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DÉSERTS. S'inscrire dans les espaces marocains
LM Fiction de Faouzi Bensaïdi, France / Allemagne Belgique / Maroc / Qatar, 2023
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 19/09/2023
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Faouzi BENSAÏDI, réalisateur et scénariste marocain
Faouzi BENSAÏDI, réalisateur et scénariste marocain
Scène du film DÉSERTS
Scène du film DÉSERTS
Scène du film DÉSERTS
Scène du film DÉSERTS
Scène du film DÉSERTS
Scène du film DÉSERTS
Scène du film DÉSERTS
Scène du film DÉSERTS

Sortie France : 20 septembre 2023
Distribution France : Dulac Distribution

Des auteurs marocains aiment transgresser les espaces, sans les abolir. Se déporter vers le sud comme Ismael El Iraki avec Burning Casablanca (Zanka Contact), 2020, ou s'immerger dans le désert tel Faouzi Bensaïdi avec Déserts, présent à la Quinzaine des cinéastes au Festival de Cannes 2023.
Après avoir regardé la campagne dans Mille mois, 2003, les villes futuristes, WWW - What a Wonderful World, 2006, il détourne le polar pour Mort à vendre, 2011, explore les différences de classe pour Volubilis, 2017. Le réalisateur marocain est réputé pour glisser entre les genres avec élégance et un sens du décalage personnel.

Déserts s'attache à deux hommes, maladroits et solitaires, Mehdi et Hamid, chargés (par une agence de recouvrement à Casablanca) de récupérer l'argent de familles trop en dettes. Ils s'engagent hors de la ville pour dépouiller des gens aussi pauvres qu'eux. Vêtus de costumes vifs qui tranchent sur le décor et l'esprit de leur mission, Mehdi et Hamid gagnent le désert. Ils croisent la route d'un évadé qu'ils embarquent en voiture et celui-ci leur échappe pour vivre son histoire d'amour. Plus loin, des migrants cherchent leur chemin puis les accompagnent. L'histoire semble se dissoudre peu à peu dans la nature.
Le film est axé sur la déambulation des deux personnages typés, construits "tout en déconstruisant pour leur apporter plus de complexité", selon le cinéaste qui oppose les mêmes composantes d'une classe sociale défavorisée : "Les pauvres contre les pauvres : les deux mecs comme tous les employés sont en situation de précarité et ils sont envoyés à l'attaque de gens encore plus en difficulté qu'eux. C'est l'ubérisation du monde." Une remarque qui n'empêche pas Faouzi Bensaïdi de s'écarter du réalisme comme il aime le faire.



"On a débuté par le burlesque construit autour de deux personnages et on s'imagine que tout le film se fera avec eux. Pourtant, ils deviennent secondaires, s'effacent et laissent place à l'évadé, et on s'évade avec lui vers le merveilleux, l'enchantement", commente le réalisateur qui a souvent recours aux ellipses pour dérouler son récit, en ajoutant : "J'aime que le surréalisme se superpose au réalisme. Qu'il naisse de ruptures." Il passe alors de la comédie à une sorte de tragédie plus métaphysique en tissant les genres comme il le définit : "C'est une sorte de broderie. Mon cinéma est toujours allé dans cette direction."
Après une première partie avec des plans symétriques où se glissent des détails qui en rompent le classicisme, la deuxième partie semble décomposer les éléments, comme un dérèglement qui permet à Bensaïdi de "nourrir cette incohérence qui est naturellement celle de nos existences". C'est là que l'utilisation du Scope, inspirée par les westerns, trouve sa pleine puissance selon le cinéaste qui précise : "Le Scope me semblait presque naturel pour filmer le désert et cette histoire, avec sa dimension presque cosmogonique, ses immenses espaces."



Faouzi Bensaïdi soigne sa mise en scène, privilégiant l'écriture du cinéma en affirmant : "Ce qui compte, c'est comment raconter les histoires. Presque plus que les histoires elles-mêmes." Il valorise les plans-séquences pour y orchestrer les déplacements de comédiens, comme on le fait au théâtre dont il est issu, motivé par "un plaisir de cinéma avant tout". Sensation exacerbée par une musique onirique.
Il évite les inserts, les gros plans à l'exception de deux dans tout le film, préférant disposer des signes récurrents. Tout cela repose sur un long travail de construction comme l'explique le cinéaste : "Je prépare beaucoup le scénario, la construction du récit ou encore le découpage pour me permettre au final davantage de libertés." Cela passe par une relation particulière aux acteurs que le cinéaste, lui-même comédien, fait aussi dériver pendant le tournage.



Déserts se déploie comme une coproduction internationale avec la France, l'Allemagne, la Belgique, le Maroc, le Qatar, pour livrer une vision acérée sur l'exploitation de la pauvreté en vigueur dans le monde arabe, au profit de consortiums capitalistes impitoyables. "Mes films sont engagés mais mon premier engagement est esthétique", revendique le cinéaste marocain, en préférant suggérer et dépayser les spectateurs.
"J'ai voulu que ce film dise beaucoup sur la précarité, sur l'abandon de populations entières, les fractures territoriales, et sur le capitalisme qui broie nos vies, nos sentiments ainsi que nos émotions", indique Faouzi Bensaïdi en livrant un spectacle poétique, à l'esprit picaresque, porté par un regard critique sur le monde en dérive. Une manière de hanter autrement les déserts affectifs communs.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France)
pour Africiné Magazine

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