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Wasis DIOP : "Ce que je dois à Djibril…"
Wasis Diop est musicien, frère cadet de Mambéty
entretien
rédigé par Fatou Kiné Sène
publié le 30/08/2008
Wasis DIOP
Wasis DIOP
Djibril DIOP Mambéty
Djibril DIOP Mambéty
Touki Bouki, 1973, Djibril DIOP Mambéty
Touki Bouki, 1973, Djibril DIOP Mambéty
Hyènes, 1992, Djibril DIOP Mambéty
Hyènes, 1992, Djibril DIOP Mambéty
Le Franc, 1994, Djibril DIOP Mambéty
Le Franc, 1994, Djibril DIOP Mambéty
La petite vendeuse de soleil, 1998, Djibril DIOP Mambéty
La petite vendeuse de soleil, 1998, Djibril DIOP Mambéty
Mohamed CHALLOUF
Mohamed CHALLOUF
Thierno I. DIA
Thierno I. DIA
Kiné Sène
Kiné Sène

Si son grand-frère Mambéty n'avait pas été là, il ne serait sans doute pas devenu le talentueux musicien qu'on connaît aujourd'hui. Entre nostalgie et gratitude, Wasis évoque le souvenir de son frère, le cinéaste Djibril Diop dont on commémore, ce mois de juillet, les dix ans de sa mort.

Hommage au quotidien

"Je rends hommage à Djibril tous les jours. Parce que c'est lui qui m'a fait un peu. Si je suis connu, on écrit sur moi, sur mon travail, etc., je pense que je le lui dois. C'est lui qui a ouvert le chemin. S'il n'était pas là, s'il n'avait pas été mon grand frère, je pense que je n'aurais pas parcouru ce chemin. Je l'aurais tout simplement trouvé infranchissable. Mais grâce à lui, je l'ai réussi. Ou plutôt j'ai la prétention d'avoir au moins fait la moitié du chemin. On a encore beaucoup de choses à apprendre. Les choses à faire et à comprendre dans notre vie sont à venir.".

Fraternité, complicité

"Notre complicité est née dans le cercle familial. Venant juste après lui, entre petit et grand frères, on était une et même chose. On a grandi ensemble. On s'est interrogés. Du moins, il s'est interrogé et m'a communiqué le poids de ses interrogations. Il était un garçon très précoce. Sa précocité m'a poussé à me surpasser et me dépasser. À prendre un tout petit peu de ma jeunesse. C'est-à-dire renoncer à l'enfance, grandir très vite, avec toutes les conséquences liées à cet apprentissage, cette marche forcée. Djibril était un érudit. Enfant, il savait déjà beaucoup de choses. J'ai grandi auprès de lui. J'ai été naturellement porté par cette chose. L'hommage quotidien que je lui rends est là : à travers ce que je suis. Chacun de mes gestes m'a été presque offert par qu'il m'a permis de le faire."

Souvenirs de Colobane, le royaume d'enfance

"Tous petits, on s'amusait dans le sable. Nous avons commencé à observer ensemble les étoiles à Colobane, terre paisible, sablonneuse, très chaude la nuit, et infranchissable à certaines heures. C'était ce temps-là. L'environnement qui cernait nos existences était chargé de choses diverses et contradictoires, en même temps harmonieuses. Nous avons vécu dans cette curiosité. Dans cette Afrique mystérieuse, avec nos parents qui nous regardaient sans rien nous dire, mais avec une certaine bienveillance. C'est cela, on ne sait pas quand commencent les choses. Il y a des choses intraduisibles, incompréhensibles mais on les subit, on les accompagne. Et comme ces choses-là nous accompagnent dans notre quête de maturité, si tant est qu'un jour on y arrive. Je ne pense pas que tout s'explique dans la vie. Il y a beaucoup de choses qui nous échappent et tant mieux."

"Quand Djibril a eu sa caméra"

"La complicité professionnelle entre Djibril et moi a débuté quand il a eu sa caméra en main. C'était en 1965. Il avait dix-huit ans : un âge précoce dans un pays où le cinéma n'existait pas. J'étais à l'école et je séchais les cours pour l'accompagner dans son aventure. Donc vous voyez à quel point nous étions déjà, très tôt, portés vers des questionnements de lumière, d'ombre, de mouvement, de son, etc. C'est ce qui fait que je suis devenu musicien, grâce à l'écoute de la société, de l'environnement, à l'observation, des quantités de choses, des personnages insolites qui cernaient notre existence. Il suffit d'être attentif, c'est comme cela que l'on porte les choses qui nous habitent. Toute cette absorption de choses essentielles, douloureuses, fait de nous des soi-disant artistes. Car chacun détient un témoignage, une expérience, une existence. À charge alors pour nous d'essayer de les manifester par la photo, la musique ou le cinéma. C'est ce qui fait de nous tous des artistes. Chacun est l'artiste de son existence propre. Chacun peut raconter sa vie et étonner les autres."

Venu pour témoigner

"Faire un hommage m'est difficile dans la mesure où je continue tous les jours à vivre avec Djibril. Étant son frère, l'ayant accompagné jusqu'au bout de son chemin, l'hommage de ses amis me touche beaucoup. Je ne peux même pas m'y comptabiliser, dans la mesure où ce sont les amis de Djibril, ses amis de la presse, de la rue, ses confidents, etc., qui lui rendent hommage. Je suis venu juste pour témoigner, pour être présent physiquement et évidemment avec tout mon cœur. C'est tout à fait dans l'ordre des choses, que ses amis du Sénégal, de Dakar lui rendent hommage - et je ne voudrais pas prendre leur précieuse place. Djibril s'était beaucoup investi pour le respect de l'art, de la réflexion, de la vie, de la rue, de la spiritualité, de l'amour, des couleurs, de l'émotion… Il a raconté Dakar à sa manière. À travers ses films, on peut voir que, non seulement, il était un cinéaste, mais il était aussi un documentariste absolument exceptionnel, qui nous permet, quand on veut remonter les rues africaines d'alors, de regarder certains de ses films. Ils sont vraiment des témoignages précieux quant au passé de ce pays. L'on dit que pour connaître son futur, il faut savoir d'où l'on vient ; en regardant les films de Djibril, on a une petite idée d'où l'on vient."

"De là où il est, cela lui va droit au cœur"

"Je viens de Hergla, en Tunisie, où son ami, le cinéaste tunisien Mohamed Challouf et beaucoup d'autres intellectuels, des gens qui ont écrit sur le cinéma de Djibril - parmi eux Thierno Dia, critique et professeur de cinéma à Bordeaux - lui ont rendu hommage. Il y a eu des colloques. Ils ont analysé le cinéma de Djibril. En tant que frère et ayant participé à tous ses films, je me suis joint à cet hommage. Parce que je n'ai pas fait que de la musique, j'ai aussi été sur le plateau pour l'aider à articuler ses idées. En même temps qu'en Tunisie l'hommage avait commencé au Sénégal. Ce qui fait que j'ai raté le début. J'ai entendu dire que c'était très émouvant, que tout ce qui avait été prévu a été réalisé. Nous allons continuer ensemble et à partir de demain jusqu'au 1er août. À la Place de l'Obélisque, à Ngor, au Centre culturel Blaise Senghor, nous allons projeter ses films. Je pense que de là où il est cela doit lui aller droit au cœur. Les hommages sont toujours difficiles, car l'on est animé par un sentiment de culpabilité. C'est une marque d'amitié, pas autre chose Les gens expriment des choses venues du cœur. Ce n'est pas non plus une chose disproportionnée. Cela se fait dans le calme, dans la sérénité, dans l'amitié et dans la poésie."

Je conçois la musique à partir du scénario

"Djibril est un cinéaste musical. Son cinéma est musical parce que ses idées sont musicales. C'est quelqu'un qui est dans la symphonie imaginaire. Il entend des choses. Ses scénarios étaient d'une rare beauté. À les lire, l'on se demandait s'il avait besoin de tourner des films, tellement le contenu était essentiel et complet. Pour faire la musique de ses films, j'ai souvent travaillé à partir des scénarios. Nous scellions le destin de la musique avant même qu'il ne tourne, car il avait besoin de quelques notes discrètes. C'était un mélomane. Pour les autres films aussi, je m'y prenais de la même manière. Évidemment, j'avais des relations particulières avec Djibril, c'était mon frère. J'étais plus à même de l'accompagner dans ses quêtes parce que je vivais dans le même univers que lui, bien que nous ne vivions pas la même chose. Nous avions la même fibre, la même sensibilité."

Plus grave de faire de la musique pour Mambéty

"Djibril aimait la musique. Il savait que je pouvais la faire. Il savait que je pouvais porter son rêve musical, comme j'ai fait dans Hyènes. Il m'a fait l'amitié de me confier la musique de ses films. C'était plus grave que difficile de faire la musique de son film. Grave parce que quand on faisait quelque chose dans la voie d'une complicité et que le complice n'est plus là, on franchit le mur de la gravité. Et là tout devient compliqué car l'émotion devient plus forte.
Avec Djibril, le poids de la responsabilité était difficile à porter. Chaque souffle devenait quelque chose à conquérir jusqu'à l'achèvement, parce qu'on a tellement peur de se tromper.

Achever un travail qui était terminé…

"Djibril m'a appris le cinéma. C'est pourquoi tout ce que j'ai eu à faire, c'est par procuration. Ce que j'ai fait en terminant le film La Petite vendeuse de Soleil [sorti après la mort de son auteur]. C'est ce qu'il m'a demandé de faire. Terminer La Petite vendeuse de Soleil, c'est même prétentieux. J'ai plus achevé que terminé parce que le film était terminé. Il fallait l'achever. Car achever c'est plutôt travailler dans les contours de son œuvre, la musique n'était pas faite, mais je savais quoi faire. J'ai achevé un travail qui était terminé."

Toujours la même histoire…

"Toute la filmographie de Djibril est faite d'un seul film. Parce qu'ils [les films] sont liés par les personnes qui reviennent à chaque fois : ces jeunes, vieux, ces petites gens, etc. Touki Bouki et Hyènes c'est exactement la même histoire. Dans Touki Bouki, l'héroïne Anta s'en va, dans Hyènes elle revient à travers Linguère Ramatou. C'est une symbiose, c'est une même histoire liée par une toile, je ne dirais pas mystique mais magique dans la création."



Judu Bék est lié aux petites gens de Djibril

"Il y a un lien entre mon dernier album Judu Bék (La joie de vivre) et l'attachement que Djibril avait pour les petites gens. C'est cet attachement à la joie de vivre, essentielle et qui existe en Afrique. C'est une chose qui permet aux petites gens d'espérer, de vivre. C'est une chose importante. J'espère qu'on ne va pas la perdre. Djibril était séduit par ce monde qui dormait dans les rues, qui vendait un ou deux journaux, et qui, malgré les difficultés, gardait toujours le sourire (rires)."

propos recueillis par
Fatou Kiné SENE

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