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LES MEUTES. Course à la mort à Casablanca
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 17/07/2023
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Kamal LAZRAQ, réalisateur et scénariste marocain
Kamal LAZRAQ, réalisateur et scénariste marocain
Scène du film LES MEUTES
Scène du film LES MEUTES
Scène du film LES MEUTES
Scène du film LES MEUTES
Scène du film LES MEUTES
Scène du film LES MEUTES
Scène du film LES MEUTES
Scène du film LES MEUTES
L'acteur français Slimane Dazi, dans une scène du film d'école LES YEUX BAISSÉS, réalisé par Kamal Lazraq, en 2010, La Fémis, Paris.
L'acteur français Slimane Dazi, dans une scène du film d'école LES YEUX BAISSÉS, réalisé par Kamal Lazraq, en 2010, La Fémis, Paris.

LM Fiction de Kamal Lazraq, Maroc / France / Belgique / Qatar / Arabie Saoudite, 2023
Sortie France : 19 juillet 2023 (Dist : Ad Vitam)

La ville marocaine brille d'une nouvelle noirceur dans Les Meutes de Kamal Lazraq, un auteur mis en lumière par la section Un certain regard du Festival de Cannes 2023, où il a décroché le Prix du Jury. C'est une belle exposition pour le premier long-métrage du cinéaste marocain, parti étudier à Paris, à 18 ans, avant de s'orienter vers la Fémis où il se forme et réalise Drari, 2011, tourné à Casablanca, sa ville natale.
Il se fait remarquer avec Moul Lkelb (L'homme au chien - مول لكلب), 2014, avant de se lancer sur Les Meutes (Hounds). Produit par le Maroc, la France et la Belgique, il bénéficie l'apport du Qatar et de l'Arabie Saoudite. Des soutiens qui encouragent Kamal Lazraq à exposer Casablanca sous un angle noir.

L'action se déroule dans les faubourgs où évoluent les laissés-pour-compte de la société marocaine. Hassan et son fils Issam forment un tandem solide et rude. Ils survivent en enfilant des petits boulots et des trafics hasardeux pour Dib, un chef de clan caractériel. Chargés de kidnapper un homme, ils se retrouvent avec son cadavre sur les bras.
Culpabilisés et encombrés, ils cherchent à s'en débarrasser mais Hassan voudrait l'enterrer selon les codes religieux. Au volant de leur camionnette, lancés dans la nuit de Casablanca, les deux hommes roulent à contre-sens de leurs intérêts. Les contretemps s'enchaînent. Hassan est prêt à lâcher prise mais Issam prend le volant et la course dérape encore.



Les péripéties de Hassan et Issam sont ancrées dans l'atmosphère sombre de Casa et ses gangs. "La lecture au premier degré de ce film est assez simple : il s'agit de se débarrasser d'un corps", estime Kamal Lazraq. "La trajectoire du film, c'est ça : un fils qui accepte tout de son père alors qu'il sait très bien au fond de lui que le père prend des mauvaises décisions."
Sans contester la figure paternelle, le fils s'oppose à Hassan parfois avec véhémence lorsqu'il semble dépassé. "Malgré ses réticences, il le suit, il ne l'abandonne pas. Et il lui dit quand même des choses très dures", souligne le cinéaste. Leurs échanges passent surtout par des regards, des silences, des gestes comme l'indique le réalisateur : "Ce sont les actions, les décisions, les non choix qui nous éclairent sur la psychologie des personnages et sur leur relation."

L'intensité des rapports repose sur l'interprétation instinctive des acteurs non professionnels, issus et recrutés dans le milieu où évoluent les personnages. Ayoub Elaïd qui joue Issam, s'exprime selon les indications du réalisateur, sans recourir au scénario écrit. Abdellatif Masstouri, le père cabossé, a délaissé son étal de sardines pour agir de la même manière. Comme Abdellah Lebkiri, le chef de clan, un des seuls professionnels du film, qui habite son rôle même hors du plateau.
"J'avais prévenu l'équipe et le chef opérateur que les deux acteurs seraient le cœur du film, qu'ils étaient supers mais n'étaient pas des professionnels. Ils sont très intenses devant la caméra mais aussi dans la vie", raconte Kamal Lazraq. Son caméraman, Amine Berrada, cadre avec souplesse selon les mouvements parfois imprévus des interprètes. "Je souhaitais une image très organique, très charnelle, en assumant les défauts. Il ne fallait pas faire du léché", explique le réalisateur.

Les situations captées dans sa ville d'origine, sont traitées sous une forme tragique qui n'exclut pas l'ironie et le décalage. "Quand on circule dans les marges de Casablanca la nuit, cette dimension burlesque est très présente : les gens sont souvent de véritables personnages qui cabotinent", justifie le cinéaste, en relevant les paradoxes qui animent ses protagonistes. Ainsi Hassan qui vit de compromissions, tient à enterrer le mort selon les rites religieux et l'intervention d'une prière suffit à faire redémarrer la camionnette poussive du tandem.
"La religion est très présente dans la culture marocaine, et je dirais même que c'est une forme de superstition : la peur d'être maudit, la peur de subir un châtiment divin", observe Kamal Lazraq en brassant dans son propos les contrastes de sa société. "Le Maroc se développe mais une partie de la société est laissée sur le côté et ces gens se retrouvent piégés dans des engrenages tels que celui montré dans le film."

Le tournage au cœur des faubourgs de Casablanca avec des gens du milieu, est pénétré du désir de survie qui y circule. "Cette dimension sociale était un des éléments forts du film", confirme son auteur en maniant un ton haletant, un peu désabusé, pour composer une fuite en avant nerveuse, teintée d'absurde.
"C'est ce qui arrive à Hassan. Son trajet est une boucle et il finit par arriver là où il ne devait sûrement pas arriver", pointe Kamal Lazraq. "Il part de l'aube, termine à l'aube. Cela donne une dimension existentialiste au film." Une trajectoire portée par des marginaux rudes, pleins de contrastes, de contradictions, d'humanité crue.

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France), pour Africiné Magazine

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