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Entretien avec Olivier Barlet
"Des possibilités absolument magnifiques de se ressourcer"
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 07/09/2017
Bassirou Niang (Africiné Magazine)
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Olivier Barlet, critique et formateur français
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St-Louis 2016
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Ndéye Marame Guèye (Le Sacré et le Sacrilège, Sénégal)
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Delphe Kifouani (La Peau noire de dieu, Sénégal / Congo) avec Massein Pethas
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Carlos Yuri Ceuninck (Le Plan du maître, Cap-Vert)
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Jean-Luc Godard, réalisateur français
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Hélène Bocco (Agomé-Sévah, de l'ombre à la lumière, Togo)
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Wabinlé Nabié (L'Aurore des scarifiés, Burkina)
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Leila Chaibi (Hassan le fou, gardien des mondes, Algérie / France)
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Thierno Souleymane Diallo (Au Cimetière de la pellicule, Guinée)
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Scène du film Au Cimetière de la pellicule, de Thierno Souleymane Diallo
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Scène du film Un homme pour ma famille, de T. Souleymane Diallo, 2015
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Un homme pour ma famille
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Wided Zoghlami (10 ans et une révolution plus tard, Tunisie)
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Faiçal Benaghrou (Cercles, Maroc)
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Abdelahi Dia (Darou Salam, Mauritanie)
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Abdoulaziz Zra (Le Guetteur, Cameroun)
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Nadia Chouïeb (Maydoum Hal, Algérie / France)
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Chantal Julie Nlend (Mémoire d'un patriote, Cameroun)
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Amine Chennoufi (Le Patrimoine enclavé, Tunisie)
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Cyrielle Raingou (Le Cycloneur, Cameroun)
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Abdourahamane Moulaye (Djaz One, Niger)
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Bawa Kadadé (L'École des otages, Niger)
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Hawa Aliou N'diaye (Korèduga, Mali)
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Amine Sabir (Le Forain et le moussem, Maroc)
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Ata Messan Koffi (Sur les pas de la Blueswomen, Togo)
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Emmanuel Lupia (Viva Kinshasa !, République démocratique du Congo)
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St-Louis 2017
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Directeur des publications d'Africultures, membre du Syndicat français de la critique de cinéma, délégué pour l'Afrique à la semaine de la critique au festival de Cannes, Olivier Barlet est un talent critique qui sait lire les films et en extirper le sens. Présent au Tênk organisé par Africadoc dans le cadre du film documentaire de Saint-Louis du Sénégal qui a eu lieu du 05 au 10 décembre 2016, il a su arrêter son esprit sur la vingtaine de projets présentés par des auteurs en présence des formateurs/accompagnateurs en production et aussi des producteurs venus de divers horizons. Le prochain Festival du film documentaire de Saint-Louis aura lieu du 04 au 09 décembre 2017.


Quelle est votre appréciation des projets présentés durant ce Tënk organisé par Africadoc ?

D'une part, je trouve que cet exercice du Tënk est absolument passionnant pour quelqu'un qui, comme moi, vient regarder. Passionnant parce que pour moi qui suis un peu éloigné dans mon petit Occident, j'ai besoin de ce contact régulier avec le terrain pour savoir quels sont les enjeux à l'œuvre ; qu'est-ce que les jeunes réalisateurs ont dans la tête ? Qu'est-ce qui les préoccupe ? Qu'est-ce qu'ils ont envie de transmettre ? etc. Et là, tout d'un coup, il y a un peu plus de vingt projets de films qui sont déjà assez aboutis, qui sont des films qui vont en partie exister, qui vont chercher des co-producteurs, qui vont se monter financièrement. Et là, il y a des possibilités absolument magnifiques de se ressourcer ; et en plus ça ne concerne pas seulement un pays, mais plein de pays différents, y compris ceux aussi du Maghreb. Donc, là je me réjouis. J'étais présent, il y a trois ans. J'apprends beaucoup de choses en me présentant à des rencontres de ce genre.
Tout de suite la question qui se pose est : quelles sont les tendances à l'œuvre, les préoccupations, les enjeux qui traversent les films ? C'est difficile de répondre parce qu'il y a quelques axes qui se développent.

Il y a un premier axe qui est la maladie personnelle et la maladie sociale ; c'est-à-dire ce qui est du domaine du trouble. Ce qui fait que les femmes ont des maux de tête, des maux de ventre, je ne sais quoi et qui les obsèdent tellement qu'elles se disent qu'il y a quelque chose derrière ; donc des sociétés, des entités qui travaillent les gens qui se demandent d'où ça vient, de quel type de maraboutage ils sont victimes ; maraboutage au sens large. Après, ça va être dans un film une secte qui va faire des confessions publiques, des gens qui s'accusent de n'importe quoi qu'ils n'ont pas commis… C'est des trucs assez incroyables ! Mais derrière tout cela, il y a quelque chose qui est du domaine de ce qui ne va pas ou du traumatisme. Et les traumatismes, ils sont toujours collectifs. C'est-à-dire, on a beau avoir un trouble personnel, on le partage toujours avec les autres. C'est d'un commun absolu. Après, il y a les troubles. Ici, on est au pays du "ndeup" [appellation wolove des rites possession, Sénégal, ndlr] qui soigne les troubles avec des rites de possession. Et on voit bien que dans le problème du trouble, ce qui est recherché, ce n'est pas de l'éliminer, mais d'en faire un ami puisque dans le "ndeup" on dit que l'esprit est très amoureux de la personne possédée. Pour en faire un ami, on va l'identifier à travers le rituel ; ensuite, on va lui faire un petit autel où on va lui donner à manger et à boire tous les jours ; c'est-à-dire qu'on vit avec ce trouble. Et moi, je crois que dans cette première partie, dans presque un quart ou un tiers des films présentés, il y a quelque chose qui est de ce domaine. Le film va devenir une sorte de rituel du "ndeup", c'est-à-dire qu'il va y avoir identification du trouble, on va essayer de tourner autour, on va essayer de comprendre et puis on va se poser la question de comment vivre avec. Non pas pour l'éliminer parce que ça ne va pas marcher parce que le contexte mondial est ce qu'il est, le contexte sociétal est ce qu'il est, ou bien que les traumatismes sont déjà là, mais qu'on va se déterminer à vivre dans cette incertitude. Et pour moi, il y a quelque chose d'absolument fondamental : comprendre les mécanismes à l'œuvre pour pouvoir les vivre, et de ne pas les vivre dans la douleur mais dans une certaine puissance, et de les retourner quelque part comme des copains, comme des amis, comme des éléments de la vie. Et cela me parle parce que c'est universel. On est tous dans les mêmes questions par rapport à un monde qu'on partage de plus en plus. Ça, c'est une première partie du film.

Après, il y a les films qui captent l'air du temps, qui sont complexes parce que l'air du temps est complexe dans tous les sens. Des films qui ont quelquefois même à trouver leur axe parce qu'ils explorent un peu toutes les données ; ce qu'il peut y avoir dans une société particulière, sur une île, dans un village, etc. Et le problème va être la mise en perspective historique. C'est-à-dire en quoi ce qui arrive aujourd'hui est le résultat de l'histoire ? En quoi on en est aujourd'hui les nouveaux acteurs ? Et en quoi les perspectives qui s'ouvrent ne sont pas des perspectives de désespérance ? Cela aussi ma parle. Et ça peut être la réalité d'un village. Après, il y a plein de films qui tissent leur trame autour de choses particulières un petit peu croustillantes de temps en temps parce que c'est cela aussi le cinéma : il faut accrocher. Finalement, tout revient à ceci : cette mise en perspective historique, ce qui fait que le film ne sera pas au présent, mais à la fois dans le futur et le passé. C'est [Jean-Luc] Godard qui disait que "les films au présent, c'est en général les films les plus mauvais" (rires !). La télé, c'est au présent ! Je veux dire Les feux de l'amour, c'est au présent ! Mais quand je cherche à me comprendre, à comprendre le monde, si je n'ai pas la perspective du passé, je ne peux pas concevoir un futur. Comme disaient les griots, le futur sort du passé. Donc il y a un axe qui me parle beaucoup qui fait que chacun de ces films avec leurs particularités, leur degré d'aboutissement etc. ont finalement un discours commun. Et tout leur problème sera d'arriver à déjouer les complexités et d'arriver à trouver des axes qui permettent au spectateur de se connecter, de ne pas être perdu dans les confusions. C'est forcément touffu, mais pas forcément confus. C'est cela la question.

N'avez-vous l'impression, à voir la plupart des projets de films, qu'il y a une espèce de rencontre intimiste entre les auteurs et leurs sujets ?

Oui, oui, tout à fait ! Alors, c'est un peu une des qualités du système Africadoc. Ça vient des résidences, des formateurs qui essayent de sortir du reportage, de la démarche télévisuelle pour aller vers la création. Qui dit création, dit auteur et qui dit auteur, dit personne. On est donc dans une approche qui va être personnelle, qui va d'abord être intime. On essaie de se mettre dedans, pas forcément à l'écran, pas forcément sur ses propres problèmes, mais en tout cas, on y laisse un peu de soi. On trouve cela dans énormément de films. Et on voit - et c'est peut être la troisième chose dont je vais parler - beaucoup de quête spirituelle. Ça répond un peu à ce que vous disiez tout à l'heure. C'est-à-dire qu'on est dans un monde qui se matérialise ; c'est la consommation qui prend le dessus et on perd ses marques. Et donc, comment, en dehors du système religieux, trouver une forme de rapport au monde où la spiritualité est présente. Pas forcément par les canaux religieux. Ce n'est pas contre la religion, mais c'est qu'on a peut-être besoin, dans une démarche de créativité, de trouver des vecteurs où l'essentiel ne va pas être le résultat d'une parole préétablie, mais ce que l'on peut ressentir à l'intérieur. Quand il y a une femme algéro-tunisienne [Leila Chaïbi, ndlr] qui veut faire un film sur un cimetière avec un personnage à l'intérieur de ce cimetière qui est un peu en dehors du monde [Hassan le fou, gardien des mondes, ndlr], et que ce qui l'intéresse, ce n'est pas la transgression au quotidien de ce lieu particulier où tout se passe, mais cette relation incroyable de ce personnage qui sent bien que quelque chose ne va pas et qu'il cherche autre chose. En fait, on est dans une quête qui est extrêmement riche. Il n'y a pas mal de films comme ça qui seront des exercices très difficiles à réussir, parce que c'est très difficile à mettre en images ; mais des films qui sont des quêtes intérieures, des quêtes spirituelles. Et après, ils le font avec un curseur, un personnage.

Y a-t-il un projet parmi ceux présentés qui vous a touché ou attiré votre attention ?

Il y'en a beaucoup qui m'ont touché. C'est un peu difficile d'en sortir un. Mais il y'en a un qui me parle particulièrement parce que je le trouve super. C'est celui de Thierno Souleymane Diallo de la Guinée Conakry. Pourquoi ? Parce que, lui, c'est un clown. Quand je dis clown, c'est dans le sens positif du terme. C'est-à-dire que c'est quelqu'un qui y met du corps. C'est le seul projet que j'ai entendu qui a été si physique. Lui, son projet, c'est d'aller à la recherche d'un film perdu, Mouramani (durée : 23 mn) qui a été réalisé en 1953 par Mamadou Touré [Mamadi Touré, ndlr]. Je l'ai cité de mémoire dans mon livre sur le cinéma africain, "Les Cinémas d'Afrique noire : le regard en question" ; comme un des films faits avant Afrique sur Seine de 1955 que l'on considère comme le premier film africain. Et donc, il y a un certain nombre de films un peu ethnographiques qui ont été faits avant, et on ne dit pas que ce sont les premiers parce qu'ils n'ont pas beaucoup d'intérêt. Mais l'ethnographie, c'est la connaissance de soi quand même ; donc que la connaissance de soi soit faite par les Africains eux-mêmes, c'était pas une démarche neutre dans un contexte où on n'avait pas le droit de faire du cinéma suite au Décret Laval de 1934. Il fallait donc des autorisations. Sans doute qu'ils les obtenaient de cette façon là.






Mais ce qui me plaît dans son projet - je le connais bien parce que j'étais professeur dans ce Master de cinéma à l'UGB [Université Gaston Berger, Saint-Louis, ndlr] quand il était étudiant -, c'est qu'il va endosser le film, au sens où il va vraiment le mettre sur son dos. Il va se balader avec le générique du film qu'il recherche sur un carton et va aller dans des endroits où les gens vont réagir. Je veux dire que c'est un projet qui est un projet d'installation artistique quelque part, de performance, et je trouve dans ça qu'il y a un coup de cœur. Moi, je n'oserais jamais. Et cela correspond à sa personnalité. Et c'est en même temps radical parce que c'est une critique fondamentale de ce qu'est devenu le cinéma dans cette perte de cet engouement physique, de tout ce qui a pu être cette lutte au départ. Je ne sais pas quel sera le résultat ; l'exercice est difficile. Dans son précédent film, Une vache pour ma famille [Un homme pour ma famille, ndlr], il traînait un peu partout avec une vache. Donc il est capable de l'extrême.

Entretien réalisé par
Bassirou NIANG

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