ?
Avez-vous parfois subi des tentatives d'influence pour orienter votre travail vers les tendances du marché ?
F T : J'ai rencontré des galeristes qui m'ont dit : "le jour où tu fera un travail moins agressif et où tu travailleras sur d'autres matériaux, on est prêt à mettre le paquet sur toi". Mais ma force me vient de ces œuvres. Je ne suis pas là pour séduire, je suis là pour témoigner. Pour réaliser mes sculptures, je risque ma peau et elle n'a pas de prix. J'ai récupéré dix mille cartouches dans des zones difficiles pour réaliser mes sculptures mais combien en reste-t-il ? Des tonnes ! Et elles sont porteuses de l'histoire tragique de mon pays (NDLR : République démocratique du Congo).
Mon but n'est pas de faire un travail pour plaire à un groupe de gens qui ont de l'argent ! Ce serait me trahir et mon nom avec. Est-ce que réellement l'artiste doit plaire ? S'il plait tant mieux mais s'il ne plaît pas et qu'il est dans le vrai, tant mieux aussi ! Les artistes dits "engagés" sont parfois plus difficiles à exposer que les autres car leur travail peut déranger.
DZ : J'ai reçu des conseils m'incitant à décliner le travail que j'avais fait sur les taxis, et j'ai vécu un peu la même chose que Freddy avec mes peintures. Durant longtemps, j'ai eu le sentiment que l'on me cataloguait comme un artiste engagé, ce que je ne revendique même pas. Parfois on me disait que mes peintures étaient trop violentes, qu'il fallait que je sois un peu plus doux. J'aimerais bien faire de la poésie mais comment faire de la poésie quand on est dans l'urgence ? Aujourd'hui, je reviens à la peinture, qui n'est plus vraiment dans les tendances du marché. Mais c'est avec ce médium que j'ai envie de m'exprimer aujourd'hui, même si certains le considèrent comme ringard.
Est-ce pour vous une manière de faire acte de résistance aux tendances de la mode et aux diktats du marché ?
DZ: Je suis issu d'une génération où des journalistes, des intellectuels et des poètes s'impliquent dans la politique. Ce qui a fait que l'art est entré dans cette voie là. Il y a environ vingt-trois journaux à Cotonou, alimentés par des jeunes de ma génération, qui expriment librement leur opinion. L'art est devenu un outil de guerre et d'opinion, grâce à la prise de parole qu'il permet au sein de la société. Mais ce qui a d'abord amené l'autodidacte que je suis à l'art, c'est avant tout le beau, l'esthétique. Très vite j'ai compris que j'avais quelque chose entre les mains avec lequel je ne pouvais pas m'amuser. Les gens peuvent mal interpréter notre démarche et nous accuser de tous les maux. Ca peut entraîner certaines confrontations. Il faut être poli en fait dans l'art et comme ça tout marche bien ! Mais cette politesse-là, je ne la rendrai que lorsque je serai épuisé parce que j'ai encore beaucoup d'énergie non pas pour prendre du pouvoir mais pour réfléchir simplement comme les autres. Quand on prend la parole, ce n'est pas pour ne rien dire. Et l'acte de création est un acte de parole. Il est vital.
Suite aux différentes éditions de la Biennale de Dakar, j'ai senti ce pouvoir d'orientation artistique. Beaucoup de commissaires d'exposition du Nord font partie du jury de sélection. J'ai vu certains artistes soumettre des projets orientés en fonction des critères de ces commissaires. Ces projets peuvent être très beaux, mais ils ne correspondent pas toujours aux goûts et aux références de ceux qui les ont soumis. Ces orientations ont détruit pas mal d'entre eux. Ça me fait mal de constater que des artistes qui étaient pourtant des bons peintres ou des bons sculpteurs ont tronqué leur médium pour faire de la vidéo ou des installations afin de répondre à certaines tendances. Quelques-uns d'entre eux ont depuis disparu du circuit.
Comment trouver le juste équilibre pour s'imposer sur un marché qui est une des réalités de l'art, sans pour autant perdre son âme ?
DZ: La compétitivité est dans la lenteur et dans l'assurance de celui qui crée. On peut être compétitif tout en affirmant sa personnalité d'artiste.
Les tentations sont faciles quand le marché déroule le tapis rouge, mais on n'est jamais sûr d'y rester. Il y a des artistes qui sont devenus très forts tout en suivant les tendances du marché. Ils ont pris le pouvoir sur ce qu'on leur a proposé et l'ont transformé à leur guise. Il faut avoir cette intelligence pour résister. Moi, j'ai tendance à phagocyter les propositions que l'on me fait et à en faire quelque chose qui corresponde à mes convictions artistiques. Comme on dit en plaisantant chez nous au Bénin : "si tu te prostitues, il faut au moins que ce soit pour quelque chose". En matière d'art, c'est pareil. Si tu te "vends", il faut pouvoir te dire en regardant ton œuvre : "je suis très heureux d'avoir fait ça en détournant la proposition à mon compte". Cela demande peut-être un peu de perversité, mais c'est une manière de résister.
FT : Tout dépend en fait de ce qui nous motive. Qu'est-ce qui nous pousse à créer ? Est-ce pour nous un travail comme un autre ou est-ce le sens même de notre vie ? J'ai vu des choses qui m'ont marqué et j'ai besoin d'en témoigner à travers mon travail.
J'ai conscience qu'il est difficile à vendre et même à transporter à cause du matériau que j'utilise et de la taille de mes sculptures. Mais c'est pour l'instant le médium que j'ai choisi et il n'est pas anodin. Il faut pouvoir rester soit-même sur l'échiquier tout en n'étant pas dupe du jeu. L'important est de ne pas oublier ses convictions premières. Parmi les générations qui nous ont précédés, quelqu'un comme Chéri Samba - qui est tout sauf naïf - est toujours là. Il est parmi les artistes africains les plus connus. On peut dire ce que l'on veut de lui, mais il est resté fidèle à lui-même et assume complètement son parcours.
DZ : De plus, il a une cote que ses collectionneurs ont fait monter. Cela fait plaisir de voir que des plasticiens africains réussissent à être coté sur le marché mondial.
Il faut pouvoir durer. La constance, c'est ce qu'il y a de plus compliqué. Dès lors qu'un artiste est bon, il est attendu, mais il n'est pas une machine à créer en permanence. L'artiste a aussi besoin de périodes de retrait. C'est à nous d'être constant et de garder nos convictions.
Je travaille avec un agent qui peut aussi parfois me conseiller. J'ai besoin d'avoir quelqu'un qui assure l'interface avec le marché. Je crée, mais je ne peux pas me vendre. Ce n'est pas mon métier. Il m'est arrivé de discuter avec un acheteur potentiel qui voyait dans mon œuvre autre chose que ce que j'avais voulu y mettre. Cela peut parfois créer des malentendus et faire échouer une vente…Je n'ai pas envie de crever dans la rue. Je dois donc rester en retrait. J'ai foi en ce travail et j'ai envie qu'il me nourrisse. Parfois les gens achètent pour de mauvaises raisons, par snobisme ou autre, ce qui n'est pas évident pour un artiste. Alors que l'agent se fiche des raisons qui poussent quelqu'un à acheter une œuvre. C'est plus facile pour lui de la vendre, c'est son métier.
Au plan local trop peu de choses sont faites pour donner une visibilité au travail des artistes. Dominique Zinkpé, est-ce cela qui vous a motivé dans la création de Boulv'art, qui est devenu un rendez-vous artistique annuel au Bénin ?
DZ : Ce projet est parti d'une frustration, parce que les œuvres que je produisais n'étaient pas visibles dans mon pays. Je me sentais loin de la population. Je ne travaille pas seulement pour les Européens, ce sont eux qui m'exposent mais j'ai besoin d'exposer chez moi et de me rapprocher de la population. Nous voulions la sensibiliser aux différents médiums utilisés par les artistes.
Les artistes ont toujours joué un grand rôle dans les sociétés africaines. Nous devons donner le sentiment que nous sommes utiles à la société et ne pas nous contenter du côté mondain des expositions dans les centres culturels et les galeries.
On a commencé de manière bancale en exposant nos œuvres dans la rue. J'ai ainsi montré mes installations de taxis qui sont parlantes pour la population. Le but était d'attirer l'attention du public. Mais ça ne m'amuse pas forcément d'être opérateur. Ce n'est pas mon métier initial, je le fais pour combler un vide.
Comment financez-vous cette manifestation ?
DZ : On trouve des financements à travers différentes structures comme Africalia, l'Afaa (désormais CulturesFrance), la Coopération française et des structures privées. Nous avons aussi le soutien de la ville de Cotonou. La diversité des financements fait aussi notre liberté. C'est important pour nous de rester autonomes. La manifestation est désormais devenue une biennale. Des artistes confirmés comme Ndary Lô ou Joël Mpa Dhoo ont accepté d'y participer, ce qui lui donne une autre dimension.
A terme, je voudrais que les artistes laissent l'œuvre qu'ils ont présentée à la ville pour que quelque chose reste et que les populations puissent en profiter, même une fois l'événement terminé.
Etes-vous soutenu par votre ministère de la culture ?
DZ : Oui mais symboliquement. Il n'a pas de fonds réels pour soutenir les projets. Tout est absorbé par les frais de fonctionnement. Mais ce soutien est important car il engage une crédibilité. La plupart des gens qui réussissent à monter de bons projets ont tendance à oublier le ministère de la Culture qui a un rôle à jouer dans le développement de nos manifestations. Les discours des intervenants africains aux Rencontres "Maintenant l'Afrique !" ont montré que l'Afrique a compris le langage des Européens et peut l'utiliser comme un "outil de guerre". Les Africains qui sont intervenus ont montré qu'ils connaissaient bien le fonctionnement des institutions et leurs rouages. Ils peuvent travailler en partenariat avec elles et en connaissance de cause.

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