Depuis La Noire de... (1966) à Xala (1975), Le Mandat (1968) au Camp de Thiaroye (1988), l'ancien pensionnaire du studio Gorki, à Moscou, aura gratifié l'Afrique et le reste du monde, d‘une filmographie riche et variée, encore d'actualité.
On doit à Sembène Ousmane, les films Moolaadé (2004) et Ceddo (1977), entre autres, ainsi que différentes parutions : Le Docker noir (1956), Ô pays, mon beau peuple (1957), Les Bouts de bois de Dieu (1960), Voltaïque (1962, paru en anglais sous le titre Tribal Scars), Le Mandat (1966), Xala (1973), ou Le dernier de l'Empire (1981). Cet artiste prolifique et pluridisciplinaire marquera aussi l'humanité par son engagement visible en ses travaux précités.
La pipe toujours à la bouche, ce fervent défenseur des causes féminines telles que: l'excision et autres mutilations, militera pour un plus d'autonomie des femmes et le respect des droits de l'homme. Il continuera son œuvre bienfaitrice et de vulgarisation des savoirs et valeurs africaines, par l'adaptation de certaines de ses œuvres romanesques ou autres, en films (Le Mandat, La Noire de...).
Son talent et la sagesse africaine qu'il prônait et distillait, à dose suffisante, s'exprimaient aussi, par des récits locaux et dilemmes. Aussi pouvait-il opposer un patriarcat traditionnel directif (Moolaadé) à une jeunesse volontaire et souvent maladroite (La Noire de...), récits qu'il revisitait avec élégance.
Le chapeau ou képi dressé, la pipe en avant, il abordait dans ses œuvres artistiques, différentes formes de dualités: celle plus ou moins manichéenne, confrontant le monde dit moderne des villes à celui dit traditionnel des villages. Puis, celle opposant les classes féminines, à la gent masculine en quête d' un plus de respect, sans pour autant vouloir lâcher du lest, au mieux, donner en retour ce respect.
Au-delà, de la transposition de ses œuvres (La Noire de..., Le Mandat ou Voltaïque....) en films, le natif de Ziguinchor en Casamance (1923) est aussi, un père, un grand-père. C'est un "Sage" qui, par certaines symboliques récurrentes (le grand baobab au centre de la place commune du village, le puits / le point de forage principal de la banlieue, ou l'unique mosquée de la contrée illustrée), transmettait ce désir d'acceptation des valeurs africaines qui furent siennes. Il transmettait également, une certaine amertume, un désir qui le rongeait : celui de voir toutes ces valeurs qui lui étaient chères, traverser les époques et siècles.
Aussi, après avoir tiré une bouchée de tabac de sa pipe, Sembene Ousmane nourrissait-il le vœu de voir une Afrique plus fière, digne et respectée. Volonté que nous avons relevée, les rares fois que nous l'avons rencontré entre 2002 et 2006 aux Écrans Noirs. Il essayait de nous transmettre cette envie de bien faire, cette verve "perfectionniste", par ses conseils, ses blagues et surtout le sourire quelque peu narquois qu'il affichait en permanence pour accompagner ses propos à la fois simples et savants, rehaussés par une bouffée de "pipe" au vent. Ceci, avant de continuer à astiquer sa pipe, puis inhaler son tabac, en sourire.
Sans être assimilée au cigare de Jacques Prévert (affiche de Paroles, 1945), la pipe de SEMBENE Ousmane, souvent assortie à son chapeau/képi ou, à une écharpe au cou, constituaient les artifices volontaires qui composaient le personnage "haut en amour" pour autrui, de Sembene Ousmane "Le Cinéaste africain".
La rhétorique qui le caractérisait et surtout cette volonté à vouloir transmettre sans cesse, et laisser quelque chose à la postérité m' ont ainsi marqué. Aussi, cette 27ème édition des Écrans Noirs (Yaoundé) qui rend hommage au cinéaste des cinéastes africains SEMBENE Ousmane, me permet de dire: "Merci" à cette bibliothèque, cette sagesse mémorielle, cet héritage inestimable, qui fort heureusement, nous a été transmis.
Puisse, le souvenir et l'exigence professionnelle de "L'Homme à la Pipe" continuer à se perpétuer; puisse la communauté cinématographique, l'avant-garde contemporaine camerounaise, sénégalaise et africaine du cinéma et des arts convergents à en profiter avec humilité. Au demeurant, que l'esprit de perfection et de mérite par le travail qu'il prônait, puisse avancer au rythme de cette fumée de tabac qu'il reniflait. Que la sagesse actualisée de l'Afrique entière, devenue plus stratégique, technique et libre, puisse transformer le continent, comme ce précurseur l'a souhaité, avec plus de célérité, de performance et de lumière.
John MBAOU
![Sembène [réal. B. Josse & D. Sentilhes]](http://www.sudplanete.net//revue_africultures/articles/images/47/47_00_10_01.JPG "Sembène [réal. B. Josse & D. Sentilhes]")
