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Khadidiatou Sow, grande lauréate de Clap Ivoire 2017, Abidjan
critique
rédigé par Thierno Ibrahima Dia
publié le 16/09/2017
Khadidiatou Sow, réalisatrice
Khadidiatou Sow, réalisatrice

Soutenu par l'OIF, le film Une place dans l'avion remporte 4 prix, dont le Grand Prix Kodjo Ebouclé (Prix Spécial UEMOA) et une bourse, lors de cette rencontre de talents ouest-africains. Palmarès complet où les femmes tiennent la dragée haute.

Depuis 17 ans, Abidjan, la capitale ivoirienne, réunit des court-métragistes. Le rendez-vous est devenu une occasion unique de rencontre pour les réalisateurs ouest-africains qui s'y côtoient et nouent de profondes affinités. Il a connu des évolutions et s'impose comme une rampe de lancement ou de confirmation pour la nouvelle génération de cinéastes. Clap Ivoire est devenu l'indéniable lieu d'une forte émulation. La manifestation cinématographique est passée du statut de concours de courts métrages à un véritable festival de cinéma. Cette année, c'est une comédie d'une profonde intelligence qui rafle le Grand prix Kodjo Ebouclé (nom en hommage au grand comédien ivoirien Ebouclé trop tôt disparu). Réalisé par Khadidiatou Sow, le film est produit par Oumar Sall (Cinékap), en collaboration avec Granit films (Paris), et soutenu par le FOPICA et l'OIF, Paris. Clap Ivoire 2017 s'est tenue du 04 au 08 septembre à Abidjan. Les projections se sont faites au cinéma Majestic (Hôtel Ivoire) d'Abidjan. Le siège de l'Office national de cinéma de Côte d'Ivoire (ONAC-CI) a accueilli la table-ronde ainsi que l'Atelier de formation.

 


Objectif principal, la formation pour les talents ouest-africains

 

Clap Ivoire est né en 1995 d'une idée des ciné-clubs de Côte d'Ivoire, pour le centenaire du cinéma. Quand il devient, en juin 2001, directeur du Centre national des arts et de la culture (Cnac), Yao Norbert Etranny, responsable du cinéma ivoirien, prend connaissance de cette initiative et en fait un concours national. Il lui donne une dimension sous-régionale en 2004 et l'ouvre aux réalisateurs de l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), composée de huit Etats côtiers et sahéliens, liés par l'usage d'une monnaie commune, le Franc CFA (monnaie qui fait l'objet de fortes controverses) : le Bénin, le Burkina, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. L'UEMOA compte 112 millions d'habitants, selon les données publiées par cette institution. Clap Ivoire s'étend désormais à la Communauté Economique Des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO, ou ECOWAS en anglais), regroupement régional de quinze pays ouest-africains créé en 1975 : Bénin, Burkina Faso, Cap Vert, Côte d'Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée Bissau, Libéria, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone et Togo.

"L'objectif fondamental de ‘'Clap Ivoire'' est la formation. On ne se contente pas de décerner des prix uniquement. Le lauréat du Grand prix est tenu de nous proposer un projet dans le domaine du cinéma. Que nous aidons à réaliser", confiait Yao Etranny à notre confrère Patrick Krou. Ce qui explique que la grande gagnante 2017, Khadidiatou Sow, décroche également une Bourse Canal Plus pour le suivi.

 

Le Grand Prix 2017 est un film mordant et intelligent

 

Sur les réseaux sociaux, Une place dans l'avion fait l'unanimité. Le mot qui revient le plus c'est "film de qualité". La réalisatrice Khadidiatou Sow met la barre la barre haute. D'emblée, la scène d'ouverture est à la fois très maîtrisée tout en offrant une fragilité (trompeuse). Un large travelling vertical descendant nous plonge dans un quartier très vivant où des gens vaquent à leurs occupations. Cette tonalité presque documentaire, dans une esthétique d'images prises sur le vif (donnant une fausse fragilité), est vite cassée par la caméra rasante rivée à un personnage de petite taille. Le mouvement virevoltant se révélera, à la fin du film, comme des petites touches de peintures sur une palette (la cinéaste Khadidiatou Sow est artiste plasticienne de formation). Le portrait social et celui des personnages principaux est ici fixé en finesse, sans les agaçants flots de dialogues auquel les films africains veulent nous habituer. La modicité des produits sur les tables de petit commerce dans la rue aussi étroite que les jeans qui enserrent les jambes des jeunes filles est une traduction subtile de la dureté du quotidien. Alors quand une émission de radio annonce qu'un avion spécial à destination des États-Unis vient d'être mis à la disposition de tout voyageur désireux d'émigrer, sans aucune formalité de visa ou contrainte, Moussa, qui a toujours rêvé de partir se découvre des capacités insoupçonnés. Plus que de la comédie, Khadidiatou Sow nous offre un délicieux monceau de cinéma qui flirte avec le burlesque sans y perdre sa force. Sa qualité ne réside pas uniquement dans l'histoire qui est sublime, décalée, comme dans Mwanza the Great (de Rungano Nyoni) ou Twaaga (de Cédric Ido, dont le premier long métrage est actuellement en salles, en France). La réalisatrice n'essaie pas de justifier ses choix, au contraire. En prenant des écarts par rapport au réel, elle réussit à capter les spectateurs. Tenir à distance la réalité, en y injectant de la fabulation plus que de la fiction, permet de mieux saisir le réel. "Les gens ont eu un coup de foudre pour ce projet de film avant qu'il ne soit réalisé" a réagi Hugues Diaz, le directeur de la cinématographie nationale du Sénégal, comme le rapporte notre consoeur Aïssatou Ly (Le Quotidien, Dakar), envoyée spéciale à Abidjan.

 


 

Dans ce court métrage, on est dans ce que le réalisateur tchadien Mahamat-Saleh Haroun (Daratt, 2006, Une saison en France, 2017) appelle "le cinéma africain post-moderne" : c'est-à-dire un film qui évite de tomber dans la peinture ethnographique et offre un tableau (universel) de l'intime. C'est ce qui rend les films d'Alain Gomis par exemple déroutants pour certains spectateurs par leur formidable liberté et leur profond universalisme (une mère qui se bat pour son fils à Kinshasa est d'abord une mère courage quand bien même elle serait congolaise et filmée par un métis sénégalais-franco-bissau-guinéen né à Paris). Alain Gomis est d'ailleurs conseiller spécial du film Une place dans l'avion qu'il a soutenu avec sa société de production Granit Films et à travers le programme de formation Up Courts métrages dont il est initiateur lui et Oumar Sall (Cinékap), producteur du film. La dimension post-moderne chez Khadidiatou Sow réside dans sa façon si intelligente d'aborder, par le biais de l'humour, la douloureuse problématique de l‘expatriation forcée des Sénégalais. Elle n'excède pas seulement les frontières du Sénégal (car la question de l'émigration est tout autant ivoirienne, syrienne, érythréenne ou slovène), elle dépasse ce qui semble être de prime abord son sujet, en implosant les rapports patriarcaux. Amy, la femme discrète de Moussa, pourrait se révéler être plus qu'un enjeu sexuel ou un simple personnage n'ayant pas son mot à dire ; elle est jouée par Coumba Sarr, prix de la Meilleure Actrice à Abidjan 2017.

 

Les réalisatrices à l'honneur

 

Avec les 4 prix du film de la Sénégalaise Khadidiatou Sow et les 3 remportés par celui de l'Ivoirienne Mariam Doumbouya (Meilleur Film Fiction, Meilleur Scénario et Meilleur acteur à Bernard Amichia, pour Pile à l'heure), le palmarès fait la part belle aux femmes dans un monde professionnel trop dominé par les hommes. Ces 7 prix sur 13, font basculer la balance, sans oublier le Prix spécial du jury de la Béninoise Yaya Ganiath-Laï (Mon Android, fiction) et le second prix documentaire de la Malienne Hawa Aliou Ndiaye (L'Absence).

Après sa Première Mondiale au 29e Festival International du Court Métrage de Clermont-Ferrand (France, 03-11 février 2017), Une place dans l'avion a remporté le Amaa 2017 du Meilleur court métrage africain (ex-aequo) à Lagos, le 15 juillet 2017, puis une Mention du jury au Nouakshort 2017 (Mauritanie) et une Mention spéciale du jury au 21è Festival Écrans Noirs, de Yaoundé / Douala. Tourné à Ouakam, dans le quartier de l'aéroport de Dakar, le court métrage a fait sa Sortie Nationale (avec 8 autres courts métrages sénégalais inédits), le le Mercredi 9 août 2017, à 18h, au Grand Théâtre National.

 

Le festival Clap Ivoire est organisé par l'Office national de cinéma de Côte d'Ivoire (ONAC-CI), organisme gouvernemental chargé du cinéma en Côte d'Ivoire. Annoncé dès mai 2008, l'ONAC-CI a été finalement créé trois ans plus tard, en 2011. Son premier dirigeant était le réalisateur Kitia TOURÉ, jusqu'à sa mort le 18 Décembre 2012, remplacé par un autre cinéaste, Kramo Lanciné FADIKA, Directeur Général (DG) de janvier 2013 à mai 2016. François YAO, en est l'actuel DG, il est économiste. Lors de la clôture de Clap Ivoire 2017, le Ministre ivoirien de la Culture, Maurice Bandaman, a déclaré que son ambition d'ériger une cité des Arts et de la Culture. Un terrain de 50 hectares est déjà disponible.

 

 

Palmarès de Clap Ivoire 2017

1) Grand Prix Kodjo Eboucle (Prix Spécial UEMOA) : Une place dans l'avion, de la réalisatrice Khadidiatou Sow (Sénégal, fiction), prix d'une valeur de 5 millions Fcfa et Bourse de suivi.

2) Meilleur Film Fiction (Prix Spécial UEMOA) : Pile à l'heure de la réalisatrice Mariam Doumbouya (parfois créditée Mariama Doumbia), prix d'une valeur de 3 millions Fcfa

3) Meilleur Film Documentaire (Prix Spécial UEMOA) : Nos faiseurs de bonheur du réalisateur Oumarou Kadry Koda (Niger), prix d'une valeur de 3 millions Fcfa

4) Meilleur Scénario (Prix Canal) : Pile à l'heure de la réalisatrice Mariam Doumbouya, prix d'une valeur de 1 million Fcfa.

5) Prix de l'intégration africaine : Nos faiseurs de bonheur du réalisateur Oumarou Kadry Koda (Niger), prix d'une valeur de 800 000 Fcfa

6) Prix du public : Une place dans l'avion, de la réalisatrice Khadidiatou Sow (Sénégal, fiction), prix d'une valeur de 700 000 Fcfa

7) Prix spécial du jury (Prix Côte Ouest Audiovisuel) : Mon Android,  d'une valeur de 700 000 fcfa de la réalisatrice Yaya Ganiath-Laï (Bénin, fiction)

8) Prix de la meilleure interprétation féminine : Coumba Sarr, pour son rôle d'Amy dans Une place dans l'avion, de Khadidiatou Sow (Sénégal, fiction), prix d'une valeur de 500 000 Fcfa

9) Prix de la meilleure interprétation masculine : Bernard Amichia, pour son rôle dans Pile à l'heure de Mariam Doumbouya (Côte d'Ivoire), prix d'une valeur de 500 000 Fcfa

10) Prix de la meilleure photographie : Rémi Mazet, pour  Une place dans l'avion, de Khadidiatou Sow (Sénégal, fiction), prix d'une valeur de 500 000 Fcfa

11) Prix du meilleur son : Ousmane Coly, pour Une place dans l'avion, de Khadidiatou Sow (Sénégal, fiction), prix d'une valeur de 500 000 Fcfa

12) Second prix Documentaire : L'Absence, de la réalisatrice Hawa Aliou Ndiaye (Mali), prix d'une valeur de 200 000 Fcfa

13) Second prix Fiction : Brigitte du réalisateur Gilbert Djoliba Bararmna Boukpessi (Togo), prix d'une valeur de 200 000 Fcfa

 






Thierno I. Dia

Bordeaux, Africiné Magazine

pour Images Francophones



 

Image : la réalisatrice et scénariste  Khadidiatou Sow, Grand prix Kodjo Ebouclé de Clap Ivoire 2017.

Crédit : DR

Thierno I. Dia

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