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Milan : cinémas d'Afrique, cinémas du monde
reportage
rédigé par Samuel Lelièvre
publié le 01/06/2004
Paljas (Katinka Heyns, 1997)
Paljas (Katinka Heyns, 1997)
The Native Who Caused All the Trouble (Manie van Rensburg, 1989)
The Native Who Caused All the Trouble (Manie van Rensburg, 1989)
Jemima and Johnny (Lionel Ngakane, 1966)
Jemima and Johnny (Lionel Ngakane, 1966)
Last Grave at Dimbaza (Nana Mahomo, 1974)
Last Grave at Dimbaza (Nana Mahomo, 1974)
Walking Backwards (Caroline Deeds, 2004)
Walking Backwards (Caroline Deeds, 2004)
Mille Mois (Faouzi Bensaïdi, 2003)
Mille Mois (Faouzi Bensaïdi, 2003)

Le Festival del cinema africano, d'Asia e America latina, organisé à Milan en Italie, s'est élargi cette année aux cinémas asiatique et latino-américain.

Après quatorze années consacrées principalement aux cinémas africains, le festival de Milan, organisé du 22 au 28 mars 2004, a choisi d'étendre son champ aux cinémas d'Asie et d'Amérique latine. Cette nouvelle orientation concerne d'abord le concours des longs-métrages (" Fenêtres sur le monde ") (1) et les films hors concours. (2) Par ailleurs, la tradition africaine du festival est largement maintenue dans le concours du court-métrage (3), du documentaire (4) et dans le " panoramique sur le cinéma africain " (5), en plus des rétrospective consacrée à l'Afrique du Sud (dans le cadre des 10 ans de la fin de l'apartheid) (6) et au Rwanda (10 ans après le génocide) (7). Le résultat de cette nouvelle orientation est une diversité encore plus grande de la sélection : près de 23 pays de production et 27 pays en coproductions sont ainsi représentés. A l'intérieur de cette diversité d'ordre géopolitique, la diversité des thématiques, des points de vues, des styles se trouve évidemment davantage démultipliée.
Politique d'ouverture
Pour Allessandra Speciale, directrice artistique du festival, l'élargissement du festival à d'autres continents correspond à un désir d'ouverture, tout en conservant l'identité propre d'un festival qui a toujours été un lieu privilégié d'échanges interculturels. Le lien du festival de Milan avec le monde francophone existe et est naturel, en particulier depuis que les cinémas africains suscitent de plus en plus d'intérêt et après l'apparition de divers festivals spécialisés dans les années 70 et 80. Mais il y a aussi un apport plus spécifiquement italien. Dans une époque où la distinction entre un héritage humaniste et universaliste (le fondement d'une tradition du souci envers autrui) et la crise de l'universalisme (en tant qu'idéologie où peuvent s'ancrer les discours ethnocentristes) est de plus en plus difficile à défendre, la reconnaissance des diverses approches possibles des cinémas africains est d'autant plus nécessaire.
Quelles sont les conséquences de cette double contrainte pour les cinémas tels que présentés à Milan ? Tout d'abord, cela concerne l'évolution des cinémas africains. Quand on parle de " cinémas africains ", il existe indéniablement une forme de dépendance qui est aussi source de conflits. Or, des stratégies existent face à cette dépendance et ces conflits potentiels : à un niveau endogène, cela passe par le développement des coproductions et les possibilités offertes par les nouvelles technologies vidéo et numériques. Dans une autre perspective, il s'agit de se situer davantage dans un monde globalisé, un monde de l'interdépendance. Indépendamment des incontournables questions de sous-développement économique et humain, la situation des cinémas africains ne saurait être si fondamentalement différente de celle des autres cinémas (indépendants) du monde. Une autre conséquence, interne à la production des cinémas africains, a en fait été déduite de ce nouveau contexte global : l'élargissement de l'aide des institutions soutenant ces cinématographies à l'ensemble des pays ayant des accords de développement dans ce domaine. (8) Une dernière conséquence réside dans l'identité et l'intelligibilité de ces nouveaux films africains : à partir du moment où il n'y a plus d'orientation idéologique commune (comme aux heures glorieuses du tiers-mondisme et du panafricanisme), cette identité et cette intelligibilité sont nécessairement plus subtiles ou complexes.
Face à cette complexité, quelques tendances semblent toutefois apparaître. D'une part, la forte présence de films d'Afrique du Nord à Milan qui, inévitablement, se retrouvera dans le palmarès final du festival – le premier prix a été attribué à Mille fois de Faouzi Bensaidi (Maroc / France, LM 2003). On peut également remarquer l'importance de la question de la femme, voire de la sexualité dans ces films du Maghreb – Cousines de Lyes Salem (Algérie, CM, 2003) par rapport à la question de l'islamisme, ou Un voyage de trop d'Aziz Salmy (Maroc, CM, 2003) sur un mode plus humoristique. Sur un autre plan, il convient de remarquer que la catégorie la plus représentée est celle du film documentaire ; un très grand nombre de ces films utilisant la vidéo… Dans leur ensemble, les films sélectionnés constituaient une offre assez intéressante et stimulante pour pouvoir attirer un nombre important de spectateurs. Cependant, tout en reconnaissant la difficulté de conduire ce type de festival dans le contexte actuel, la question pourrait être posée de savoir s'il existe un dénominateur commun (aussi petit soit-il) entre tous ces films, qui justifie qu'on les réunisse dans telle ou telle section d'un festival international. C'est là, bien entendu, toute la difficulté de l'ouverture aux cinémas du monde.
L'exemple sud-africain
A l'instar de nombreux festivals à travers le monde commémorant le dixième anniversaire de la fin de l'apartheid, le festival de Milan a aussi été l'occasion d'une très importante rétrospective de films sud-africains, en plus de ceux déjà en compétition. Par ailleurs, trois cinéastes sud-africains étaient présents à l'occasion de cette rétrospective, organisée sous l'égide de Martin Botha (9) : Katinka Heyns, Ross Devenish et Zulfah Otto Sallies. Cette très importante rétrospective constituait une occasion unique de voir des films sud-africains déjà présentés dans les festivals à travers le monde (principalement depuis les années 90) mais surtout ceux qui, réalisés dans les années 60 à 80 par David Bensusan, Robert Davies, Ross Devenish, Katinka Heyns, Nana Mahomo, Mark Newman, Lionel Ngakane, Jans Rautenbach, et Manie van Rensburg, ne sont guère connus que des Sud-africains, tout en étant parfaitement invisibles dans leur pays. En proposant une sélection de films qu'on qualifiera d'" indépendants ", non pas seulement de l'ère post-apartheid mais depuis plus d'une trentaine d'années, Martin Botha avait pour idée (10) de considérer ces films comme des précurseurs d'un cinéma plus directement critique, tel qu'il se développera à partir des années 90.
Une première difficulté, toutefois, résidait dans le fait que certains films sud-africains ne pouvaient pas être projetés avec des sous-titres dans une langue connue de la majorité des spectateurs. Suivre Die Kandidaat (Jans Rautenbach, 1968) en version originale n'était évidemment pas à la portée de tous – seuls ceux parlant afrikaans (des Sud-africains le plus souvent) pouvaient le faire. En dehors de ces problèmes d'ordre linguistique, des risques de malentendus pouvaient aussi apparaître. Ainsi, tout en faisant part à haute voix de leur satisfaction après la projection de Katrina (Jans Rautenbach, 1969), il n'était pas exclu que certains spectateurs n'aient compris le film que de manière superficielle : comment, en effet, pourraient-ils saisir les nombreuses références à la spécificité du contexte d'apartheid, tout particulièrement ce qui concerne la question des " races " et des classes sociales qui constituent l'axe narratif principal de ce film ?
D'un autre côté, ce genre de film constitue aussi une possibilité d'ouverture sur une dimension " psychologique ", une ouverture qui permet d'entrer (en partie) dans un monde sud-africain. Ces films du temps de l'apartheid se situent ainsi aux antipodes de ce qui se passe dans certains films sud-africains récents qui, tout en décrivant des faits réels, n'offrent pas cette dimension humaine que les cinéphiles recherchent le plus souvent. Si la question de la violence doit et devra continuer à être approchée de manière directe dans le cinéma sud-africain de l'ère post-apartheid, le risque est très souvent couru de ne faire de cette violence qu'un ingrédient nécessaire au spectacle (sur un mode initié par le cinéma américain commercial). Le fait que les films sud-africains des années 60 et 70 ne montrent pas directement des faits de violence sociale (celle du régime d'apartheid) est lié à des questions de censure – et aussi d'autocensure de la part d'auteurs tels que Rautenbach qui ont aussi réalisé des films de commande typiques du temps de l'apartheid.
Bien entendu, l'intérêt qu'on peut aujourd'hui avoir pour des films comme Katrina, Marigolds in August ou Fiela se Kind, par exemple, ne correspond plus au cadre des films afrikaans ou anglais et du public que ces films visaient en leur temps. Il n'est pas interdit, cependant, de redonner à ces films un " nouveau " sens ou plus précisément de retrouver leur " sens historique " au sein de l'évolution du cinéma sud-africain. Dans cette perspective, il s'agit de percevoir la critique sociale qui s'y joue, souvent de manière discrète ou plus intériorisée ; tout en notant, par ailleurs, que cette critique est inséparable de la dimension psychologique inhérente à ces films (11). Dans son développement jusqu'à aujourd'hui, le cinéma sud-africain à en quelque sorte " externalisé " cette dimension critique avec ses avantages – la possibilité de s'adresser et d'être compris d'autres publics – et ses inconvénients – les tendances au politically correct. Même des films sud-africains récents qui mettent en avant une dimension " psychologique " (Promised Land par exemple) n'échappent pas toujours à ce risque d'une mise en scène spectaculaire de la violence.

Samuel Lelièvre

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