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Entretien avec Lynda BELKHIRIA, Directrice Carthage Pro - Membre du Comité directeur des JCC
"L'idée de ces deux ateliers, c'est d'aller à la découverte de nouvelles formes de cinémas"
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 23/12/2021
Lynda Belkhiria, directrice de Carthage Pro (Takmil & Chabaka) et membre du comité directeur des JCC.
Lynda Belkhiria, directrice de Carthage Pro (Takmil & Chabaka) et membre du comité directeur des JCC.
Bassirou Niang est rédacteur à Africiné Magazine
Bassirou Niang est rédacteur à Africiné Magazine
Lynda BELKHIRIA avec les membres du jury Takmil 2021 et une partie des lauréats
Lynda BELKHIRIA avec les membres du jury Takmil 2021 et une partie des lauréats
Lynda BELKHIRIA sur la scène avec Christophe ROLIN (Belgique), membre du jury Takmil 2021
Lynda BELKHIRIA sur la scène avec Christophe ROLIN (Belgique), membre du jury Takmil 2021
Éva Lova, productrice de "Sitabaomba (Soute à bombes)" (Madagascar), Papang Films
Éva Lova, productrice de "Sitabaomba (Soute à bombes)" (Madagascar), Papang Films
Nantenaina Lova, réalisateur malgache ("Sitabaomba (Soute à bombes)")
Nantenaina Lova, réalisateur malgache ("Sitabaomba (Soute à bombes)")
Wissam Charaf, réalisateur libanais ("Dirty, Difficult, Dangerous")
Wissam Charaf, réalisateur libanais ("Dirty, Difficult, Dangerous")
La productrice Charlotte Vincent ("Dirty, Difficult, Dangerous"), Aurora Films
La productrice Charlotte Vincent ("Dirty, Difficult, Dangerous"), Aurora Films
Image du film "Dirty, Difficult, Dangerous"
Image du film "Dirty, Difficult, Dangerous"
Cheikh N'diaye, réalisateur mauritanien ("Le chameau manquant", projet Chabaka)
Cheikh N'diaye, réalisateur mauritanien ("Le chameau manquant", projet Chabaka)
Thierno Souleymane Diallo, réalisateur guinéen ("Le cimetière de la pellicule")
Thierno Souleymane Diallo, réalisateur guinéen ("Le cimetière de la pellicule")
Image du film "Le cimetière de la pellicule"
Image du film "Le cimetière de la pellicule"
La productrice Maud MARTIN ("Le cimetière de la pellicule"), L'Image d'Après
La productrice Maud MARTIN ("Le cimetière de la pellicule"), L'Image d'Après
La réalisatrice franco-tunisienne Ismahane LAHMAR ("Une famille respectable")
La réalisatrice franco-tunisienne Ismahane LAHMAR ("Une famille respectable")
Image du film "Une famille respectable"
Image du film "Une famille respectable"
Le producteur Rashid Abdelhamid ("Une famille respectable")
Le producteur Rashid Abdelhamid ("Une famille respectable")
Le réalisateur libyen Muhannad Lamin ("Donga")
Le réalisateur libyen Muhannad Lamin ("Donga")
Image du film "Donga"
Image du film "Donga"
Joëlle ABOU CHABKÉ, réalisatrice libanaise ("Ourjouwan")
Joëlle ABOU CHABKÉ, réalisatrice libanaise ("Ourjouwan")
Image du film ("Ourjouwan")
Image du film ("Ourjouwan")
La productrice française Marine VAILLANT (Dewberries Films), "Ourjouwan"
La productrice française Marine VAILLANT (Dewberries Films), "Ourjouwan"
Ridha TLILI, réalisateur tunisien ("La Couleur du phosphate")
Ridha TLILI, réalisateur tunisien ("La Couleur du phosphate")
Image du film "La Couleur du phosphate"
Image du film "La Couleur du phosphate"
Hicham LASRI, réalisateur marocain ("False Drama / Haysh Maysh")
Hicham LASRI, réalisateur marocain ("False Drama / Haysh Maysh")
Image du film "False Drama / Haysh Maysh"
Image du film "False Drama / Haysh Maysh"

La création en cinéma révèle chaque jour que la nouveauté dans l'originalité n'est point impossible. En Tunisie, la section Carthage Pro permet pertinemment de s'en rendre compte. Beaucoup de jeunes réalisateurs du monde arabe et africain, traçant, à leur manière, leur propre voie, s'y font découvrir chaque année, à l'occasion des JCC. L'action de ceux-ci est clairement détaillée, ainsi que l'importance de la contribution des partenaires internationaux, dans cet entretien qu'a accordé Mme Lynda Belkhiria, Responsable des Ateliers Professionnels Takmil et Chabaka, à Africiné Magazine.

Africiné : Mme Lynda Belkhiria, pouvez-vous nous présenter Carthage Pro ?

Mme Lynda Belkhiria : Carthage Pro est la plateforme professionnelle des JCC. Elle a été créée pour soutenir les cinéastes professionnels et amateurs Africains et Arabes, c'est un espace d'échanges et de débats et de networking, notamment à travers ses ateliers d'aide au développement et à la post-production des films arabes et africains. Juste pour résumer et donner une idée d'ensemble : les ateliers d'aide au développement, qui étaient connus sous le nom de Producer's Network, ont connu plusieurs formes, depuis des années.

Depuis 2018, en effet, on a changé la formule, en gardant le concept de base. C'est devenu un atelier de "pitching" [signifiant littéralement "lancement" en anglais, le mot désigne une présentation courte de son projet, NDLR], rebaptisée Chabaka avec préparation aux pitchs, et des prix à la fin des travaux. "Chabaka" veut dire "networking" ["réseau", NDLR] en arabe. C'est le fait de mettre en relation des producteurs, des réalisateurs, avec des professionnels internationaux. On invite des réalisateurs à venir présenter leurs projets à un jury, en présence d'invités internationaux. Et à la fin des ateliers, grâce au soutien de nos partenaires internationaux, des bourses d'aide au développement sont attribuées par le jury.
Depuis 2018 - parce que pour les années qui ont précédé, il était difficile d'avoir une traçabilité sur le nombre de projets ayant bénéficié d'une bourse - treize (13) projets ont été accompagnés en termes d'aide financière ou d'aide en prestations par un partenaire. En comptabilisant, pour cette édition de 2021, nous en sommes à un total de dix-sept (17) projets choisis. Cette année, nous avions reçu soixantaine-dix-neuf (79) projets. Pour une année (quasi)post-covid, si je peux dire, c'est un très bon chiffre.

Pour l'atelier post-production, c'est un peu différent. En 2014, a été créé Takmil qui veut dire "finition", en arabe. Il consiste à soutenir les projets de films arabes et africains en phase de finition, et toujours en concordance avec la vision cinématographique des JCC. Les copies de films des postulants sont soumises à la bienveillance d'un jury international qui, au sortir de trois jours de projection, octroie des bourses d'aide à la finition.
Depuis 2014, quarante-trois (43) films ont obtenu un soutien et environ vingt-cinq (25) ont eu des parcours internationaux différents. Beaucoup ont fait l'objet de sélections dans de grands festivals et s'y sont distingués en remportant de nombreux prix.

L'idée de ces deux ateliers, c'est d'aller à la découverte de nouvelles formes de cinémas qui ne sont pas vraiment conformes, encore moins conformistes. On prend donc un risque sur certains films y compris les "Premières œuvres". L'objectif est d'aider les cinéastes à faire le cinéma qu'ils veulent et qui est parfois difficile à imposer. On essaie de créer une plateforme où les gens viennent faire du networking et faire rayonner ces films au niveau mondial.

Avez-vous misé sur la parité ? Ou bien, à défaut, avez-vous encouragé les candidatures féminines ?

Oui, bien sûr ! Nous essayons chaque année de trouver des projets et films réalisés par des femmes ; ce qui est vraiment très difficile. Je rêverai d'avoir une sélection à majorité féminine. C'est un grand problème auquel nous faisons tous face. Cette année, pour ce qui est de la post-production, nous nous sommes rendus compte qu'il n'y avait que des hommes en compétition, mais avec des femmes productrices qui étaient derrière leurs films.
On peut citer deux exemples : le film malgache Sitabaomba (Soute à bombes) produit par Eva Lova, le film de Wissam Charaf : Dirty, Difficult, Dangerous, porté par une productrice [Charlotte Vincent, Aurora Films]. Aujourd'hui, de plus en plus de femmes productrices apparaissent dans le paysage audiovisuel.

Sur notre continent, il est très difficile pour les femmes de faire des films, quand on pense au processus de financement et au nombre d'années nécessaires que cela demande. On a plus de femmes en projets de développement qu'en projets de post-production. Cela fait des années que la question se pose.

Mon analyse personnelle - qui n'est pas du tout scientifique - c'est que les femmes s'engagent dans des projets à très long terme. Or, l'on sait que dans nos pays, financer de tels projets demande beaucoup de souffle. Ce qui fait que beaucoup d'entre elles abandonnent en chemin, à cause des contraintes. On ne peut pas attendre dix ans pour faire un film, alors qu'on doit subvenir à d'autres besoins. Heureusement, certaines tiennent le coup. Mais j'ai été contente de voir qu'il y avait des femmes qui sont derrière des beaux projets et qui sont à la manœuvre.

Quel bilan faites-vous de Carthage Pro pour ces quatre ou cinq dernières années ?

Pour faire un bilan, il suffit de voir les films qui ont eu des parcours internationaux. Les distributeurs, les festivals internationaux ont, très souvent, sélectionné des films lors des JCC, découvert de nouveaux talents.
Concernant le développement, plusieurs films sont présents sur des plateformes. Il y en a un qui était en développement avec nous et qui a bénéficié d'une bourse de production et qui est revenu en compétition aux JCC 2019. Sur les treize (13) qui ont été sélectionnés depuis 2018, il y en a six (6) qui sont en train de faire un beau parcours. C'est quand même un succès. Cela veut dire que notre sélection est en train d'attirer l'attention d'autres plateformes et festivals.

Cette année, dans notre sélection, il y a eu des films venant de pays où le cinéma est presque absent. On peut prendre pour exemple un documentaire de création qui nous vient de la Mauritanie : Le Chameau manquant [The Missing camel, de Cheikh N'diaye, NDLR]. Il en est de même pour la Guinée avec le film en post-production de [Thierno] Souleymane Diallo, Le cimetière de la pellicule. Pour ce qui est de Madagascar, on a commencé à s'y intéresser depuis 2017, année durant laquelle nous avons eu à ramener quelques courts et longs métrages. Nous essayons donc de nous intéresser à des pays où le cinéma est en phase d'émergence ou il est embryonnaire.
Nous avons aussi un projet libyen [Donga, de Muhannad Lamin, NDLR]. Le cinéma de ce pays commence à émerger. D'ailleurs, durant cette édition 2021 des JCC, "Visions Libye" figure dans le programme. Nous sommes ici aussi pour faire la promotion de cinémas qui ont besoin de renouveau. Il y a quelques années, l'Ouganda était complètement absente de la carte cinématographique. Nous avons commencé à soutenir son cinéma et aussi à nous intéresser à l'Afrique de l'Est. C'est cela aussi la vitrine Carthage : aller vers les pays qui ont besoin d'aide, de soutien.

Quels sont généralement les sujets abordés par les candidats-postulants aux bourses ?

Ça dépend des années ! Comme vous le savez, le cinéma, c'est une industrie, avec des changements d'une année à une autre, selon les réalités politiques, économiques, sociétales ou même sanitaires - on l'a vu avec le Covid. Il y a des sujets relatifs aux droits de l'homme, par exemple. Il commence à y avoir aussi un intérêt pour l'environnement. Ce qui n'était pas le cas les années précédentes. Mais la plupart des cinéastes abordent des sujets de société. Peu d'entre eux touchent à un sujet plus léger comme la comédie, parce que, malheureusement, comme je le dis souvent, tant que nous n'aurons pas réglé nos propres problèmes, nous ne pourrions pas dépasser les réalités de nos propres sociétés en allant exploiter des sujets de comédie ou de science-fiction. Nos cinémas sont des vitrines pour montrer ce qui se passe dans nos pays. C'est pour cela que nous avons des thématiques liées à la guerre, la religion, le malaise social, la pauvreté, etc. Des sujets qui sont originaux.
Il y a, par exemple, le film de Hicham Carafa du Liban qui parlait de manière assez fantastique de questions de racisme, d'intégration, de différence, d'environnement [voir Ourjouwan, de la Libanaise Joëlle Abou Chabké, ndlr]. Il y a aussi ce film guinéen dans lequel le réalisateur s'interroge sur la quasi-inexistence du septième art dans son pays ; un film très important.

Sur les films tunisiens, il y en a un qui parle d'environnement [La Couleur du phosphate / The Color of phosphate / لون الفسفاط, de Ridha Tlili, ndlr]. Concrètement, le film parle de l'impact de l'exploitation du phosphate sur la santé des habitants de la cité minière abritant les gisements de cette ressource naturelle. Il y a aussi d'autres films sur la politique, relativement au colonialisme, mais abordé de manière très originale.
Le film malgache de Nantenaina Lova est dans la même dynamique, alliant politique, environnement, droits de l'homme. Et c'est fait de manière où tout le monde peut savoir ce qui se passe dans le pays (Madagascar). C'est une découverte du pays ! Après, c'est l'originalité du film, la manière dont on traite les sujets qui intéressent aussi.

Nous avons aussi un film tunisien en développement de la réalisatrice Ismahane Lahmar [Une famille respectable / عائلة محترمة , ndlr] qui parle des droits de la femme de manière décalée et complètement originale. C'est beau et satirique. C'est cela aussi que nous essayons de faire, c'est-à-dire montrer un cinéma différent, traitant les sujets de manière différente et non classique, comme on a l'habitude de voir.

Y a-t-il eu cette année 2021, en termes d'offre innovante, une nouveauté dans Carthage Pro ?

On essaie de s'adapter, surtout à cette situation sanitaire qui a beaucoup impacté sur celle économique. Il est vrai que pour les années 2017, 2018 et 2019, Carthage Pro était une énorme plateforme, avec beaucoup d'activités, avec pratiquement une centaine d'invités internationaux. Depuis l'arrivée du Covid, on a essayé de reformuler, de voir les choses autrement, parce qu'on a des contraintes. Ce que je souhaite, c'est qu'au sortir de cette pandémie, que l'année prochaine, on ait beaucoup plus de soutiens.
Nous avons eu difficilement, cette année, 10 bourses, parce que c'est très difficile de convaincre les partenaires de venir soutenir les projets en développement. J'espère que l'année prochaine nous aurons plus de partenaires et que les autorités comprendront mieux l'importance de cette plateforme, parce que c'est vraiment ici que se fait le cinéma de demain.

Alors j'espère que l'année prochaine, post-Covid, post-crise économique, post-impact psychologique et physique…, on reviendra à des formules beaucoup plus importantes, avec plus d'invités et qu'on s'étalera sur toute la semaine, avec beaucoup plus de networking (très important), parce qu'il fait le succès de cette plateforme. On espère donc faire mieux l'année prochaine.

Pour cette année, je pense que la mission a été largement accomplie. Personnellement, je suis très satisfaite de la qualité de la sélection. On a reçu un très beau retour de tous ces films sélectionnés. Nous avons différents comités de sélection. D'abord en interne pour les films arabes et africains : le comité artistique, avec l'aide du département Carthage Pro pour la sélection.
Pour les films tunisiens, c'est un comité complètement externe, indépendant des JCC qui fait de la sélection. Et c'est la politique de tout le festival ; même pour la compétition officielle, les films tunisiens sont choisis par un comité externe au festival.

C'est un long processus : les inscriptions sont ouvertes au mois de mai pour se terminer en fin août. Il y a énormément de travail à faire, beaucoup de projets à sélectionner, après la phase de lecture. Il y a donc plusieurs étapes.

Qui sont vos principaux partenaires ?

Cette année, on a eu six bourses en post-production et quatre en développement d'un montant de 10.000 $ US [NOTE 1], grâce à un partenaire libanais Cedar Art production. L'OIF, notre partenaire de toujours, nous a offert deux bourses de 10.000 € [NOTE 2]. Partenaire officiel des JCC, le CNCI offre 10.000 dinars [NOTE 3].
En développement, nous avons aussi un nouveau partenaire, MAE, qui nous offre une bourse de 7.000 dinars [NOTE 4] ; un nouveau partenariat avec Durban Filmmart [Afrique du Sud, ndlr], et un autre avec le Festival de Malmö [Suède, ndlr], Charbon Studio de Belgique aussi pour une prestation de 7.000 euros [NOTE 5] pour la post-production. Vient aussi l'Institut Français de Tunis qui donne une bourse de 5.000 €[NOTE 6] pour un film, toujours en post-production.

Entretien réalisé à Tunis par
Bassirou NIANG

[NOTE 1] : 10.000 $ US = environ 5,8 millions FCFA (Francs FCFA) / 8.830 euros
[NOTE 2] : 10.000 € = environ 6,5 millions FCFA / 32.500 DT (dinars tunisiens)
[NOTE 3] : 10.000 dinars = environ deux millions FCFA / 3.000 €
[NOTE 4] : 7.000 DT = environ 1,4 million FCFA / 2.150 €
[NOTE 5] : 7.000 euros = environ 4,6 millions FCFA / 22.645 DT
[NOTE 6] : 5.000 euros = environ 3,27 millions FCFA / 16 175 dinars

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