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Idrissa Ouédraogo: "Une fondation Sembène Ousmane qui aura un impact"
entretien de Bineta Diagne et Mass Ly avec Idrissa Ouédraogo, Cinéaste burkinabé
critique
rédigé par Mass Ly
publié le 18/06/2008
Idrissa OUÉDRAOGO
Idrissa OUÉDRAOGO
Ousmane SEMBENE
Ousmane SEMBENE
Henri DUPARC
Henri DUPARC

Icône des cinémas africains, Idrissa Ouédraogo livre ses impressions sur les difficultés que traverse ce secteur. Et, propose des solutions de sortie de crise. Un entretien réalisé à l'occasion de l'hommage à Sembène Ousmane les 9 et 10 juin 2008 à Dakar.

Africiné : Le Sénégal rend hommage à Sembène, vous avez effectué le déplacement que retenez-vous du cinéaste qu'il était ?

Idrissa Ouédraogo : C'est une très bonne chose de rendre hommage à un artiste, surtout, à Sembène Ousmane. C'est quelqu'un qui a énormément apporté, tant sur le plan des idées que de la personnalité. Il a beaucoup apporté, au moment même, où l'on pensait qu'il n'y avait pas de culture en Afrique, que les cultures dominantes étaient celles de l'Europe. Ce combat, Sembène l'a mené par le cinéma qui est un instrument attractif. Un instrument actif qui rassemble, grâce au contenu, au discours. Sur ce plan, Sembène est un homme qui n'a pas transigé. Le contenu de ses films a trait aux problèmes économiques et sociaux que traversent nos pays. Aujourd'hui encore plus que jamais, on se rend compte, avec la flambée des prix du baril de pétrole, la cherté du coût de la vie, que nos élites ne se sont pas préparées à cette indépendance économique pour le bien-être des populations. Et, les films de Sembène sont encore plus d'actualité.

Quels sont les problèmes que rencontre aujourd'hui le cinéma africain ?

Il n'y a pas de politique réelle pour soutenir ces milliers de personnes qui vivent de cette activité (le cinéma). Nous sommes toujours obligés d'aller chercher de l'argent ailleurs. Ici, (en Afrique : Ndlr) il n'y a aucune politique de plafonnement, de mécénat ou de défiscalisation. Maintenant que Sembène est parti, il n'y a toujours pas de perspective de production. C'est bien de donner des noms à des rues…tel que le souhaitent certains, pour Sembène. Mais, cela doit être des activités de politique locale. Ce qui manque, c'est le développement de système de mécénat, qui reposerait sur une politique nationale. Puis sur quelque chose de plus grand, de panafricain : la fondation Sembène Ousmane. Je pense qu'il faut créer cette fondation et faire de sorte qu'elle ait un impact sur la distribution et la production. Parce que ce qui fera la pérennité de notre combat, c'est de faire des films et de les distribués. C'est pourquoi, il faut une fondation Sembène Ousmane qui puisse aider à la production et à la distribution des films. L'Afrique doit avoir un élan panafricaniste. Elle doit se mettre ensemble parce que le cinéma coûte trop cher pour un seul pays. Sembène étant un grand homme, connu au niveau international, on doit profiter de cette opportunité pour aller vers la réalisation de cette fondation et casser la balkanisation.

Il y a aussi, la fermeture des salles de cinéma qui…

(il coupe). Oui, j'ai moi-même géré une salle de cinéma pendant deux ans au Burkina. Les gens me demandaient si je ne faisais plus de film. J'ai pris mon temps, mon énergie…, pour essayer de voire comment on pouvait sauvegarder les salles de cinéma. Mais c'est un combat extrêmement difficile. Vous savez, quand on analyse, on trouve des solutions. Bien sûr, il n'y a plus de salles mais, qui va au cinéma ? Il y a une grande paupérisation de nos pays, les gens sont de plus en plus éloignés du centre et par là même, des salles de cinéma. Ils habitent les quartiers périphériques et n'ont pas les moyens d'aller voir des films dans les salles de cinéma.
La deuxième difficulté, c'est que pour pouvoir distribuer et exploiter des films, il faut au minimum un film par semaine. Donc, quatre films le mois, cinquante deux l'année. Mais l'Afrique ne produit pas. Cela veut dire qu'on importe les films. Ces films importés sont déjà destinés à un public, ce ne sont pas forcément des films qui nous plaisent. On nous vend des films qui semblent correspondre à nos aspirations et nous sommes obligés de les faire passer. Ces films coûtent 2,5 à 3 millions, presque 10 millions le mois. On s'engage dans une activité à risque. C'est pourquoi il faut faire des films à portée panafricaine, des films dans lesquels le public s'identifie. Il y a des films qu'on dit compétitifs au niveau international, de bonne facture. Mais ces genres de films ne peuvent jamais être rentables sur nos marchés. Cela pose problème. La question fondamentale reste celle du marché. A-t-on un marché suffisamment prêt à consommer nos films, nos musiques… ? 80% de nos populations sont pauvres, elles ne peuvent pas acheter nos films.

Y a-t-il une alternative à ces problèmes ?

Je pense que si on est sûr que le cinéma peut apporter quelque chose, à cause de son attractivité, son contenu, on doit établir des politiques de subvention. Dans un pays comme le Burkina, le Mali, etc si l'État ne subventionne pas le cinéma, le marché à lui seul, ne peut pas le faire vivre. C'est cet aspect que beaucoup de gens perdent de vue. Plus on a de salles, plus on a d'entrées. Mais moins on a des salles, moins on rentabilise un film. En subventionnant le cinéma, on a l'impression qu'on jette de l'argent par la fenêtre, non ! De grands pays comme la France, subventionnent le cinéma. C'est pourquoi je pense qu'il faut une politique pour voir comment on peut créer une économie de cinéma à court, moyen et long terme. Soutenir la diffusion et la promotion des films africains. Evidemment cette démarche est politique. Parce qu'il faut trouver les moyens, revoir les lois qui permettent de dégager des économies pour aider ce secteur d'activité vital, qui peut être la conscience de nos peuples, je pense que cela en vaut la peine.

L'on critique souvent la qualité des films produits par de jeunes réalisateurs africains, qu'en pensez-vous ?

Je ne suis pas élitiste mais je pense que l'école est fondamentale. Le cinéma est art mais, il est aussi technique. L'art peut être empirique mais la technique, c'est un savoir, elle s'apprend. Souleymane Cissé le disait, qu'on arrête d'embêter les gens en leur disant qu'il n y a pas de films africain à Cannes. Le dernier film à Cannes date de 1997, et depuis, il n'y a pas eu de film africain à Cannes. Soit on accuse les autres en disant qu'ils ne veulent pas de nous, soit nous disons que nous ne sommes pas à la hauteur. Et beaucoup de gens pensent que nous ne sommes pas à la hauteur. Ou peut être parce que nous n'avons pas les moyens de nos rêves. Je pense que l'école est incontournable pour quelqu'un qui veut être compétitif. Car même notre public, à force de voir les télévisions étrangères, acquière une culture cinématographique. Il peut comparer. Avant, ce public n'aimait que le contenu, aujourd'hui, c'est à la fois la forme et le fond qu'il aime. Je pense que la formation doit être au cœur de notre activité.

Le développement du numérique a aussi changé la donne.

On ne peut pas arrêter la marche d'une nouvelle technologie. Et ce que l'on ne doit pas oublier de dire, c'est que les potentialités du numérique existent, mais que ses qualités ne valent pas le 35 millimètres. Quand on travaille avec le numérique, on doit savoir que ce n'est pas du trente cinq millimètres. Et si l'on veut que ce soit du trente cinq, il faut porter les objectifs du trente cinq millimètres. Par exemple, le numérique ne supporte pas la haute lumière. Quand on tourne avec, sous la chaleur, ça éclate et ça brille… Le numérique a ses qualités en lui-même qu'il faut connaître pour pouvoir faire de grand film, où les couleurs jouent. Il ne faut pas opposer les choses. L'essentiel, c'est de maîtriser une technique, de l'adapter à ses propres réalités. Cela nous fait revenir au fondamental : apprendre à faire du cinéma. Les aînés comme Sembène, Henri Duparc etc.. qui ont fait de grandes écoles, ont laissé des traces. Il n'y a pas de honte à apprendre. N'oublions pas que nous avions quitté une période où notre culture a été perçue comme négative. Le cinéma en est un exemple. Mais ce n'est pas le seul, car on ne peut pas développer seulement la créativité cinématographique sans la musique, l'école d'art dramatique…c'est un tout. Nous avons beaucoup à faire. Chaque État, pris individuellement, ne pourra rien faire.

Propos recueillis par
Bineta DIAGNE et Mass LY

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