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NEPTUNE FROST. Interconnexions Rwanda - Burundi
LM Fiction de Saul Williams et Anisia Uzeyman, Rwanda / Etats-Unis, 2021
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 10/05/2023
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE

Sortie France : 10 mai 2023
Distribution France : Damned Films

Le désir de se projeter dans le présent n'exclut pas d'évaluer le futur en se branchant sur le passé. C'est ce que tente un tandem d'artistes connectés sur l'Afrique avec Neptune Frost. Saul Williams, poète musicien américain, est connu comme acteur pour Slam de Saul Levin, 1988, et Tey - Aujourd'hui de Alain Gomis, 2012. Anisia Uzeyman, sa compagne, actrice née au Rwanda, résidant en France, a réalisé Dreamstates, tourné avec un portable. L'un a écrit l'histoire de Neptune Frost, l'autre l'a cadré entre le Rwanda et le Burundi d'où sont issus les techniciens. Leur fusion autour de cette coproduction rwandaise et américaine, retenue à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 2021, a des accents de comédie musicale, futuriste et parabolique.

Le récit est introduit par une voix féminine qui nous conduit dans les hauts plateaux du Burundi, où sa naissance effective se cristalliserait à 23 ans. Dans les mines où on extrait le coltan, Tekno succombe à la brutalité des gardes. Son frère, Matalussa, fracasse les avances d'un pasteur pressant et s'enfuit. Une errance comme un rêve éveillé où les genres s'abolissent, où les rencontres sont fluorescentes, la technologie bien ancrée mais volatile, la nature enveloppante, les nuits habitées.
Neptune croise le même rêve, c'est une créature instinctive, visionnaire, Carte Mère d'une technologie sans maîtrise, sans genre. Leur fusion induit une énergie qui attire les mineurs, compagnons de Mata. Eux qui fournissent le coltan sans en recevoir les bienfaits, se rassemblent en rébellion contre l'Autorité et les technologies étrangères, reconvertis en collectif de cyber-pirates anticolonialistes. L'union est comme une défiance au pouvoir, les rêves personnels comme une utopie collective que l'Autorité peut écraser sans anéantir tout à fait.



Neptune Frost brasse le réel et le rêve, le masculin et le féminin, la révolte et la poésie, le noir et les couleurs, la technologie et les vents, la partition techno et les battements de tambours. C'est un film musical, symbolique, fier de ses identités noires. "On montre comment on se voit, comment on se rêve, comment on se projette", commente Saul Williams qui engage avec Anisia Uzeyman, une coproduction indépendante. "Nous voulions préserver notre liberté pour pouvoir écrire l'histoire de personnes africaines avec leur langage, leurs perspectives", assure-t-il, avide de se réapproprier des images et des langues locales.
Cette aspiration n'empêche pas le film de s'inscrire dans l'histoire du pays de Anisia Uzeyman avec ses guerres civiles, ses troubles dans les universités, ses inégalités sociales. "Le Rwanda, un endroit qui m'est très intime et que je voulais raconter avec un soin particulier", confie-t-elle. "Je voulais raconter l'histoire d'une jeune femme de ce pays déterminée, avec du pouvoir." Une force exaltée par le look branché de Neptune, poussé comme celui de Mata et des autres personnages.

"Le film est aussi une révolte contre les formes narratives traditionnelles", confirme Saul Williams, créant un récit à l'univers stylisé, inspiré par celui de RanXerox, le héros de comics cyberpunk, ou des films de Andreï Tarkovski tel Solaris, 1972, de Wong Kar-wai avec 2046 (2004). Le décorateur, Cedric Mizero, combine une vision traditionnelle et futuriste dans les décors, les accessoires attribués aux acteurs, tous concentrés dans l'action ou les latences du récit.
La musique techno conçue par Saul Williams et une équipe inspirée, contribue à l'atmosphère onirique et futuriste de Neptune Frost. Les chants qui ponctuent les scènes se transforment en clips virtuoses où des algorithmes, des effets lasers débordent. "L'écriture de la musique a écrit l'histoire", confirme Saul Williams qui inscrit cette fiction au cœur de son projet MartyrLoserKing, comportant trois albums, un roman graphique et le film Neptune Frost.

"Nous avons besoin d'un art qui n'a pas peur de défier la structure narrative de nos programmes. La propagande informatique circule à la vitesse des maladies coloniales dans les populations indigènes", pointe Saul Williams, engageant avec son épouse, une œuvre émaillée d'effets visuels, de références sur des réalités rwandaises, des sources spirituelles, des rites africains exaltés ou détournés.
"Neptune Frost est une histoire qui démystifie la connexion, qui met en lumière la technologie en tant que conscience, qui brise les conventions et honore les moyens par lesquels cette conversation a lieu", estime Saul Williams. Avec Anisia Uzeyman, il décuple les questionnements sur l'existence, les identités, la force des communautés africaines comme l'exprime l'une des héroïnes de Neptune Frost : "On nous pourchasse, on nous honore, on nous cible, on nous entrave. Et en dépit de tout, nous avons survécu. Mais plus grande que la survie est la sagesse des âges dont se pare le présent."

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France), pour Africiné Magazine

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