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Ô Ousmane, mon beau Sembène !
critique
rédigé par Saïdou Alceny Barry
publié le 10/06/2009
Saïdou Alceny BARRY
Saïdou Alceny BARRY
Sembène Ousmane
Sembène Ousmane
Sembène Ousmane
Sembène Ousmane
Sembene Ousmane
Sembene Ousmane
Sembène Ousmane et Tahar Cheriaa devant Galle Ceddo, la maison de du réalisateur sénégalais, à Yoff (Dakar), en 1994, durant les RECIDAK, par Mohamed Challouf.
Sembène Ousmane et Tahar Cheriaa devant Galle Ceddo, la maison de du réalisateur sénégalais, à Yoff (Dakar), en 1994, durant les RECIDAK, par Mohamed Challouf.
Les critiques Mohamed Bakrim (Maroc) et Baba Diop (Sénégal) entourent Sembène
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Portrait de Sembène
Portrait de Sembène
Sembène Ousmane
Sembène Ousmane
L'acteur et réalisateur Sidiki Bakaba (Côte d'Ivoire) au colloque d'hommage à Sembène Ousmane, Fespaco 2009
L'acteur et réalisateur Sidiki Bakaba (Côte d'Ivoire) au colloque d'hommage à Sembène Ousmane, Fespaco 2009
Borom Sarret, 1963
Borom Sarret, 1963
La Noire de..., 1966
La Noire de..., 1966
Makhourédia Guèye (Ibrahima Dieng) et Sembène Ousmane (l'écrivain public à la poste) dans Mandabi (Le Mandat), 1968
Makhourédia Guèye (Ibrahima Dieng) et Sembène Ousmane (l'écrivain public à la poste) dans Mandabi (Le Mandat), 1968
Xala, 1974
Xala, 1974
Ceddo, 1976
Ceddo, 1976
Camp de Thiaroye, 1988
Camp de Thiaroye, 1988
Guelwaar, 1992
Guelwaar, 1992
Faat-Kiné, 1999
Faat-Kiné, 1999
Moolaadé
Moolaadé
Moolaadé
Moolaadé
Maïmouna Hélène Diarra dans Moolaadé
Maïmouna Hélène Diarra dans Moolaadé
Moolaadé: Collé Ardo Sy (Fatoumata Coulibaly) et les enfants sous sa protection
Moolaadé: Collé Ardo Sy (Fatoumata Coulibaly) et les enfants sous sa protection
Sembène Ousmane et les exciseuses sur le tournage de Moolaadé
Sembène Ousmane et les exciseuses sur le tournage de Moolaadé

Le film le plus long du réalisateur Sembène Ousmane, celui de sa vie, s'interrompait brutalement le 09 juin 2007. La bobine, après avoir tourné pendant 84 ans et déroulé des kilomètres de pellicule sur une vie d'écrivain prolixe, de cinéaste talentueux et d'homme d'engagement, s'arrêtait dans la nuit du samedi au dimanche. Le cinéma africain perdait le plus illustre de ses pères fondateurs. Cet écrit est un hommage à l'immense homme que fut Sembène Ousmane.

Sur le tournage de Moalaadé, le dernier film du patriarche, une équipe de la TNB (Télévision Nationale du Burkina) se rend pour l'interviewer. Tout se passe bien entre le journaliste et le cinéaste jusqu'à ce moment où Yacouba Traoré met le doigt sur la plaie vive, le rêvé brisé de Sembène, ce film sur le grand résistant ouest africain à la colonisation française, l'almamy Samory Touré, qu'il traîne depuis un quart de siècle par manque de financement.

La réplique est cinglante, désagréable. Elle claque comme un fouet sur la face livide du grand journaliste pris de court. Il essaye de rattraper le coup.
- Je pensais…

Sembène Ousmane, souffle court, regard courroucé, tonne.
- Quand on ne sait pas penser, on vous dispense de penser.

On sent le journaliste déstabilisé par cette dernière estocade, ses yeux tournent dans ses orbites comme ceux d'un épileptique, sa bouche se fend d'une grimace à l'appel d'un bol d'air comme frappé d'apoplexie. Il est groggy.
Quelques anges passent et l'interview reprend. Oubliée la passe d'arme.

Tout Sembène Ousmane se trouve dans cet instant. Cet instant qui montre l'homme de combat, son refus de la dérobade, sa promptitude à l'attaque et qui laisse deviner la longue vie de lutte pour s'affirmer qui fut la sienne.

Sembène Ousmane, c'est l'homme des colères homériques, des grands défis, des entêtements infructueux, et aussi des sacrifices payants. C'est aussi un homme avec ses errements, ses erreurs et ses faiblesses. "Humain, trop humain" dirait Nietzsche. Mais un homme debout face à l'adversité et affirmant son humanité, les poings serrés, la tête droite. Et exigeant de l'autre le respect.

Sembène Ousmane, c'est l'écolier refusant de tendre l'autre joue, et laissant les empreintes de ses minces doigts d'enfant s'imprimer sur la joue rubiconde du maître corse qui l'avait giflé. Avant de quitter cette école primaire pour l'école plus ardue de la vie. S'enchaînent alors les petits boulots de mécano, de charpentier, de maçon, de débardeur à Marseille. Et les cours du soir, les livres prêtés par des amis et lus tard dans la nuit à la lumière d'une lampe myope, quand le corps rompu quête le sommeil, et la lutte syndicale…et les premières phrases malhabilement tracées sur un cahier d'écolier jusqu'au premier roman "Docker noir" qui paraît en 1956. Et les douze romans, recueil de nouvelles, tels les douze travaux d'Hercule pour cet autodidacte.

C'est aussi l'écrivain confirmé de quarante deux ans qui laisse une carrière tout affirmée en plan et se rend en URSS pour apprendre à réaliser des films, convaincu que ce médium atteindra un plus large auditoire contrairement à ces livres seulement accessible à une élite. Son dessein était de faire du cinéma "une école du soir" où les peuples d'Afrique prendront conscience de problèmes du continent et aussi de leur pouvoir de s'inventer un futur radieux. Sa caméra s'intéressera aux brûlures de l'Histoire (Camp de Thiaroye), aux grands problèmes du continent (Guelwaar), à la Résistance des peuples noirs face aux religions révélées (Emitaï), à la critique des pouvoirs nègres (Xala, Le mandat) pour vers la fin se faire plus intimiste (Faat Kiné, Moolaadé) en montrant les petites gens qui se battent pour vivre dignement, à peindre cet "héroïsme au quotidien".

Sembène, c'est l'homme qui, pour une querelle orthographique (Senghor exigeant que Ceddo soit écrit avec un unique "d"), refuse de retoucher le titre de son film, donc accepte que cette oeuvre ne soit pas distribuée au Sénégal. L'homme qui, sur les plateaux de tournage, exigeait de ses techniciens et acteurs qu'ils aillent au bout d'eux-mêmes chercher l'étincelle qui illuminera leur travail. Celui qui faisait sienne les paroles du Roi Christophe : "Je demande trop aux hommes mais pas assez aux Nègres, Madame. (…) Un pas, encore un pas, un autre pas et tenir gagné chaque pas. Malheur au pied qui flanche !".
Son amour de l'homme en faisait un être peu accommodant pour l'individu. Rêvant d'un homme africain, libre et digne, il ne souffrait la faiblesse de quelque nature chez son interlocuteur.

Sembène Ousmane a traversé le siècle sans aucune concession. Il ne s'est pas effeuillé comme le baobab entre deux saisons. Il n'a marchandé ni ses rêves ni ses convictions. Entier, il est resté. Les hivernages se sont accumulés, les cheveux ont blanchi, les muscles sont devenus flasques mais le cœur et le regard sont restés inchangés. Rebelle à toute subordination et à toute injustice, prompt à serrer les dents et les poings pour découdre avec toute contradiction. Automne du patriarche mais printemps perpétuel des idées, idées fleurissant sur les pages des livres, floraison sur la pellicule des films. Si le corps a pris des rides, l'esprit, lui est resté jeune et inentamé.

La dernière image que nous avons du vieux sérère est celle d'un corps couvert d'un linceul noir brodé de versets coraniques en lettres d'or dans son domicile "Galle Ceddo" (la maison du rebelle en peul). Et pourtant nous le savions agnostique. Est-ce signe que pour la première fois, la famille et la société ont imposé au patriarche leur volonté à cet esprit insoumis, au dernier des Mohicans?

À cette image d'un homme couché et sans vie, nous préférons lui substituer celle de Sembène debout dans le soir, regard adouci, sourire apaisé, corps sculptural de lutteur sénégalais telle une œuvre de Ousmane Sow, marchant dans la lumière crépusculaire de l'éternité.

BARRY Alcény Saïdou

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