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AU CIMETIÈRE DE LA PELLICULE : Exhumer le cinéma en Guinée
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 03/07/2023
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Thierno Souleymane DIALLO, réalisateur guinéen
Thierno Souleymane DIALLO, réalisateur guinéen
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film, avec la caméra de bois
Scène du film, avec la caméra de bois
Scène du film
Scène du film
Le réalisateur Thierno S. Diallo, à la Berlinale 2023
Le réalisateur Thierno S. Diallo, à la Berlinale 2023
Thierno S. Diallo, réalisateur, présente son film à la Berlinale 2023, entouré par des responsables du festival allemand.
Thierno S. Diallo, réalisateur, présente son film à la Berlinale 2023, entouré par des responsables du festival allemand.
Ancienne affiche du film
Ancienne affiche du film

LM Documentaire de Thierno Souleymane Diallo, Guinée / France / Sénégal / Arabie Saoudite, 2023
Sortie France : 5 juillet 2023
Distribution : Dean Medias

Des pans entiers de l'histoire du cinéma en Afrique de l'Ouest sont encore méconnus, surtout en Guinée qui fut un pays pilote en la matière. Et il reste encore des lacunes sur les origines du 7ème art guinéen que Thierno Souleymane Diallo essaie de combler avec Au cimetière de la pellicule, 2023. Ce documentaire, retenu au Panorama de Berlin où il reçoit le Prix du public, au Fespaco où il a décroché une mention, a déjà une bonne exposition.
Le sujet véhicule la passion du cinéma du réalisateur guinéen. Celui-ci a approché l'audiovisuel à l'Université des Arts de Guinée avant de faire un Master au Niger et une Licence au Sénégal. Ce qui lui a permis de signer Un homme pour ma famille, 2015, et Nô Mëtî Sîfâdhe, 2018, avant d'attaquer Au cimetière de la pellicule grâce à des appuis de Guinée, de France, du Sénégal et d'Arabie Saoudite.



C'est en étudiant pour son Master 1 en réalisation documentaire que Thierno Souleymane Diallo apprend que le premier film d'Afrique francophone serait Mouramani du Guinéen Mamadi Touré. Ce court-métrage de 23 minutes, tourné en pellicule 16mm, en 1953, est une fiction, inspirée par une légende dont le scénario varie selon les sources car personne ne se souvient de l'avoir vu.
Frustré de ne pas avoir appris l'existence de cet élément des origines de cinéma en Guinée, le réalisateur veut le visionner. "A partir de cet instant, j'ai eu cette forte envie de retrouver Mouramani. A force de chercher un film, j'ai trouvé un cimetière de cinéma", explique Thierno Souleymane Diallo, en justifiant le titre de son documentaire. "J'ai compris que ce n'est pas seulement Mouramani qui avait disparu mais plus largement le cinéma de la Guinée."

Pour conduire son enquête, le réalisateur se façonne un profil de cinéaste, affublé d'un sac à dos, d'une perche avec une grosse bonnette, caméra à la main, il avance pieds nus pendant tout le film. De Kankan à Conakry en passant pas Diankana, jusque à Paris, on suit ses déambulations et ses questions pour retrouver la trace de Mouramani.
Tantôt on voit ce qu'il filme, tantôt la caméra de Leïla Chaïbi, sa complice, le montre en train de tourner ou de nouer le dialogue. "Je suis à l'image, car au-delà de la mise en scène, je porte ce film par mes interrogations, ma quête, mes découvertes et mes rencontres", abonde le cinéaste. "C'est le film de mes peurs et envies de faire du cinéma donc c'est tout à fait normal que je sois le fil conducteur."

Après avoir eu la bénédiction de sa mère, Thierno Souleymane Diallo commence ses investigations près de Kankan. Il visite le cinéma Vox, fermé depuis 1995, et exhume de vieilles bobines dont une porno, tandis que des jeunes regardent une projection numérique dans une cabane. Il part à Diankana sur les traces de Mamadou Touré, discute avec les sages dont l'un a été guichetier dans un cinéma. Et il organise une projection publique sur une place. De retour à Conakry, il explore les restes d'une salle détruite, examine des bobines rescapées, visite les anciens laboratoires de cinéma abandonnés avec leurs machines.
Il tente de ranimer la flamme des étudiants en audiovisuel et les fait tourner avec des caméras de bois, comme Joris Ivens le fit à Cuba, pour qu'ils racontent ce qu'ils ont cadré. Ensemble, ils recensent 13 réalisateurs de Guinée. Son ancien professeur de cinéma évoque l'élan du pays en 1967 puis la répression de 1970 où les cadres ont été jetés en prison, et ont résisté en écrivant des scénarios. Thierno Souleymane Diallo s'empare de l'un d'eux et le fait rejouer. Puis des enfants, armés de faux fusils en métal, figurent des scènes de guerre.

Une visite chez une vendeuse de CD et une rencontre avec un ancien responsable de la censure ne dissipent pas le mystère de Mouramani. Et quand ce dernier déclare, "on n'a pas la culture des archives dans ce pays", le réalisateur se décide à enquêter à Paris. Affublé d'un costume bleu avec des écritures, d'une pancarte en carton avec la fiche technique de Mouramani, il découvre un cinéma occupé qui résiste à la vente décidée par ses propriétaires. Un critique qui mentionne le film dans ses écrits confirme ne l'avoir jamais vu. Même une responsable des Archives du Film ne sait localiser la bobine mythique. Il faut alors continuer la marche, oser recréer.
Chemin faisant, Thierno Souleymane Diallo restaure la mémoire du cinéma de Guinée, qui a mis en place l'institution Sily cinéma dans les années 60, pour devenir le fer de lance de la production et de l'exploitation en Afrique de l'Ouest. Il pointe le désengagement de l'Etat après le changement de régime des années 80, qui stoppe la production et vend les salles. Ardent défenseur du 7ème art, le cinéaste propose une balade décontractée, curieuse dans ses racines et ses souvenirs en Guinée.



L'alternance de sa caméra avec celle de son opératrice, assure une certaine vivacité à un film bien découpé et instruit. En installant une projection traditionnelle, en aiguillant des étudiants, en tentant une sorte de remake du film perdu, l'auteur de Au cimetière de la pellicule sensibilise au pouvoir du 7ème art tout en recherchant ses origines avec Mouramani.
La démarche vise aussi à le connecter à un cinéaste aîné disparu. "Il est plus qu'urgent que les jeunes générations puissent avoir accès à leur patrimoine culturel, qu'elles soient outillées afin de raconter ces peuples d'Afrique, immensément riches et variés", ponctue Thierno Souleymane Diallo en affirmant : "Autant de peuples, autant de cultures et autant de cinéma."

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France), pour Africiné Magazine

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