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Mahamat-Saleh Haroun parle de LINGUI, LES LIENS SACRÉS
"J'aurais pu en faire une tragédie"
critique
rédigé par Sita Yafolo (Soro Sita) Soro
publié le 24/07/2023
Mahamat-Saleh HAROUN, réalisateur tchadien, Président du Jury au festival Dakar Court 2022, Sénégal
Mahamat-Saleh HAROUN, réalisateur tchadien, Président du Jury au festival Dakar Court 2022, Sénégal
Hassanié MAHAMAT BRAHIM, Rédactrice (N'Djamena / Niamey) à AFRICINÉ MAGAZINE
Hassanié MAHAMAT BRAHIM, Rédactrice (N'Djamena / Niamey) à AFRICINÉ MAGAZINE
Sita SORO, Rédactrice (Abidjan) à AFRICINÉ MAGAZINE
Sita SORO, Rédactrice (Abidjan) à AFRICINÉ MAGAZINE
Ousmane SOW. Rédacteur (Dakar), à AFRICINÉ MAGAZINE
Ousmane SOW. Rédacteur (Dakar), à AFRICINÉ MAGAZINE
Scène du film LINGUI
Scène du film LINGUI
Scène du film, avec Rihane KHALIL ALIO ("Fanta", la fille)
Scène du film, avec Rihane KHALIL ALIO ("Fanta", la fille)
Scène du film, avec Achouackh ABAKAR SOULEYMANE ("Amina", la mère)
Scène du film, avec Achouackh ABAKAR SOULEYMANE ("Amina", la mère)
Scène du film LINGUI
Scène du film LINGUI
Scène du film LINGUI
Scène du film LINGUI
Scène du film LINGUI
Scène du film LINGUI
Scène du film LINGUI
Scène du film LINGUI
Scène du film LINGUI
Scène du film LINGUI
Scène du film LINGUI
Scène du film LINGUI
Scène du film LINGUI
Scène du film LINGUI
Scène du film LINGUI
Scène du film LINGUI

Mahamat-Saleh HAROUN est l'auteur de sept longs métrages fiction, dont le dernier, Lingui, les liens sacrés, a été présenté en compétition officielle au festival de Cannes 2021. Il a été sacré parmi les cinq meilleurs films étrangers de l'année aux Etats-Unis, par l'Académie des Oscars.
À Dakar, en tant que président du jury de la compétition officielle du Festival Dakar Court 2022, il revient dans cet entretien sur ce film.

Lingui, les liens sacrés aurait pu faire la séance d'ouverture au nouveau multiplexe Pathé [Dakar, quartier Mermoz], si un problème technique de non-transmission de la clef de lecture du DCP par le distributeur n'en avait privé les festivaliers. Le réalisateur tchadien précise que dans les langues tchadiennes, le mot viol n'existe pas. Sans langue de bois, Mahamat-Saleh Haroun, ancien ministre de la Culture du Tchad, estime que, pour la contraception, il faut que les hommes, à un moment donné, acceptent.



J'ai été un peu choquée par le fait que dans votre film, Amina avorte. On a l'impression que vous montrez ça comme une solution ?

Non ! Ce n'est pas une solution. Je pense que ce sont des gens qui sont piégés, des femmes qui sont prises entre le patriarcat et la religion musulmane, laquelle interdit de donner une éducation sexuelle aux filles, mais leur interdit d'avorter en cas de problème. Elles sont liées au bon vouloir des hommes et de la religion. Voilà le destin d'une femme en fait. Il faut se mettre à la place de Maria et comprendre que dans les langues tchadiennes, le mot viol n'existe pas. Cela veut dire que violer une femme ne veux rien dire.
Une femme violée n'a aucun recours. Il faut l'accepter parce que la religion l'impose. Il faut l'accepter parce que les hommes l'imposent. Ce n'est pas du tout une solution mais pour elle, c'est la seule solution qui lui reste puisque par la loi des hommes on lui dit que l'avortement est interdit, qu'elle peut risquer la prison et que les médecins ne peuvent pas le faire. Donc il n'y a aucune solution en fait : vous êtes victime jusqu'au bout.

J'aurais pu faire une tragédie de ce film : la fille va voir une femme dans le quartier, le truc se passe mal, elle meurt et on va tous pleurer… mais ce n'est pas ça que je voulais. Je voulais montrer deux femmes qui sont des héroïnes du quotidien. Comment elles essayent de trouver des solutions à leur problème, ce qui suppose franchir la ligne rouge.

En ce qui concerne l'excision, les femmes s'organisent pour faire en sorte que la femme ne soit pas excisée.

Dans le cas d'un avortement, il y a urgence : plus le temps passe, plus il y a le risque qu'on ne peut rien faire. Pour éviter que ça ne se transforme en crime, donc tuer un être humain, il faut le faire au moment où c'est encore un embryon. Mais il y a aussi le secret qui n'est pas le même si la fille a avorté ou été violée. C'est différent de l'excision. Si la fille n'est pas vierge, le jour de son mariage, et qu'elle a été violée, c'est tout son avenir qui tombe dans l'eau.



En réalisant ce film, aviez- vous ce projet d'évoquer la condition féminine depuis longtemps ?

Depuis des années dans les journaux, on lit des faits divers : on trouve des bébés dans les décharges, les caniveaux, etc. En fait, ils sont tués car c'est une honte, un déshonneur pour la famille.
Mais le problème est que la religion ou la tradition nous empêchent de dire ou d'expliquer à notre fille qu'avoir des relations sexuelles sans protection peut représenter un risque de grossesse. On ne peut pas le faire. Et si elle tombe enceinte, il ne faut pas qu'elle s'en débarrasse. Et après si elle a un bâtard, elle a une double peine parce qu'elle est elle-même rejetée et le bébé aussi. La victime c'est toujours la femme et puis sa progéniture. Et quand le bâtard est une bâtarde, c'est encore plus grave, personne n'en veut. Et comme je l'ai dit, le viol n'a pas de nom.

J'ai repensé à ma grand-mère qui, en 1942, a divorcé et est partie. Elle a quitté son mari, mon grand père, parce qu'il voulait épouser une deuxième femme. Et en 1942, elle est partie et elle ne s'est plus jamais remariée jusqu'à sa mort. Elle a eu un seul enfant, mon père. J'ai fait juste le lien entre ma grand-mère et la vie actuelle de ces femmes. Et je me suis dit qu'elle allait pleurer si elle voyait ça.

Il faudrait donc développer la contraception au Tchad.

Bien sûr, oui. Mais encore faut-il que les hommes l'acceptent. L'obscurantisme qui consiste à dire que dès que vous faites un planning familial, les Blancs veulent en fait nous tuer, qu'ils veulent que nos femmes ne puissent plus enfanter. Il y a toute une campagne obscurantiste contre tous ceux qui peuvent éventuellement soulager les femmes. Le planning familial existe sauf qu'il est compliqué pour les femmes musulmanes parce qu'il y a toujours le problème de la religion.

La question de l'avortement, en tant que pratique taboue, condamnée par la religion et la loi, est-elle un angle mort ?

C'est l'angle mort. On ne veut pas y réfléchir. On est dans l'incapacité de répondre. C'est une forme d'irresponsabilité de ne pas prendre cette question là à bras-le-corps et de trouver une solution. On refuse de reconnaître que l'activité sexuelle commence tôt, on refuse d'en parler. Franchement, je n'arrive pas à nous comprendre. Les hommes ont trois femmes et ensuite, ils ont des maîtresses. Donc on suppose qu'il y a une activité sexuelle… Cela concerne nos filles, nos sœurs. Est ce qu'on doit se taire ?



Je sais qu'au Sénégal, c'est un gros problème aussi et qu'on ne veut pas le traiter. Donc cela reste difficile. Les femmes sont majoritaires et frustrées, en permanence victime d'injustice. C'est donc toute la société qui est frustrée et malheureuse. Une société qui est malheureuse, c'est une société qui tire les gens vers le bas, elle ne transmet pas des signes positif. Et donc ça atteint, à un moment donné, le moral.
On ne peut pas continuer à fermer les yeux car ça entraîne une forme de violence dans les rapports sociaux au quotidien et ce n'est pas non plus pour notre bien être.

Y a-t-il des critiques sur Lingui, au Tchad ? Si oui, qu'est ce que vous en pensez ?

De manière générale, je ne vois pas de journalistes critiques du cinéma. Au Tchad en tout cas, il n'y a pas, mais en Afrique il y en a. Je n'ai pas l'impression d'avoir à faire à des critiques, mais à des journalistes culturels. En fait, le problème de l'Africain c'est que vous ne pouvez pas dire du mal de mon film parce que vous me connaissez. Cela n'a pas de sens. Je ne connais pas beaucoup de critiques. Je connais les anciens avec qui vous apprenez la critique. Pour ce qui est du Tchad, en réalité, les gens ne font pas de la critique : ils racontent juste le film.



Vous aviez dit dans une interview à Olivier Barlet, notre formateur avec Baba Diop, que vous ne reviendrez plus au Fespaco. Est ce que vous avez la même attitude aujourd'hui ?

Je ne suis pas allé au Fespaco pendant des années. J'y suis retourné parce que j'y étais bien obligé de par mes fonctions en tant que ministre de la Culture. Ils ont invité le ministre pas le cinéaste. Mais récemment, il y a eu un changement d'équipe. Et l'année dernière, j'ai présenté Lingui, les liens sacrés qui était en compétition. Je l'ai fait parce que le nouveau délégué général n'est pas un fonctionnaire. Le problème du Fespaco, c'est que c'est fait par des fonctionnaires à qui rien ne peut arriver.
La nomination d'Alex Moussa Sawadogo change la donne car c'est un indépendant, un cinéphile, quelqu'un qui aime vraiment le cinéma. Et du coup, je me suis dit qu'il y a peut être une nouvelle vision et que c'était le moment de se réconcilier avec le Fespaco. Je l'ai fait, voilà.

Propos recueillis par
Hassanié MAHAMAT BRAHIM (Tchad),
Ousmane SOW (Sénégal),
Sita Yafolo SORO (Côte d'Ivoire)

Article rédigé dans le cadre de l'Atelier Dakar Court 2022 / FACC.
Un atelier de formation en critique cinématographique dirigé par Olivier Barlet et Baba Diop, organisé à l'occasion de la 5è édition du Festival de Dakar Court (05-10 Décembre 2022) par l'Association Cinemarekk et la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC, Dakar), avec le soutien de Vivendi Create Joy et du Centre National de la Cinématographie du Niger (CNCN)

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