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Bassek ba Kobhio : "Remettre en place cette habitude du cinéma"
entretien
rédigé par
publié le 16/02/2017

Entretien avec le réalisateur et producteur camerounais, fondateur des Ecrans noirs.

Le réalisateur et producteur camerounais, fondateur des Ecrans noirs s'exprime une fois de plus sur la situation actuelle du 7ème art au Cameroun, l'attitude à adopter et les querelles à taire. Bassek ba Kobhio a aussi créé l'Institut de Formation aux métiers de l'Image et du Son de l'Afrique centrale (ISCAC), basé à Yaoundé. "Si le dynamisme que je vois sur Facebook par rapport au cinéma camerounais correspondait à la production nationale, il y a longtemps que nous serions loin " nous confie-t-il dans cet entretien. L'appel à films pour l'édition d'Ecrans Noirs 2017 est ouvert jusqu'au 30 avril (voir ici).


 

L'Institut spécialisé de formation aux métiers du cinéma et de l'audiovisuel en Afrique Centrale (Iscac) organise Shoot In Cameroon, une formation qui va durer 21 jours, avec le concours du Ministère des Arts et de la culture (Minac) et du projet C2D Culture. Parmi les spécialisations retenues, figure " Exploitation et animation ", à quoi cela renvoie-t-il ?

 

La formation n'est pas faite avec le concours de … mais à la demande des deux institutions que vous avez nommées. La section Exploitation et animation a été inspirée, suggérée et même demandée par le ministre des Arts et de la culture, parce que nous sommes en train de vouloir remettre sur place un réseau d'exploitation. C'est-à-dire qu'on ne peut pas continuer à faire du cinéma sans penser à la rentabilité des films. Même si c'est modeste il faut y penser. L'idée est venue de ce que nous avions des cinéclubs que nous avons-nous même d'ailleurs tués quelque part, parce que nous pensions que c'était à cause d'eux que les salles de cinéma fermaient. Et nous nous rendons compte aujourd'hui que c'est un réseau qui nous manquait, et il faudrait que dans les quartiers des grandes villes qu'il y ait des lieux comme cela qui existent. C'est pour cela que nous prévoyons de travailler avec les mairies. Nous commençons avec 50 mairies où nous allons avoir des salles d'exploitation cinématographique, dans lesquelles nous aurons trois jeunes qui auront été formés, qui s'installeront en une toute petite entreprise et qui passeront des films, des films dont nous devrons nous assurer qu'ils ont le droit de circuler, que ces films même s'ils génèrent 10 Fcfa, qu'il y ait une remontée des recettes vers les producteurs, vers les auteurs. Donc, remettre en place cette habitude du cinéma commercial qui permet au cinéma de vivre. Cela suppose que les gens soient formés, que les projections se fassent avec un matériel au moins autant correct que la télévision à la maison, un matériel assez professionnel. Qu'il y ait des animations en plus… et tout cela demande une formation.

 

 

Le projet Shoot in Cameroon est lancé par le ministère des Arts et de la culture depuis quelques années. Il s'est surtout présenté comme destiné à vendre l'image et les sites camerounais afin d'attirer des producteurs étrangers, à quel niveau intervient la formation ?

Il y a un volet du projet qui intéressait l'appel de tournages au Cameroun. Peut-être que vous en avez entendu parler, parce que ça avait été médiatisé à cause de la présence du ministre de la culture à Cannes pour vendre ce projet. Mais il y a le premier volet qui est celui de relancer et intensifier la production cinématographique des Camerounais. Il faut d'ailleurs dire que lorsque le ministre parlait de formation, il pensait beaucoup plus au fait que peut-être l'Institut national des arts (Centre de formation culturelle en cours de construction par le gouvernement ndlr) aurait déjà été mis sur pied ; une formation en cinéma y est prévue. Pour le moment, l'Iscac - qui est un institut reconnu au niveau international - a sollicité de conduire cette formation.

 

Les budgets des C2D sont généralement connus. À combien s'élève celui alloué à cette formation ?

Le C2D culture est un vaste projet. Je pense que son budget doit aller dans les 800 milles euros, soit 550 millions [francs CFA, Ndlr].  Le projet formation que nous menons s'élève à 50 millions environ.

 

Vous recherchez des participants ayant une expérience basique dans le domaine du cinéma et de l'audiovisuel. Pourquoi cette approche ?

 

Au niveau de l'Iscac, nous avons une formation qui est une formation initiale. Nous avons des jeunes qui ont fait deux à trois ans chez nous.  Et là nous prenons des jeunes qui viennent d'ailleurs, parce que nous avons une formation continue, réduite sur 21 jours, et il faut  qu'en 21 jours nous ayons rentabilisé l'opération. Il ne faut pas qu'il y ait foule. Forcément il fallait des gens qui ont commencé à faire des choses. Au niveau du scénario par exemple, si vous avez écrit un et que votre projet semble déjà donner la direction d'un bon auteur de scénario, vous avez toutes les chances d'être retenu. Il faut qu'il ait un écrit qui laisse voir qu'il a des prédispositions. Les encadreurs dont certains viendront de l'étranger seront associés à la sélection. C'est pour cela que nous devons faire toutes nos opérations entre le 15 janvier et fin mars. Il est évident, pour revenir au scénario, que celui qui a un film qui a été tourné et qui a eu l'avantage de voire la différence entre écrire un scénario, et voir son scénario tourné apprendra plus que celui qui a écrit sans rien savoir. Ce n'est pas la foule qui compte, c'est la qualité des quelques élus. Quand je vois qu'au niveau du droit d'auteur dans le cinéma il y a 1800 personnes qui sont inscrits, je me demande si j'ai rencontré 1800 professionnels du cinéma dans ce pays depuis que je suis né. C'est ce que nous voulons éviter.

 

La 25ème édition du Fespaco a pour thème : formation des métiers du cinéma et de l'audiovisuel. Doit-on comprendre que ces métiers deviennent de plus en plus complexes et qu'il faut y mettre un accent particulier ?

 

Les métiers du cinéma deviennent de plus en plus complexes parce que la technologie devient plus importante. C'est pour cela que la formation est  importante. L'Iscac sera représenté au colloque qui sera organisé à cette occasion au Fespaco 2017.

 

Le Cameroun revient dans la compétition officielle après de longues années d'absence, avec un film dont vous êtes le producteur : Life Point du réalisateur Achille Brice … 

Cela veut dire que des gens travaillent, qu'il y a des films qui se font.  Je suis content que Life Point ait été sélectionné alors qu'il est tout simple. Un professeur d'université à la retraite dont l'épouse vient de mourir, est hanté et tenté par le suicide, ses deux enfants ne comptant pas tant que ça dans sa vie. La rencontre d'une jeune réfugiée centrafricaine bouleverse ses projets, au-delà même de ce qu'il pouvait escompter.  Quand le salut d'un fils passe avant celui d'un père… pourrait être le vrai résumé de ce film écrit par un jeune camerounais d'expression anglophone, Nkanya Nkwai, réalisé par un autre jeune de la même sphère Achille Brice, avec comme comédiens Gérard Essomba et une belle brochette de talentueuses comédiennes comme Tatiana Ngong dont ce sera la première apparition à l'écran.

 

Il y a environ trois ans le ministère des Arts et de la culture lançait un appel à candidatures dans différents postes pour la réalisation d'un long métrage Camerouno-Nigérian. Vous faisiez partie du comité de coordination, qu'est devenu ce projet ?

 

Ce n'est pas un projet dans lequel j'étais très impliqué. Madame le ministre des Arts et de la Culture de l'époque voulait un grand film qui aurait été une grosse coproduction entre les deux pays. Je n'y croyais pas trop, parce que beaucoup de gens dans cette affaire me semblaient mues uniquement par le désir de ramasser au passage ce qui pourrait se présenter comme argent, je parle surtout des comédiens et professionnels venus du Ghana et du Nigéria. Mais s'il s'était fait c'eut été une belle tentative. C'est une idée qui aurait pu être bonne si elle s'était développée,  ça aurait boosté la grosse dynamique qui s'est créée chez les anglophones camerounais mais qui travaillent aussi beaucoup avec le cinéma nigérian. Malheureusement c'est un projet qui n'a pas pu aboutir.

 

Il y a cet acte ayant fait sensation et dénoncé par les cinéastes locaux : la proposition d'un film indien aux Oscars 2017 pour le compte du Cameroun…

 

Le film a été proposé pour la sélection aux Oscars, il n'est pas aux Oscars. Ça c'est la première chose qu'il faut dire. La deuxième chose c'est qu'il a été proposé par Agbor Gilbert Ebot (promoteur du Cameroon international film festival - Camiff, Ndlr) qui a réussi à avoir un écrit du ministère des Arts et de la culture où peut-être on ne maitrisait pas tous les contours d'une telle opération. La troisième chose, c'est ce que j'ai dit à mon jeune frère ; je lui ai qu'il vit ce que les gens dynamiques vivent pendant qu'ils courent le risque du dérapage. Mais il a au moins eu la bienveillance et toute la bonne volonté de développer une telle opération. Ce n'était peut-être pas bon que ce soit un film indien, mais au moins nous aurions pu dire que désormais quand nous avons un bon film camerounais il pourrait nous représenter, parce que même si le film ne remporte pas de prix il représente quelque chose de très important. C'est pour cela que je lui ai dit : " tu vis ce que j'ai vécu pendant plusieurs années ". Parce qu'il y a des gens qui sont assis dans leurs chaumières, qui ne font absolument rien, mais dès que tu essayes de développer quelque chose ils sont les premiers à se lever et se ruer sur ce que tu fais. " Continues mais peut-être tiens compte du fait que ce que tu fais doit profiter d'abord au cinéma camerounais. Aie la carapace dure et continue ". J'ai créé l'Iscac pour la formation des jeunes ; vous pensez que si c'était pour que les jeunes applaudissent quand je passe, il y a longtemps que j'aurai fermé. Donc, ça été une bonne idée, mal menée et certainement pas au service, cette année-là, du cinéma national. A l'avenir, on peut profiter de cela pour faire en sorte qu'il y ait des films vraiment camerounais qui sont sélectionnés.

 

Nous avons également cette querelle autour de la Fédération camerounaise des cinéastes dont Agbor Gilbert serait le président. Une partie de cinéastes ne s'y reconnait pas parce que n'ayant pas été consultée…

 

Je connais la CFI (Cameroon Film Industry) chez les anglophones. Je leur ai recommandé pendant nos rencontres de regrouper toutes les différentes Associations Camerounaises dans une fédération. Je crois que ça n'a pas encore été fait parce qu'une fédération ne se créée pas dans une chambre comme cela. Je ne crois pas qu'il y ait aujourd'hui une fédération qui existe.

 

Des querelles et reproches qui cachent mal le vieux problème de mésentente entre cinéastes francophones et cinéastes anglophones du Cameroun…

 

Il n'y a pas de bataille entre cinéastes francophones et anglophones. Quel secteur connaissez-vous au Cameroun où il n'existe pas de problèmes ? Pour parler du cas d'Agbor, les anglophones sont les premiers à s'élever contre lui. Pour cette histoire de sélection d'un film indien aux Oscars, ce sont les anglophones qui m'ont saisi en premier. Et puis, on essaye de développer un métier, on essaye de faire le cinéma. Ne croyez pas qu'on va s'embrasser. D'ailleurs les cinéastes qui passent le temps à dire qu'ils s'entendent, qui sont assis dans leur coin mais qui inondent Facebook, on attend de voir leurs films. Je vous assure, si le dynamisme que je vois sur Facebook par rapport au cinéma camerounais correspondait à la production nationale, il y a longtemps que nous serions loin. Donc, il y a beaucoup à faire encore. Vous qui êtes de la presse aidez-nous dans ce sens, soulignez les actions positives. Je ne dis pas qu'il ne faut pas parler des choses qui font problème.

Il n'y a pas de bagarre entre cinéastes, parce que pour moi la bagarre ne se situe pas au niveau des discours ou dans les bars ni les cafés, c'est au niveau de l'écran. Tu as fait un film, je cherche à faire mieux que toi. Et c'est cela qui fera notre cinéma. Est-ce que vous trouvez normal que Sango Malo soit allé à Cannes en 92, Le Silence de la forêt était à la Quinzaine des réalisateurs et que jusqu'aujourd'hui il n'y a pas de jeunes, personne d'autre qui a été en sélection à Cannes, en dehors de Dikonguè Pipa qui a été avant moi avec Muna Moto ? C'est là où je voudrais que les jeunes se battent. Qu'ils disent : " tel a été là, moi je vais le dépasser ; Bekolo a eu l'Etalon d'argent au Fespaco, moi je vais avoir l'Etalon d'or ". Là c'est la belle bagarre.

 

En avril 2016, l'Association Ecrans Noirs a été reconnue d'utilité publique par le président de la République, qu'est-ce qui a changé depuis ce décret ?

 

J'ai accueilli ce décret avec joie et fierté, cette reconnaissance du président de la République qui marque quand même le fait que les pouvoirs publics reconnaissent que vous contribuez quelque part à remplir une fonction qui pourrait ou aurait dû relever de l'Etat. Qu'est-ce qu'on a en retour ? Je ne pense pas que ce soit de manière innocente que le ministère des Arts et de la Culture et l'Ambassade de France choisissent une structure des Ecrans Noirs pour organiser la formation des jeunes. A partir de ce 1er janvier, les Ecrans noirs sont nommément inscrits dans le budget de l'Etat. Non pas que ça nous donne beaucoup d'argent, mais ça nous permet de mieux nous organiser. Nous pouvons dire aux gens, voici le minimum que nous avons. Cela ne nous permet pas de dormir, mais nous emmène au contraire à nous battre davantage pour mériter encore la reconnaissance et du public et du gouvernement et du président de la République. Cela appelle à être pointu sur la responsabilité. Parce que désormais nous engageons et nous-même et l'image du Cameroun. Donc, nous allons faire attention à tout cela.

 

Par ailleurs, cela fait un bon bout que le public attend un autre long métrage de Bassek ba Kobhio. Vous annonciez un tournage dans l'Extrême-Nord du Cameroun…

 

Cette année je croise les doigts et je crois que je vais tourner mon nouveau long métrage tiré du roman Gouverneurs  de la rosée de Jacques Roumain. Il n'est pas impossible que le titre change. Mais avec la sérénité qui revient de plus en plus dans  l'Extrême-Nord du Cameroun, c'est encourageant. Parce que l'Extrême-Nord n'est pas simplement un décor, c'est vraiment un personnage dans le film. Je tourne, je crois, à la fin de cette année. Je dis je crois parce que je ne peux plus jurer de rien. La première version du scénario je l'ai faite il y a 15 ans, et il y a 5 ans quand  j'ai repris le projet, je me suis dit il faut modifier parce que ça correspondait à l'époque et que ça me paraissait désormais trop simple. Aujourd'hui tout va rapidement, il faut plus de vie, plus de rythme. C'est une belle histoire d'amour dans un univers de sècheresse. C'est un film qui touche à la fois la question de l'amour, celle de la liberté mais aussi celle de l'environnement. A côté de cela je continue à faire des films documentaires, des films de commande. Ma boîte de production, Les Films Terre Africaine, travaille.






Entretien réalisé par Pélagie Ng'onana

Yaoundé, Africiné Magazine

pour Images Francophones

en collaboration avec Africultures





Image : Bassek ba Kobhio, réalisateur et producteur camerounais

Gracieuseté : Ecrans Noirs

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