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Cheikh Fantamady Camara, cinéaste guinéen : "J'ai souffert physiquement avec ce film"
entretien
rédigé par
publié le 11/01/2017

Il est mort le 6 janvier 2017. Obsèques, le lundi 16 janvier, au crématorium du Père Lachaise, à Paris, annonce sa famille. Hommage avec cet entretien autour du film Morbayassa.

Le cinéaste guinéen Cheick Fantamady Camara est décédé à Paris, le vendredi 06 janvier 2017, dans la soirée [date confirmée par sa veuve, sur sa page personnelle Facebook, Ndlr]. "Pour tous les amis et amies de Cheick, toute la famille guinéenne, toute la famille du cinéma africain, la cérémonie pour lui rendre un dernier hommage aura lieu lundi 16 janvier 2017 à 13h15, au crématorium du Père Lachaise à Paris (20ème)", a informé sobrement Michèle Esposto, sa veuve. Pour d'informations, écrire à Annabel Thomas.

Il a réalisé deux longs métrages et plusieurs courts. Ses films lui ont valu plus d'une vingtaine de prix internationaux.Nous rendons hommage ici à cet homme de partage, en publiant un entretien qu'il avait accordé à la presse sénégalaise lors de la sortie du film. Une version a été publiée par Oumy Régina Sambou. Entretien par Fatou Kiné Sène.

 

 

 

Le film
Morbayassa, le serment de Koumba est enfin à l'écran. C'est un long parcours que vous avez emprunté depuis 2010. Comment avez-vous vécu cette séance avec le public sénégalais ?


Cheick Fantamady CAMARA : Je fais mes films pour le public. Si l'accueil du public est excellent, je crois que je suis récompensé. On a trop souffert avec ce film. On l'a fait sur quatre ans. J'ai perdu beaucoup d'amis et souffert physiquement. J'ai été malade aussi. Si le résultat est apprécié par le public, je crois que ça va, cela me fait plaisir. Une telle réaction du public a commencé à Ouagadougou lors du Fespaco [FESPACO 2015 - Festival Panafricain du Cinéma et de la télévision de Ouagadougou] et cela continue partout. Mais au Sénégal que le film soit apprécié, comme cela, c'est aussi une grande récompense parce ce que le film est aussi sénégalais, guinéen, français.

 

Vous venez de dire que vous avez fait ce film avec beaucoup de difficultés. Peut-on savoir les blocages rencontrés depuis le premier tournage à Dakar en 2010 ?

Nous sommes revenus à Dakar en 2011. Ce qui clochait, c'est qu'il n'y avait pas d'argent. J'ai commencé sur fonds propres et après l'argent était fini. Il fallait faire des mois, une année de recherche. Vous savez, on est financé par miettes, le cinéma est subventionné. Ce que l'on a ne suffit pas et ne sert pas à grande chose, cela nous fait souffrir et petit à petit avec beaucoup de stress, de souffrances et trop d'attentes. On a fait quatre ans pour boucler ce film.



 







Le film a couté combien finalement ?

Je ne peux pas dire le montant total. Parce que c'est tellement des miettes qu'on ne calcule pas. Parce que dans ce film, il y a l'argent de ma famille, mes sous personnels, ceux de mes amis qui ont travaillé gratuitement pour moi, etc. À tel point qu'on ne peut pas calculer. Tout ce que j'en sais, c'est que 40 mille euros (environ 26,2 millions CFA) de la Francophonie m'a été octroyé au lieu de 150 mille Euros (environ 98,3 millions Cfa) promis. J'ai eu 25 mille Euros (environ 16, 3 millions Cfa) de Canal Afrique et il y a une région en France, la Val de marne, qui m'a donné la somme la plus importante : 80 mille Euros (environ 52,4 millions Cfa). Cela ne fait même pas 150 mille euros, le tout. Alors que si c'était un film fait ailleurs, dans d'autres conditions, on parlerait de millions. Il y a tout cela qui est compliqué à gérer.

 

Cela montre les difficultés de financement du cinéma africain encore ?

Parler de cela encore, c'est une répétition, on le sait tous. Je crois qu'il y a des pays qui font la différence comme le Sénégal avec le Fopica. Si l'exemple du Sénégal se répandait sur l'Afrique, je crois qu'on allait présenter des films mieux que ceux-là.

 

Vous parlez de vous comme étant un animiste positif. C'est ce que vous essayez de faire passer dans vos films, en mettant en avant la tradition ?

Je suis animiste, je ne suis pas religieux, je suis ni musulman, ni chrétien. Cela ne m'intéresse pas. Je ne vais pas croire aux ancêtres des autres, alors que j'ai mes ancêtres. C'est pourquoi on est déséquilibré en Afrique. On est religieusement déséquilibré. Ces musulmans sont venus nous arracher de nos racines, les chrétiens ont suivi. Maintenant, l'Africain ne sait plus là où il en est, c'est pourquoi tout le monde nous crache dessus. Moi, au moins, je suis en harmonie avec mon âme, parce je crois en mes ancêtres. (…). Je n'irai pas prendre l'ancêtre des autres et abandonner mes ancêtres. C'est pourquoi le personnage de Fatou [Fatoumata Diawara, actrice principale, interprète de Koumba]  est un personnage très sain. Elle parle de sa mère, au lieu de parler du père de quelqu'un d'autre. Moi, si j'avais un pouvoir de décision, tous ces bâtisses de mosquées ou églises, on les transformerait en lieux culturels, parce cela ne fait que plonger l'Africain dans le noir, depuis l'esclavage jusqu'à aujourd'hui.

 




Le conflit entre tradition et modernité revient encore dans votre film Morbayassa ?

On est toujours dedans. On dit qu'un film n'a jamais changé quelqu'un, cela aide à réfléchir. Il faut toujours faire réfléchir parce qu'on est bloqué. Aujourd'hui, regardez ce qui se passe dans le monde, ça devient pire. Que les questions religieuses reviennent comme au Moyen âge, c'est une sauvagerie terrible. Et à coté de cela, on voit ce qui se passe autour. Tout cela est révoltant. Pourquoi ne pas rester digne de soi-même. Nos ancêtres sont en train de pleurer, de voir leur peuple les abandonner au profit des gens qui n'ont pas d'âme. Chaque fois que j'ai l'occasion, je dis aux Blancs, nous sommes plus vieux que vous. Nous sommes les premiers êtres sur la terre. La science même l'a reconnu.

 

Cette critique que vous faites à l'Afrique, vous le faites aussi aux Nations unies dans le film.

Aujourd'hui, c'est qui les Nations-Unies ? C'est la question qui se pose. Qui est l'Onu? Ce sont les cinq pays les plus amis du monde. C'est la France, l'Amérique, l'Allemagne l'Angleterre et, maintenant, la  Chine en fait partie. C'est eux qui foutent la merde dans le monde. C'est eux qui viennent en pompiers pour l'éteindre. Ils engagent les tueries et puis ils viennent au secours.  Depuis 1960, De gaulle a dit "Il ne faut pas laisser l'Africain tranquille. Ce peuple est puissant s'il se réveille, il va dominer ". Il l'a dit. Il y a des documents là dessus. Et jusqu'à présent, les choses sont là et c'est eux les Nations unies. Ils maintiennent toujours l'Afrique soit dans des situations de guerre, soit dans des situations politiques pour ne pas laisser le peuple réfléchir et avancer. C'est cela qui nous retarde.

 

Pourquoi utiliser l'humour quand vous parlez de choses aussi importantes dans vos films de manière générale….

Parce les gens ne viennent pas au cinéma pour pleurer. Le premier rôle du cinéma, c'est de divertir. C'est dans le divertissement qu'il y a des messages qui passent. Mais s'il faut sortir de chez soi triste, tu viens encore regarder un film triste, comment tu vas aller te coucher ? Même si tu viens prendre des messages, au moins repars avec quelque chose, c'est-à-dire rigole dans la salle, si tu dois réfléchir après, fais-le.

 

C'est à cela qu'invitent vos films ?

Chaque fois que je peux faire comme cela,  je le fais au lieu de rendre les gens encore triste. Cela ne sert à rien de quitter la salle en pleurant ou énervé. Cela ne servirait à rien de venir.

 

Propos recueillis par  Fatou Kiné SÈNE

(Dakar, Africiné Magazine)

pour Images Francophones

en collaboration avec Africultures

 

 



Image : Feu Cheick Fantamady Camara (196à-2017)

Gracieuseté : COP-films

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